Alors que la majeure partie des transformations agricoles et domestiques en France eurent lieu à l’entre-deux-guerres, la Bresse se tourne elle aussi peu à peu vers la modernité. Bien que le progrès se fasse de façon progressive, en 1927, un observateur - un certain Lautrin, écrivant pour L’Information Sociale - note les transformations survenues dans un village bressan après la guerre de 14-18. Nulle mention n’est faite du village en question mais ce peut être n’importe lequel :
« Le premier soin a été d’étendre les dépendances et d’assurer à l’exploitation un espace convenable pour loger les animaux, dont le nombre s’est accru, et le matériel de culture, plus important. L’amélioration dans l’habitation viendra après. En tout cas, les rares maisons qui se construisent dans notre région répondent beaucoup mieux au confort moderne : elles sont mieux aérées, plus éclairées et les pièces ont chacune leur affectation particulière. C’est moralement et socialement un grand progrès.
Cette amélioration de la condition des paysans de chez nous va-t-elle leur faire regretter d’avantage leur isolement et leur vie effacée et rude ? Je ne le pense pas. Tout au plus contribuera-t-elle à hâter la disparition des vieilles mœurs et des usages rustiques si savoureux. Les costumes, en s’unifiant, ont perdu de leur grâce locale ; les jeunes filles ont abandonné la coiffe légère, au rucher élégant et fin, depuis plus de trente ans ; mais toutes les femmes de plus de quarante ans lui sont demeurées fidèles, et je compte douze bonnets encore au village. Les hommes portent maintenant des paletots comme à la ville.
L’alimentation s’est beaucoup améliorée ; au lieu des gaufres de sarrasin et du pain de maïs qui étaient encore d’un usage presque général il y a cinquante ans, on ne mange plus que du pain blanc, cuit le plus souvent par le boulanger du bourg, chacun fournissant sa farine. Le vin, le café, sont d’une consommation très courante et sont servis à tous les repas ; la viande n’est plus un mets exceptionnel et elle apparait sur table deux ou trois fois par semaine. Le mets pour ainsi dire national, la bouillie de maïs, les gaudes, n’a pas perdu cependant la faveur dont il jouit depuis si longtemps dans toute la Bresse, non plus que le fromage blanc à la crème, les plats de légumes et au lait, et la bonne tarte, et la succulente brioche les jours de fête.
Le village évolue lentement vers des conditions de vie plus moderne, tout en conservant dans le passé des racines profondes. C’est que le passé a marqué profondément son empreinte sur cette terre aujourd’hui fertile, que les ancêtres ont arrosée de leur sueur et fécondée de leurs peines.
Mais l’avenir appelle les nouveaux venus et sollicite leur activité pour des besognes mieux ordonnées et une exploitation plus rationnelle. C’est une phase nouvelle qui s’ouvre et le village va continuer son essor avec une lenteur sage et précautionneuse. »
Nul doute que « le passé a marqué profondément son empreinte » puisque vous, « les nouveaux venus » lisez les lignes de cette chronique…