Sauvage et dangereuse, ou enchantée et bienveillante, la forêt est toujours profonde et étendue car elle symbolise l’espace non civilisé. C’est l’antithèse du champ qui figure l’espace humanisé par sa clôture, l’inconscient par opposition à la conscience.
La forêt figure en bonne place dans les contes et légendes de toutes les cultures sédentaires. C’est l’inconnu près de chez soi, la demeure du loup, de la sorcière ou de l’ogre. Cette popularité s’explique aisément : dans leur dynamique de défrichement, les cultivateurs sont des éradicateurs d’arbres, ils s’en sont fait des ennemis et craignent les racines et les branches qui agrippent et étouffent, ainsi que les voix qui murmurent et dans le bruissement des feuilles.
Or, pour le bois de chauffe, il a été nécessaire de conserver des espaces forestiers et de les fréquenter. Ces derniers sont situés loin des villages, à la périphérie des circonscriptions seigneuriales, si bien que les franges nomades de la population peuvent voyager au loin en suivant ces lisières forestières, sans jamais se rapprocher des habitations. C’est alors vers la forêt que la société sédentaire rejette certains de ses membres inquiétants comme, dans certaine région, les rebouteux. C’est aussi là que vont se retrouver brigands et hors-la-loi.
Dans les romans du Moyen-âge, la forêt est indissociable de l’aventure solitaire du chevalier. En chassant dans la forêt, « antimonde » sauvage livré aux puissances magiques, le chevalier y fait son apprentissage du courage et de la vertu. Pénétrer dans la forêt n’est pas un acte gratuit mais un rite d’initiation qui peut s’achever en une quête mystique.
Poètes et artistes ont loué la forêt comme étant un temple à part entière, rejoignant ainsi la tradition antique selon laquelle la fréquentation des forêts sacrées était interdite aux non-initiés. Même les initiés devaient respecter des dates d’ouverture précises, comme lors de la réunion des druides gaulois dans la forêt des Carnutes. Nous ne sommes pas loin des traditions japonaises qui font de la forêt l’espace sacré par excellence, le lieu où l’on adore moins le créateur que sa création.