Suite à certains articles de cette chronique, il m’arrive de recevoir remarques, suggestions, confirmations… Il y a quelques semaines, ce sont des souvenirs dont on m’a fait part. Les souvenirs d’une dame de Sainte-Croix âgée de plus de quatre-vingt-dix ans. Je vais donc lui céder la place pour quelques vendredis : sa mémoire nous fera ainsi part de la vie quotidienne d’une famille bressane dans les années 1920 et suivantes…
« Suite à un article du journal sur l’économie de l’eau : laver la vaisselle la moins sale la première ! J’ai bien toujours vu et fait ainsi.
Il y a quatre-vingt-dix ans et sûrement longtemps avant, l’eau était tirée d’un puits avec un seau au bout d’une chaîne enroulée à la manivelle à main ; c’était dur à remonter et à apporter, les puits n’étaient pas toujours près des maisons.
L’eau n’était pas gaspillée. La toilette se faisait dans des baquets ou simplement des cuvettes. Il n’y avait pas de salle de bain avec douche et baignoire !
L’eau qui avait lavée les légumes était récupérée pour la vaisselle et l’eau de la vaisselle pour la soupe des cochons. Aucun verre d’eau n’était gaspillé, d’autant que les puits étaient souvent à sec l’été : au mieux un seau ou deux par jour étaient tirés.
La lessive à la main était rincée à la mare. L’hiver, l’eau gelée était cassée pour faire un trou : que c’était froid !
Vers 1947, mon mari a fait creuser un puits près de la maison et fait monter l’eau au robinet de la cuisine avec pompe et bac à la cave. C’était merveilleux : que de peines en moins !
L’économie d’eau était toujours obligatoire, le puits ne tenait pas pour les bêtes et la maison. L’été, les bêtes s’abreuvaient à la mare. Tant qu’il y avait de l’eau, elle était aisée : on allait en chercher avec des tonneaux à la rivière. Le linge était aussi rincé à la rivière, quel travail ! Avec des enfants, il en fallait : il n’y avait pas de couches jetables (on n’aurait d’ailleurs pas pu les payer).
Il n’y avait pas non plus de gaz. Pour faire chauffer le lait des biberons, il fallait allumer le poêle (à bois, bien sûr). Puis il y a eut les petits réchauds à alcool pour les biberons. Le lait des vaches était bouilli (il débordait souvent). Premier réchaud à gaz : 1949 (deux brûleurs).
Première machine à laver : 1960. Anecdote : petit garçon, mon fils, n’aimait pas se laver dans un baquet. Entendant parler de machines à laver, il s’est écrié en pleurant : « Quand on aura une machine à laver, ça sera bien mieux ! »
Avant, le linge était frotté à la main dans un baquet avec brosse et savon. Les draps et le linge blanc étaient bouillis sur le poêle dans la lessiveuse avant d’être rincés : il en fallait du temps et des peines ! Les draps étaient lourds, imbibés d’eau pour les jeter dans la mare et les battre pour extraire le savon.
Et l’hiver, dans l’eau glacée, que les mains étaient donc gelées, à faire mal… Les femmes d’aujourd’hui ne peuvent pas se rendre compte de la chance qu’elles ont d’être nées cinquante ans plus tard, et c’est tant mieux. Elles ont peut-être d’autres inconvénients que nous n’avons pas eu, nous les femmes du début du 20ème siècle.
Quand on pense à tout ce qui s’est fait durant ce siècle, des progrès de toute matière : inimaginables, on en a le vertige. Comment des humains peuvent-ils concevoir et réaliser tout ce qui existe aujourd’hui ? Sans parler de la médecine et ses dérivés… Nous ne pouvons que les admirer, sans pouvoir comprendre.
Un siècle, ce n’est pourtant pas si long, à peine plus qu’une vie ! J’ai quatre-vingt-dix ans et je me sens bien petite à côté de tout cela. Je ne cherche plus à comprendre… »