« Vers les deux heures de l’après-midi, nous nous rejoignons dans le bourg six à huit copains et là c’est la question : que fait-on ce tantôt ? Les uns vont à Louhans ; nous, nous sommes trois copains : nous décidons de faire une partie de « rabat ». A ce moment, pas un bourg, pas un bistrot de hameau qui n’ait son « rabat ». Le « rabat » est un jeu de quilles, mais au lieu de lancer la boule droit sur les quilles, celle-ci fait un demi-cercle pour revenir sur le jeu qui se trouve à peu près à la hauteur du joueur. Les coups de sept sont de beaux coups, six c’est bon, cinq c’est courant. Ce jeu se joue aussi à l’argent : je n’ai jamais connu les règles. Avant guerre, les adultes étaient nombreux à le pratiquer et jouaient même de grosses sommes.
Nous voilà partis sur le jeu. Nous trouvons d’autres copains et nous faisons une partie trois contre trois. Le camp qui fait le moins de quilles paie la tournée. Nous perdons donc nous payons un verre de limonade. Quand nous retournons sur le jeu, il est pris : d’autres copains font aussi une partie.
Après quelques minutes, nous décidons d’aller dans un hameau d’une commune voisine, assez loin, où parait-il on danse. Effectivement, arrivés dans la cour, nous entendons la musique. Nous entrons. Il y a plusieurs couples qui dansent. Nous ne connaissons personne : nous voyons tout de suite que notre arrivée n’était ni prévue ni souhaitée. La musique s’est arrêtée. Les gens nous regardent avec méfiance. Nous buvons notre rouge limé. Nous reprenons nos vélos et la route…
Arrivés à quelques kilomètres de chez nous, nous rencontrons plusieurs copines, qui, comme nous, ne savent pas trop quoi faire. Nous nous arrêtons, chahutons un moment histoire de leur voler un « bisou » puis nous nous asseyons sur un tas de pierres (les routes n’étaient pas goudronnées en ce temps là !). Nous parlons de ce que nous avons entendu à la TSF dans la semaine, les chansons de Tino Rossi, Ray Ventura, Rina Ketty : parfois, nous fredonnons les refrains… Le temps passe… Voilà l’heure de rentrer. Après un petit « bisou » (parfois un gros !...) nous nous séparons…
Arrivés au bourg, nous retrouvons un copain qui avait rendez-vous avec une « bonne amie » et maintenant il vient avec nous. Nous trouvons que c’est trop tôt pour rentrer : si Madame Jeanne voulait nous faire une omelette, nous avons des tickets de pain ? Nous lui demandons. Elle est d’accord. Nous buvons une Suze-Cassis que nous appelons « un fond de culotte ». Le patron vient nous dire qu’il y a un petit saucisson : si nous le voulons en attendant que l’omelette se fasse. Evidemment, nous sommes contents. Avec l’omelette, un bol de fromage vieux assaisonné au poivre rouge, deux bouteilles de vin rouge : nous faisons un souper du tonnerre !... Cela fini, nous discutons comme des « grands » de la guerre, de De Gaulle, de Pétain, et le temps passe. Il est temps de rentrer à la maison. C’est bien loin, la vie a bien changée… en bien ou en mal, je ne sais pas !... »