« La fête patronale de Sainte-Croix est le dimanche après le 14 septembre.
Le mardi précédent, autour de neuf heures, arrive venant de Montpont une camionnette qui devait faire partie des taxis de la Marne vu son état ! trainant une « roulotte » (ce n’était pas encore des caravanes). C’était « Titisse » avec son tir à la carabine et son jeu de « boîtes ». C’était le premier arrivé donc le mieux placé. Il faut dire que la place était ombragée par deux rangées de platanes depuis la place du moulin jusqu’en face la boulangerie. « Titisse » était un « petraud » bressan, il était le régional de la fête. J’emploie le mot « petraud » qui n’est pas péjoratif : il a été remplacé par forain qui englobe depuis le simple tenancier de jeu de boîtes au patron du plus grand manège…
Toute la semaine il va en arriver si bien que samedi, la place sera au complet, et tout ce monde aura installé son « commerce ». Cette année, il y beaucoup de « petrauds » : deux manèges de chevaux de bois (un petit pour les quatre à dix ans, un grand avec de beaux chevaux qui montent et descendent pour les plus grands), deux manèges de balançoires que l’on appelait « cri-cri » ou « pousse-pousse », plusieurs tirs, des jeux de boîtes. Il y avait aussi pour les forts une locomotive qu’il fallait pousser d’un bras au sommet d’une rampe qui montait assez haut. Si la loco arrivait au dessus, elle déclenchait un pétard : alors c’était gagné. Il y avait un banc de « bazar » où l’on trouvait beaucoup de choses de la boîte de pastilles jaunes par P.T à la photo de la Vierge Marie en passant par les « pin up », les poupées de toutes grosseurs, des panoplies de cow-boy, des pistolets à flèches, à capsules et bien entendu des bonbons.      
Tout était prêt pour le samedi soir car la fête commençait par les lampions qu’aucuns gosses de la commune n’auraient voulu manquer. En tête de cortège, l’ « Harmonie de Sainte-Croix » et son chef Monsieur Couchoux Gaston, suivaient les pompiers conduits par le lieutenant Peubey, ensuite les gosses avec leur lampion. On allait jusqu’à la gare où il y avait les cafés Lescuyer et Bridon. De retour au bourg, vers la mairie c’était fini. Les gosses avaient droit à la limonade et à un morceau de brioche. Les musiciens et les pompiers avaient la brioche et le canon.
Le dimanche, sitôt après midi, les jeunes filles et garçons étaient à la fête. Les manèges tournaient à plein, les tirs à la carabine étaient pris d’assaut, les gamins jetaient des pétards : cela faisait un vacarme assourdissant !
Le soir, à la tombée de la nuit, grand feu d’artifices en face le moulin Coulon, et là vraiment il y avait du monde ! Je pense que les trois quarts de la commune y étaient. Les ménages amenaient leurs enfants, et de nombreuses personnes d’un certain âge venaient même. Les feux d’artifices finis, le bal ouvrait. C’était le bal Boisson : il était installé sur la place du moulin et empiétait sur la route… Ce n’était pas gênant du moment qu’il n’y avait pratiquement pas de voitures. En une demi-heure, il était plein à craquer, les jeunes s’y précipitaient. Les couples jeunes et moins jeunes entraient dans les cafés manger une tarte et boire un canon. Tous les cafés étaient pleins. Un ami ancien cafetier me disait il n’y a pas longtemps que chez eux ils faisaient trente à quarante tartes. Le lundi, il n’y en avait plus !... A partir de onze heures, minuit, on voyait dans le bourg les jeunes couples partir chercher un peu de calme et d’ombre pour passer un moment agréable… De temps en temps, des jeunes réglaient leurs affaires à coups de poings : quelques chemises déchirées, des yeux au beurre noir et puis tout rentrait dans l’ordre… Les gendarmes faisaient une apparition sur la fête histoire de se montrer, mais passaient vite à la cuisine des cafés pour goûter la tarte et boire un coup à l’œil.
Le lundi, vers trois heures, les jeux amenaient beaucoup de monde ; les cafetiers mettaient des tables dehors, les gens s’installaient et tout allait bien. Il y avait la course en sac, la course à la brouette avec trois grenouilles dessus qu’il fallait toujours avoir à l’arrivée, pour les jeunes filles la course à l’œuf avec deux œufs sur une assiette à ne surtout pas casser, et beaucoup d’autres jeux que j’ai oubliés.
Le soir, le bal arrivait à nouveau : c’était surtout les couples qui étaient les clients. Cela se terminait vers deux heures. La fête était finie ; à l’année prochaine !... »