Voici ce qui m’a été raconté par un habitant de Sainte-Croix concernant le marché du village de 1935 au sortir de la seconde guerre mondiale. « Aujourd’hui vendredi, nous allons au marché ! Arrivé vers le monument aux morts vers les 8h30, la première personne rencontrée était celle qui avait pour mission de faire payer un droit sur toutes les marchandises destinées à la vente : je le vois encore avec sa boîte autour du cou récoltant l’argent. Alors, arrivaient les premiers livreurs de cochons : les propriétaires, après avoir dételé leur cheval, le conduisaient à l’écurie Ronget ou Jaillet, les deux seuls cafés ayant des écuries. Ils revenaient ensuite vers leur voiture où ils discutaient avec les collègues en attendant la venue de M. Varrot, l’acheteur de la maison Morey de Cuiseaux, que l’on avait contacté dans la semaine pour lui annoncer si on avait des cochons, si on pouvait les livrer et à quel prix car c’était la maison Morey qui fixait les prix. Après avoir serré les mains de tout le monde, il visitait tous les lots pour s’assurer que les bêtes étaient bien à jeun : il ne fallait pas qu’elle aient mangé depuis 12 heures mais il n’arrivait pratiquement jamais de les livrer « à plein ». Arrivait ensuite le camion qui se mettait en place d’un côté de la bascule et Louise Pirat, responsable du poids public commençait la pesée lot par lot. L’embarquement se faisait dans un vacarme terrible !  Quand tout était fini, le camion parti, tout le monde se retrouvait au café de Mme Pirat et l’acheteur, dont je vois encore le portefeuille gonflé comme un ballon, payait ! Alors les bouteilles de rouge arrivaient sur les tables : tout le monde voulait mettre sa tournée. Vous pensez bien que des gens qui étaient levés depuis 5h30, qui avaient soigné les bêtes, mangé une bonne assiette de gaude ou de soupe à l’oignon et un morceau de lard ou une tartine de « fromage vieux », bu un coup d’eau au « pot », n’avaient pas peur du « canon » surtout que c’était un petit 9,5° ou 10° au maximum !... Reprenons la rue : en face de l’épicerie Bey il y avait un marchand de chaussures, M. Antoinet de Cousance ; suivait un banc d’épicerie ; un marchand de fromage de Coligny ; à côté c’était le coquetier, beurre et œufs M. Raffin de Cousance ; puis un deuxième marchand de fromage de Cousance et M. Vandroux de Sainte-Croix, légumes et poisson. En face de l’épicerie de Marie Bernardot, c’était un coquetier de Louhans, M. Meunier. 
Nous voici sur la place qui est garnie de voitures, celles qui sont venues au moulin, celles qui ont amenées des poulets et toutes les charettes de ceux qui n’avaient pas de chevaux et ils étaient encore nombreux. Sur la place, où se dressent les platanes, se tient le marché de la volaille : les premiers sont les pigeons, les uns dans des filets (des « flochons »), les autres dans de petites cages en bois. Quelques poules, rarement des canards étaient là ainsi que les poulets dans des cages en bois, d’abord les plus petits puis les plus gros. Au coup de sifflet du garde champêtre, les ventes commençaient. Les marchands soupesaient les sujets, leur soufflaient sous les ailes pour voir l’état d’engraissement : là, on peut dire que ça discutait fort ! Quand ils étaient vendus, on les portaient au camion : un type les décageaient et donnaient un billet comme quoi le nombre était exact. Alors on pouvait aller se faire payer, généralement dans un café, et là, avec les collègues, c’était à celui qui les avaient le mieux vendus. Je me souviens du nom des volaillers : M. Bey, Béard, André, Monneret,… et d’autres dont j’ai perdu les noms. Revenons dans la rue : côté droit, au coin c’était M. Collinet, boucher à Bruailles ; M. Jolivot, jardinier à Sainte-Croix ; M. Badey de Louhans vendait du tissu. A côté, M. Corail, du Fay, arrière-grand-père du magasin Gautier de Louhans, vendait aussi du tissu. Puis, deux femmes dont je ne sais pas le nom vendaient tabliers, blouses, chaussettes ; la dernière était une modiste de Varennes, Mme Collet je crois. Un artisan attirait beaucoup de clients, c’était Maurice Gambey, maréchal-ferrant à Sainte-Croix, réputé dans toute la région. Le vendredi, jour de marché, on peut dire que 80% des ménages s’y rendaient : les hommes trouvaient toujours une chose à faire quelque part, au moulin, quelques fois en mairie, le tabac à acheter ou un kilo de pointes, une paire de sabots, des clous pour les ferrer ; mais c’était surtout l’occasion de voir les copains, de discuter un peu… Les femmes apportaient leur beurre, leurs œufs : cela vendu, beaucoup allaient sur les cimetières ; les plus pratiquantes entraient à l’église faire une petite prière. Ensuite, c’était les « commissions » pour la semaine : l’épicerie, un morceau de gruyère, un petit bout de viande ou de boudin, un peu de fricassé pour le dimanche, de temps en temps un morceau d’étoffe pour faire un tablier ou  une blouse. En ce temps-là, les femmes n’entraient pas au bistro : après la guerre de 39-45, quelques unes ont commencé à entrer boire un café avec une parente ou une amie mais c’était encore assez rare. Voilà 11h : tout le monde pense à rentrer. Les hommes sont plus gais, plus « causants » : peut-être grâce à la « chopine », ou simplement du fait d’avoir rencontré les amis !… Les femmes, contentes d’avoir appris un peu de nouveau : la Marie qui était malade, la Françoise qui était enceinte, la Pierrette qui était « bien » avec son voisin ! Elle racontera tout ça à son mari ce soir ! C’était un vendredi de passé : vivement la semaine prochaine !... »