« En ce jour, 25 juin 1943, mon père a décidé de faucher le ‘’Pré Chevalier’’ : nous en avons fauché hier un hectare environ, sur trois hectares de superficie. En ce temps là, les prairies naturelles où il y avait plusieurs propriétaires étaient interdites de fauche jusqu’au 24 juin, jour de la saint Jean. Le maire pouvait par décret l’avancer de quelques jours mais c’était rare. Donc, au petit jour, mon père nous appelait à la porte où nous couchions le commis, René que l’on appelait ‘’Le Vaule’’ en patois, et moi. Nous couchions dans une petite chambre spécialement pour nous : il y avait deux lits de 1m20, une armoire, une table, trois chaises. Nous dormions les deux ensembles sur une ‘’caspaille’’, sorte de matelas bourré de dépouilles de maïs, une ‘’cutre’’ petit matelas en duvet, des gros draps de toile de chanvre, une couverture l’hiver et un édredon en dehors. Nous dormions très bien !… Sitôt appelés, sitôt debout ! Alors, on passait à ‘’l’huteau’’. Mon père avait fait le café : un tiroir de café et d’orge moulu avec beaucoup de chicorée. Une grande tasse, un petit morceau de pain que l’on trempait dedans : en dix minutes c’était avalé. La journée commençait. René et moi allions chercher les chevaux au paquier derrière la maison. Nous leur mettions le collier, les attelions à la faucheuse qui était au milieu de la cour et en route pour le pré ! Il ne nous fallait guère plus d’une demi-heure du levé au départ. Arrivé au pré, René qui avait une faux coupait le foin autour des buissons et de la rivière. Moi, je baissais le ‘’peigne’’ de la faucheuse et commençais à tourner autour de la parcelle. Les chevaux s’entendaient bien. Le foin coupé par la lame tombait régulièrement contre la planche à ‘’andains’’. J’aimais ce travail !... Chaque fois qu’un était fait, la parcelle diminuait  de 2m60, la coupe étant de 1m30 : c’était un grand progrès avec la faux. Vers les huit heures, mon père arrivait avec le casse-croûte, le ‘’diné’’ du matin. Nous nous arrêtions, on levait la ‘’faussreine’’ des chevaux pour qu’ils puissent baisser la tête et manger un peu d’herbe…et nous nous installions René et moi autour du panier, un torchon de cuisine bien propre étendu sur le pré. Le contenu ne variait guère : deux bols, deux œufs, une salière, un bout de lard ou une tasse de beurre ou de fromage fait maison. Un bon morceau de pain de ménage, une bouteille d’eau. Les sauterelles et les grillons étaient nos voisins de table, je m’en souviens comme si c’était hier…et nous étions bien !... 
En vingt minutes tout était fini et l’on recommençait le boulot ! Vers les dix heures on rentrait : en principe il y avait un hectare de fauché. Arrivé à la ferme, les cheveux dételés, René lavait la faucheuse, partait aiguiser la lame et en mettait une autre pour le lendemain. Moi, je prenais un cheval, l’attelait au râteau faneur ‘’marque Puzenat’’ et je retournais au pré ‘’fâner’’ le foin coupé la veille. René, son travail fini, revenait ‘’fâner’’ à la fourche ce qu’il avait fauché le matin. A midi, fini ou pas, c’était le dîner : nous mangions toujours à midi, nous prenions toujours le temps de manger à moins que le temps menace ! L’après-midi, je finissais ‘’d’enraisser’’. Une fois fini, nous commencions à charger les voitures que l’on avait amenées au pré. Mon père faisait les voitures, René et moi  donnions les fourchées de foin, jamais les deux à la fois ce qui aurait gêné le faiseur derrière nous. Ma mère et deux voisines ratissaient ce qui restait après notre passage. La voiture finie, nous la ‘’lions’’ avec une perche en long et avec une grosse corde ; nous tirions pour serrer le foin afin qu’il ne glisse pas. Nous faisions en général trois voitures. Mais souvent, des gens  se croyant redevables venaient nous aider car mon père leur avait rendu ‘’service’’ : voiturer du bois, une voiture de fumier pour le jardin… Dans ce temps, on ne payait pas en services, on les rendait à l’occasion. Il y avait aussi les voisins, même d’assez loin, surtout de Chatenay, qui avaient des vaches mais pas de taureaux et qui les emmenaient saillir à La Minute. C’est Charles Genetet qui le premier a eu un taureau à Chatenay mais c’était après la guerre. Vers les cinq heures, nous arrêtions et allions ‘’serner’’ (faire quatre heures). Que l’on soit seul ou avec des aides, nous prenions le temps de faire un bon casse-croûte. Après, on mettait le foin au fenil et de cela je garde un mauvais souvenir : à sept heures, sous des tuiles chaudes, dans du foin chaud, de la poussière, la fatigue qui arrivait, c’était très pénible. Quoique jeunes, nous étions crevés. Après un léger souper, souvent du pain trempé dans du lait, nous nous lavions dans des seaux puisée le matin : le soir, elle était tiède, cela nous faisait du bien. Alors, on retrouvait notre ‘’caspaille’’ et l’on dormait comme des loirs. Le matin nous étions frais  comme une fleur… Nous avions 20ans… »