Alors que l'année s'écoule, nous voici depuis huit mois à la découverte du village de Condal et de ses habitants. Pour terminer, je vous propose justement de consacrer les prochaines chroniques de 2013 à la parole de condaloises. Au détour d'une conversation, bons nombres de souvenirs se sont fait jour : en voici quelques-uns, issus d'une soirée réunissant une sixaine de femmes de générations différentes et d'horizons divers. Un brin humoristiques et sortis de tout contexte mais ces souvenirs parleront sans doute à nos lecteurs... "Tu nous racontes comment se passait les accouchements autrefois ?... - Dans chaque village, disons qu'il y avait un fermier attitré que l'on appelait, un peu comme un taxi. On allait souvent le réveiller car les bébés aiment bien sortir la nuit ! - Comme quand on est malade : c'est toujours le dimanche ! - A Condal, c'était Médé Michel que l'on allait chercher. Son prénom était Amédée mais il y avait beaucoup de raccourcis à l'époque. Il habitait à La Motte. Quand on le demandait, il allait réveiller Bichette, la jument, et l'attelait. C'était la même jument qui tirait le corbillard aussi. Pour les accouchements, il lui expliquait : "Maintenant, on va chercher Madame Michelin"... parce que Madame Michelin n'était pas motorisée, ça paraît bizarre !... - Qui était cette Madame Michelin ? - C'était la sage-femme de Saint-Amour. Et compte tenu de la grande montée "des chênaies", les mois de neige étaient critiques car les voitures avaient des bandages en fer. Donc si il y avait vraiment de la neige ou un risque de verglas, il fallait encore aller réveiller le forgeron, le maréchal-ferrant, de Condal pour clouter les sabots du cheval. - Dis-donc, elle avait le temps d'accoucher la pauvre femme ! - Ҫa arrivait ! Mais les femmes du voisinage avaient souvent déjà de l'expérience. - Quand tout ce monde arrivait, il n'y avait plus qu'à boire un coup !" Parmi les femmes nous livrant ici leurs souvenirs, se trouve Madeleine, née en 1923, espérantiste confirmée a qui a été dédiée la "Rue de le Etoile Verte" précédemment citée dans ces chroniques. Au cours de la conversation, une coccinelle s'invite parmi nous. Madeleine nous demande alors : "Vous connaissez la comptine en patois sur la coccinelle ?..." C'est alors qu'elle se met à chanter d'un trait : « Bête à bon dieu veula, Ton père est à l'équeula Ta mère est à Lyon T'aster on brave cotelion Te va tinque su les talons - Il faudrait que tu recommences, je n'ai pas tout entendu... - Dis plutôt que tu n'as pas tout compris ! - Recommences plus doucement et traduis. Bête à bon dieu vole, Ton père est à l'école Ta mère est à Lyon Pour t'acheter un beau cotillon Qui te va jusqu'aux talons - Nous on la chantait en français à l'école. - C'était des comptines que l'on se chantait enfant entre amies, en famille. - Puisque tu évoques ton enfance, plus le temps passe plus j'ai l'impression que tu rajeunis. - Ah bon ? Au bout d'un moment on repart peut-être dans l'autre sens... D'ailleurs, autrefois, on évoquait l'expression "retomber en enfance" quand une personne âgée commençait à décliner un peu... Alors si je rajeunis, j'ai des craintes ! - Y rafateuille ! C'est ainsi que l'on disait en patois de Dommartin lorsque l'on parlait de quelqu'un sur qui l'âge commençait à faire des dégâts." Jeu de questions réponses sur les activités d'antan : "Je voulais vous demander quelque chose : comment transportait-on et recevait-on le courrier dans le temps ? - Par le facteur ! - Oui mais en quelle année ?... Madeleine prend alors la parole : - Moi j'ai le souvenir d'un facteur qui faisait sa tournée à pied, avec un sac lourd. Pourtant il y avait moins de courriers administratifs qu'aujourd'hui mais le constat était toujours le même : le sac était trop lourd même vide ! Pour la commune de Condal, il y avait deux facteurs qui se partageaient le territoire. - En quelle année ? - Dans les années 30... Les facteurs étaient presque tous les jours invités à manger dans une ferme. C'était prévu : "Tel jour, vous mangerez avec nous" ; ça se disait comme ça gentiment. Si bien que c'était presque un salaire en nature. On disait que le métier de facteur était un métier à risque : parce que non seulement on leur offrait à manger, mais on leur offrait aussi à boire... - Et ils se faisaient mordre par les chiens aussi, qui n'étaient pas tenus comme maintenant. - Ils avaient le vélo en guise de bouclier. J'ai le souvenir d'un facteur quand j'habitais ailleurs qu'à Condal qui se protégeait avec son vélo car on avait un coq qui était très méchant. Il sautait sur tout ce qui bougeait, il a d'ailleurs fini en coq au vin pour fêter le retour d'Algérie d'un soldat, je me souviens. Le facteur, donc, arrivait avec son vélo en bouclier et échappait ainsi au berger allemand et au coq. - Et le garde-champêtre ?... - Le garde-champêtre, quand on l'évoque, moi je le vois seulement à la sortie de la messe avec son képi, son tambour et ses deux baguettes : "Avisse à la population !" Et il lisait les choses administratives. - Dans le village de ma grand-mère, on avait un monsieur qui était horloger à ses heures : on lui faisait réparer en dehors de son travail montres et horloges. Et le samedi, il passait dans toutes les maisons et vendait de petites brioches. - Il en faisait des choses ce monsieur..." Au cours de la conversation, la fête patronale et Saint Laurent sont évoqués : qui était ce saint ? Quel est son attribut ? Puis, Madeleine me demande : "Vous a-t-on déjà parlé du pain béni à la messe ? Tous les dimanches de l'année, une famille désignée apportait deux grosses miches qui étaient découpées dans la sacristie en petits cubes. Je ne me souviens pas mais le pain devait être béni quelque part. On le distribuait ensuite dans une corbeille recouverte d'un linge et deux enfants de chœur passaient dans les rangs avec cette corbeille pleine de morceaux de pain. Il restait souvent un petit quignon que l'on donnait à la famille destinée à apporter le pain la semaine suivante : c'était en quelque sort le témoin. - Et pour la fête patronale c'était de la brioche. - Pour la Saint Laurent donc, ici à Condal. - Oui mais moi je suis de Dommartin donc c'était pour la Saint Barthélémy, en août. - Et la fête de la Pédale à Dommartin ? - C'était en mai. La fête était aussi importante que pour la fête patronale et la course cycliste avait lieu le lundi après-midi. - Pour l'occasion, les enfants avaient-ils droit à un jour ? Dans certaines communes, ces jours de fêtes étaient dites "journées du maire" et étaient en quelque sorte offerts. - Je ne me souviens pas... - Chez nous, le seul jour où on n'allait pas à l'école c'était le lendemain des élections. Comme la salle de classe servait de salle de vote, il fallait la désinfecter le lendemain." Poursuivons le fil des souvenirs de Madeleine, née en 1923 à Condal : "Encore un autre aspect de la vie de cette époque, qui remonte à ma toute petite enfance. Alors que j'étais bébé, ma maman a élevé un petit garçon avec moi : elle est allée le chercher à Paris. C'est la sage-femme qui avait fait l'entremetteuse : une famille parisienne dont le papa était dentiste à Pontarlier cherchait une nourrice pour leur petit garçon. Je l'ai entendu de la bouche de maman : elle m'a laissée sous la garde de quelqu'un puisque j'avais quelques mois, elle a pris le train pour aller chercher un bébé qui venait de naître à Paris. Il est retourné ensuite chez ses parents. Je me souviens qu'ils sont revenus par la suite en famille pour nous voir : je devais avoir huit ans. Puis on s'est perdu de vue. - Ce n'était pas un cas isolé : il s'agissait de nourrice à la campagne pour qui cela améliorait le quotidien. Des femmes ayant beaucoup de lait allaitaient également les enfants du voisinage quand les mamans ne pouvaient pas. - Je repense à quelque chose complètement révolue mais sur laquelle on va peut-être revenir : la cueillette de plantes médicinales pour la médecine de famille. Ma grand-mère collectait de la reine-des-prés qui avait la même efficacité que l'aspirine. De la sauge, pour les maux de ventre des femmes. La verveine : pas en plein champ mais en pot car elle craint le froid. Dans certains coins on semait de la camomille : pour digérer et pour les yeux. Et comme il y avait des bleuets dans les champs de blé partout, on avait aussi de l'eau de bleuet pour laver les yeux. - Qui faisait la tambouille de tout ça ? - Les femmes. - On avait des mortiers ? - Des mortiers en pierre, j'en ai vu partout mais pas utilisés : chez ma grand-mère, il était dehors, toujours plein d'eau pour les poussins. - Les plantes s'utilisaient surtout séchées de toute façon : en décoction, en tisane. - On faisait sécher aussi des fleurs de sureau que l'on utilisait pour les fièvres, les grippes. Dans un autre genre, les gaudes étaient souvent la première bouillie que l'on donnait à manger aux bébés. Le fait que la farine soit grillée, maltée, cela jouait sur la digestion du bébé. On mettait un peu de lait, peut-être un peu de beurre petit à petit. - Cet usage a été détourné par la blédine." Les activités au village sont souvent l'occasion de parler de l'ancien temps : "Dans les villages, quelques métiers ont disparu comme le tailleur. Chaque homme dans sa vie se faisait faire un costume, sinon deux : ceux qui ne grossissaient pas étaient mis dans leurs cercueils avec le costume de leur mariage. C'était un costume trois pièces, avec le gilet. A Condal, le dernier tailleur était Monsieur Bernard. Son épouse tenait une petite épicerie à côté : c'est pour cela qu'il y a deux devantures sur le bâtiment. - Et le sabotier ? - Il y en a eu plusieurs et mon papa est le premier que j'ai connu, forcément. - L'atelier était où dans le bourg ? - Il a changé d'endroit car avec son frère, le petit Marcel, ils sont acquis peu à peu des machines pour dégrossir le bois : des dégauchisseuses. - Et c'est quoi cette histoire de parapluies qu'il y avait tant dans le grenier au-dessus de cet atelier ? Tu n'as pas connu de parapluies là ? Moi j'ai ce souvenir de parapluies... - Oui, le grand-père réparait des parapluies : il changeait les baleines. Il passait aussi dans les maisons pour aiguiser les ciseaux. C'est lui qui faisait aussi les dents de moulin en bois . - Comment faisait-il pour réparer les parapluies ? - Ce devait être des parapluies fabriqués artisanalement que l'on pouvait démonter. Les baleines étaient en métal et les parapluies étaient achetés dans des maroquineries : il y en avait une à Saint-Amour. - Le Pépé Nicolas réparait aussi des horloges en plus. Tout se réparait à l'époque. - Il y avait aussi des rétameurs qui passaient pour redonner du brillant aux couverts : ça ne tenait pas bien longtemps... Ils passaient souvent avant la fête ou les battages. On en avait un qui venait de Louhans en vélo, qui s'installait au pays quelques jours." Au cours d'une conversation, Madeleine m'interpelle : " Dans votre livre , vous parlez de Ninin... - Vous l'avez connu ? - Oui, bien sûr... Privilège de l'âge... C'était un singulier personnage... - Ninin ?... - Ninin. Il devait s'appeler Ferdinand Pirat : les diminutifs étaient courants. - Que faisait-il ? - Il était colporteur. On lui achetait toujours quelque chose même si on n'en avait pas besoin, en prévision : des rubans, du fil, des choses basiques. - Il vendait l'Almanach de Louhans, du Père Jean-Claude, qui annonçait la météo pour 365 jours ! Il passait en vélo avec une grande caisse. - C'était en quelle année ? - 1928... Mais il est disparu il n'y a pas si longtemps. C'était un tempérament robuste : il ne craignait ni la pluie, ni la neige... Une année, il s'est intéressé à la politique et était candidat à une élection : dans son programme, il voulait faire les montées des routes à bascule. Il avait beaucoup d'humour mais prenait peu de temps pour faire sa toilette... - C'était différent de maintenant... Et c'était compliqué de se laver aussi. - Je n'ai jamais connu l'eau courante chez moi jusqu'à l'âge de vingt ans : j'allais chercher l'eau à la fontaine du village et on se lavait dans une bassine. Ce n'est pas si vieux : cela fait quarante ans. - Même à Paris, nous n'avions pas d'appartement avec la salle de bain : maman prenait le bac dans lequel elle lavait le linge et tous les dimanches ont se lavait dedans. En 1963, dans le 16ème arrondissement, le WC était sur le palier : on a acheté une douche pliante que je reliais à mon chauffe-eau d'évier. - Moi j'ai un souvenir, en parlant de se laver comme ça : mon père était un peu réfractaire à l'eau et au savon donc ma mère l'aidait à se laver. Un jour, nous avons dû nous absenter avec ma mère et il s'est retrouvé tout seul pour se laver dans la bassine. Je ne sais pas quelle idée lui a pris : il a mis de l'Omo dedans... - Il s'est fait un bain moussant ! - Il n'arrivait pas à se rincer : il a dû mousser un moment ! Et puis tu iras te rincer sans eau courante ! On voit qu'il n'avait pas l'habitude de se laver tout seul..." "Dites-donc, il me traverse encore l'esprit de quelque chose de l'époque. Les gens ne se faisaient pas beaucoup soigner les dents : on le sait. Mais la vue baissait aussi et les personnes qui lisaient achetaient des lunettes chez le buraliste. Il avait un assortiment de lunettes alors chacun essayait : "Ah oui, celles-ci me vont." - C'était des lunettes qu'il récupérait ? - Pas du tout. C'était des neuves, cerclées métal à l'époque et donc on allait s'acheter des lunettes en allant chercher son journal. - Comme ça tu savais tout de suite si ça irait pour le lire ! - Il était où ce marchand ? - Chez Madame Landry, à Condal. - C'était quand ça ? - Oh, dans les années 30... - On n'était même pas nées ! - C'est bien pour cela que je vous le raconte ! Madame Landry avait une pratique bien connue. Elle n'est plus là pour se défendre, pour dire que ce n'est pas vrai mais c'est vrai ! Elle se dopait à l'éther. Quand on entrait dans le bureau de tabac - je n'allais pas chercher mes cigarettes à cette époque mais on allait acheter des allumettes par exemple, des timbres -, elle avait souvent son mouchoir à la main, qu'elle portait à son nez. Quand on entrait, on n'était pas suffoqués, non, mais on était quand même surpris par cette odeur d'éther ambiante. C'était très rare à l'époque de rencontrer quelqu'un qui se droguait ainsi : la plus courante des "drogues" était la "gnôle". J'ai également un souvenir de Monsieur Landry : c'était quelqu'un de très sympathique qui ramassait les marrons d'Inde pour les mettre dans sa poche, afin de se préserver, de je ne sais quel mal. On sait que l'intrait de marron d'Inde est un produit pharmaceutique mais pour qui ? - C'est utilisé pour les rhumatismes et pour la circulation du sang. - C'est peut-être pour cela : ce monsieur avait toujours quelques marrons d'Inde dans ses poches. - Gamins, on nous les faisait ramasser, pour les laboratoires justement. - ... - Tu n'as plus rien à nous raconter Madeleine ?... - Je ne sais pas, ça vient comme ça... En tout cas, autour de cette table, je suis la seule à avoir eu une paire de sabots à ma taille étant bébé. Eh oui, mon papa faisait des sabots ! Je me souviens que les sabots des adultes étaient troués sur un côté dans lequel on passait une ficelle pour garder la paire ensemble. Les sabots des bébés avaient un trou de chaque côté pour passer un petit ruban et les tenir aux pieds. - Pourtant les bébés étaient emmaillotés dans le temps ? - Oui mais quand on est la fille d'un sabotier on a un traitement de faveur !"
C'est sur ces derniers témoignages, sur ces éléments de la mémoire, que se termine notre petite visite de Condal entreprise depuis avril 2013. Un grand merci à toutes celles et ceux qui m'accordèrent leur temps et leur confiance et me permirent de faire belles rencontres... A partir de la semaine prochaine, votre rubrique « Traditions bressanes » ne paraîtra plus . J’espère que les lecteurs assidus ne seront pas trop déstabilisés et réserveront un bon accueil aux prochains articles, toujours consacrés à la (re)découverte du patrimoine bressan.
Autrefois à Condal... (coll. part.)