Si l’on évoque avec plaisir, parfois même avec nostalgie, l’omniprésence des bistrots dans nos vieux bourgs ou nos villes, il faut tout de même se dire qu’ils avaient déjà réduits considérablement au tout début du siècle. En effet, on estime à dix par jour le  nombre de cafés disparaissant sur le territoire français après l’interdiction, le 16 mars 1915, de la consommation d’absinthe, la « fée verte » comme on l’appelait alors.
Immortalisée par Emile Zola dans son roman L’Assommoir, l’absinthe est une liqueur alcoolisée de couleur verte réalisée à partir de plantes amères et aromatiques dont une consommation accrue provoque d’importants dégâts sur l’équilibre nerveux. Ouvriers y noyant le quotidien ou artistes y trouvant l’inspiration créatrice étaient alors les plus touchés. De nos jours, alors qu’une version « allégée » a été mise sur le marché, le souvenir de la fée verte transparait à travers les cuillères à absinthe conservées précieusement d’une grand-mère ou chinées chez le brocanteur. Cette cuillère oblongue percée de trous, souvent en argent, une fois posée sur le verre dans lequel était la liqueur, recevait un morceau de sucre : on versait lentement dessus un peu d’eau qui s’écoulait alors par les trous de cette dernière, faisant ainsi fondre le sucre et allongeant la liqueur.
« Byrrh », « Cinzano », « Picon » autant de marques qui habillaient les murs des petits cafés comme des grandes brasseries grâce à leurs publicités, affiches, objets dérivés tels que les tapis de jeux de cartes. Que l’on vienne y boire un coup ou taper la causette, les cafés étaient un lieu convivial dans lequel on pouvait ne pas être vu. En effet, de nombreuses vitrines de cafés comportaient un décor gravé dans leur partie inférieure si bien que depuis la rue on ne puisse reconnaître les personnes attablées… jusqu’en 1939 où la réglementation imposera que les forces de l’ordre puissent d’un seul regard contrôler l’identité des consommateurs… Adieu les belles gravures ? Nullement. Les tenanciers inversèrent tout simplement le sens de ces vitres : les mettant la tête en bas, les gravures se retrouvèrent dans la partie supérieure et ne gênèrent nullement le travail des forces de l’ordre…