Mais si on entendait des rires, on entendait surtout le bruit des meules actionnées à l’intérieur de la bâtisse. C’est à l’époque carolingienne que se multiplient les premiers moulins à eau mais l’installation d’un tel bâtiment demandait un investissement important que seule l’aristocratie pouvait supporter. C’est donc le seigneur qui édifiait le moulin sur ses terres et en prélevait une sorte d’impôt, une « banalité », appelée « émoulument » : le paysan était obligé d’utiliser le moulin seigneurial pour moudre son blé et confectionner son pain et le meunier prélevait aussi pour le seigneur 1/24 de la farine de la mesure moulue.
Dans l’Ancien Régime, en effet, le meunier moud le grain à façon offrant ses services contre rémunération : c’est de la mouture de pratique dont dépend la production et la consommation du pain de ménage mais le meunier ne peut en aucun cas user de son savoir pour exercer le métier de boulanger, et vice versa d’ailleurs.
Malgré sa haute fonction et son rôle primordial au sein de l’économie familiale mais aussi villageoise puisque c’est lui qui jouit des droits d’eau, le meunier, entre le Moyen-âge et la Révolution, est jalousé. On lui donne du « Messire » ou « Maître » et, bien qu’issu du peuple, il fait partie des notables. Beaucoup ont mauvaise réputation notamment à cause du mode de paiement en nature où il serait aisé de prélever plus que son dû : « Sous la peau d’un meunier, on est toujours sûr de trouver un voleur », dit un proverbe.
N’empêche que le meunier passait aussi pour un sorcier, un guérisseur, comme le forgeron : on lui attribuait le pouvoir, hérité de son patron saint Martin, de guérir l’enchape, maladie des ganglions. Il peut aussi faire disparaitre les rhumatismes en frappant la partie malade à l’aide de son marteau à rhabiller.
Car si c’est tout un savoir de transformer le blé pour nourrir ses semblables, il en est un autre de rhabiller les meules. Le principe de la mouture est simple : le grain s’écoule entre des meules, du centre à leur périphérie pour extraire le gluten de son enveloppe puis l’écraser de plus en plus finement. Pour ce faire, les meules sont striées selon un dessin particulier devant être entretenu régulièrement. Ce rayonnage (nom donné au dessein) est « repiqué » tous le sans pour palier à l’usure effaçant les stries. Le « rhabillage » avait lieu plus souvent : à l’aide de marteaux spéciaux, on cure les sons incrustés dans le rayonnage. C’est un vrai savoir qu’exerçaient des spécialistes offrant leurs services de moulin en moulin ou que le meunier maîtrisait lui-même.