Traditions bressanes

Après avoir évoqué la semaine dernière la place du notaire au village, nous allons désormais nous intéresser à différents personnages clés de la vie communale en milieu rural, à commencer par le médecin.
Contrairement à aujourd’hui, où statistiquement la crise des vocations de médecins souhaitant exercer à la campagne est flagrante, autrefois on avait recours aux soins de ce dernier qu’en cas d’extrême nécessité.
Avant la Révolution, le nombre de médecins en France est infime : il faut faire de longues études coûteuses dans l’une des trois facultés dispensant des cours (Paris, Strasbourg et Montpellier) le tout avec un enseignement peu performant. Il était alors plus aisé de devenir chirurgien, ce dernier ne soignant que les plaies externes.
Jusqu’en 1714, chirurgiens et barbiers sont considérés comme étant une seule et même profession, les chirurgiens-barbiers ayant pour fonction de raser, saigner, purger et soigner les petits mots quotidiens. Ayant moins de connaissances, ils sont pourtant plus souvent sollicités que les médecins en milieu rural car non seulement leurs tarifs sont moins dissuasifs mais surtout ils sont plus proches du peuple. Bien souvent, ils exercent dans leur région d’origine, ils sont fils de commerçants ou d’artisans du village, ils parlent le patois…
Appelés chirurgiens de « légère expérience », ils pratiquent souvent une autre activité pour survivre. Ces médecins du peuple parlent le même langage que leurs clients, ils se vêtent de la même manière et partagent leurs habitudes et coutumes mais leurs compétences se résument essentiellement à la lancette (instrument à lame plate utilisée pour la saignée et pratiquer de petites incisions) et au clystère pour effectuer des lavements.
Une première grande réforme apparaît grâce à Louis XIV qui ne fait qu’une seule discipline des deux matières, chirurgie et médecine. Puis la Révolution fait table rase des organisations passées, même les hôpitaux sont vendus et il suffit de payer une patente pour avoir le droit de pratiquer en tant que médecin… Inutile de dire que cette législation ne dura pas longtemps, juste le temps de voir apparaître de nombreux charlatans…
Par la suite, une deuxième catégorie de médecins est créée : à côté des « grands » suivant les cours dispensés à des prix exorbitants pour l’époque (1 000 à 1 500 francs par an), on instaure un corps d’officier de santé, praticiens de « second rang » ayant réussi un examen après trois ans d’études (200 francs par an) ou cinq ans de pratique dans un hôpital ou six ans d’apprentissage chez un docteur. A l’image du Docteur Bovary de Gustave Flaubert, ces officiers ne peuvent exercer en dehors de leur département d’origine et doivent recourir à l’aide d’un docteur « véritable » pour les opérations importantes.

Après avoir évoqué le travail de l’arpenteur sachant « dire la terre », intéressons-nous à celui sachant lire et rédiger les actes importants de la vie, le notaire.
Le notariat tel qu’on le conçoit aujourd’hui est né en Italie aux 12ème - 13ème siècles avant de s’étendre au Royaume de France via le Midi. Trois types de notaires coexistent alors : le notaire ecclésiastique, seigneurial ou royal, chacun dépendant et s’occupant des affaires de l’Eglise, du seigneur ou du Roi. Après la Révolution, ces distinctions n’existent plus, seule demeure la différenciation de compétences : pour être valable, un acte devait être fait dans une zone géographiquement bien limitée ; aujourd’hui les notaires peuvent agir sur tout le territoire français quel que soit l’emplacement de son étude.
A l’origine, le notaire est ambulant : il est présent sur les foires, les marchés dans un petit box où les passants peuvent recourir à ses services ; les études n’apparaîtront qu’au moment où des clercs seront dévoués à aider les notaires dans leur travail quotidien, au 18ème siècle.
La situation sociale du notaire variait en fonction de la région dans laquelle il exerçait : fonction accessible en passant un examen devant ses pairs, le notariat avait l’avantage de permettre à un jeune travailleur et ayant des capacités intellectuelles d’accéder à ce poste. Cependant, les juristes sortis de l’Université dénigraient quelque peu ces « gratte-papiers » surtout s’ils exerçaient en milieu rural.
C’est justement en milieu rural que le notaire tient une place importante : il est souvent le seul à savoir lire avec le curé et c’est à lui que se remet une famille entière par la rédaction des grands actes de leur vie. Sorte de législateur privé, il conseille et oriente les parties et  joue un  rôle considérable dans la transmission des biens, la pérennité de la famille et l’exécution post mortem des vœux de ses clients.
Le notaire établit essentiellement des contrats d’achat et de vente, des testaments, des inventaires après décès et des contrats de mariage : ces trois derniers documents constituent des sources considérables pour le travail des historiens ou généalogistes. Avec le testament, on connaît les volontés de l’intéressé et on peut supposer selon celles-ci s’il est catholique, janséniste, protestant… L’inventaire après décès permet de connaître tous les biens d’un homme à un moment précis de sa vie : il nous éclaire sur la façon de vivre au quotidien par la présence, l’absence ou l’importance de certains biens. Enfin, le contrat de mariage donne énormément d’informations sur les familles impliquées et parfois sur les raisons d’une union : si une sœur et un frère épouse au même moment un frère et une sœur, on peut supposer qu’il y a eu échange de dots…
Tous ces documents se transmettaient de génération en génération, rangés dans un lieu sûr ou bien même en l’étude du notaire chez qui la famille allait et qui, en cas de cessation d’activité de ce dernier, allait chez son successeur.

En Bresse, les moulins étaient nombreux du fait de l’omniprésence de l’eau. Trois types de structures existaient, utilisant toutes les forces hydrauliques : les moulins sur rivière ou sur ruisseau, les plus courants ; les moulins-étangs ou à ban sur plans d’eaux naturels ou artificiels ; et enfin les moulins à nef appelés également moulins flottants ou moulins-bateaux. Présents autrefois sur la Saône et dans la basse vallée du Doubs, ces bâtiments étaient amarrés et avaient l’avantage de suivre le mouvement des cours d’eau sans gêne des crues. Deux moulins à nef ont subsisté en Bresse jusqu’au 20ème siècle : le moulin de Navilly démonté en 1915 et celui de Pontoux, démoli en 1923. Enfin, à l’importance des moulins en Bresse se lie la consommation d’un produit-phare, les gaudes, qui nous a valut le surnom de « ventres jaunes ». Depuis l’introduction de maïs en Bresse au 17ème siècle, cette production s’est insérée dans le quotidien des Bressans aussi bien pour l’engraissement des volailles que pour la consommation humaine notamment à travers les gaudes, terme désignant à la fois la farine de maïs préalablement torréfiée et la bouillie faite avec elle. La mouture des gaudes exigeait un savoir-faire particulier : déjà, on la travaillait en petite quantité, en fonction de la quantité apportée par chaque famille ; ensuite la mouture nécessitait  une finesse de grain supérieure à celle du froment d’où l’utilisation d’une paire de meules rhabillées selon un rayonnage différent, spécifique à cet usage. Autrefois base de l’alimentation en Bresse due à son faible coût de préparation mais aussi à son aspect compact « tenant au ventre » comme on dit, les gaudes étaient un féculent pouvant parfois remplacer le pain. On en mangeait matin, midi et soir, parfois agrémentées de lait, de sucre… pour varier un peu : c’était en quelques sortes le plat quotidien, presque le plat du pauvre. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, on s’est remis à en consommer pour palier aux restrictions et rationnement. De nos jours, elles sont remises à la mode grâce à certaines minoteries produisant la farine mais également en accompagnant le produit de sa torréfaction à son aboutissement : la farine sert à faire des liants, est ajoutée à d’autres ingrédients en pâtisserie, sert de panure à la friture ou aux cuisses de grenouilles mais on trouve aussi des petits gâteaux à base de gaudes et même de la bière ! On n’arrête pas le progrès…  

Le moulin de l’Abergement est l’un des moulins rythmant les cours d’eau traversant Sainte-Croix.