Traditions bressanes

« Nous avons fait notre première communion il y a quelques dimanches. Nous sommes heureux, contents de ne plus aller au catéchisme tous les jours à midi pendant que les autres s’amusent, et aussi de ne plus avoir à faire à la vieille demoiselle qui nous faisait la leçon que je n’ai jamais vu ni rire ni sourire, un visage rébarbatif, le menton orné de quelques touffes de poils blancs !…
Contents aussi parce que, en ce temps là, « faire ses Pâques » était quelque chose qui comptait dans la vie. Quand les adultes parlaient d’un jeune, souvent, ils disaient : « Il est grand maintenant : il a fait ses Pâques ». Cela nous donnait un air de petit jeune homme… Et puis si nous allions à la messe le dimanche, nous avions droit à un banc spécial derrière l’autel ; les filles, pour peu que leurs parents soient pratiquants, entraient au chœur de chant !…
Mais il y a avait aussi la « retraite ». Pendant trois jours nous allions au presbytère, nous mangions tous ensemble à midi le repas que maman nous avait préparé, et nous étions presque avec les filles : cela nous plaisait beaucoup. En général, monsieur le Curé faisait venir un autre prêtre, un missionnaire, en général très cool. Nous allions faire une prière au pied des calvaires (il y en avait un dans tous les hameaux) ; il nous montrait des diapos de l’Afrique Noire : cela nous plaisait. Samedi c’était la confession : la retraite était finie !
Le dimanche, la messe était toujours assez tôt du fait que l’on ne mangeait rien avant la communion. Nous, les garçons, on était tous habillés de la même façon : un costume bleu marine acheté exprès, souliers noirs, un brassard blanc au bras droit. Les filles avaient de grandes robes, souliers blancs, une couronne blanche. Tous, nous tenions notre missel à la main.
La messe était dite par le missionnaire mais notre curé ne manquait jamais de monter en chaire pour rappeler que certains n’avaient pas payé leur place de banc, que beaucoup donnaient peu au denier du culte et surtout qu’il ne fallait pas profiter  de la première communion pour faire un banquet et boire plus que de raison…
J’ai retrouvé dans le livre de cuisine de ma mère le menu de ma communion ! Bouchées à la reine, poulet à la crème, haricots verts, rôti de veau, salade ; arrosés de bon vieux vins de qualité supérieure que l’on mettait en bouteille à la maison. Il y avait même du mousseux acheté en contrebande à un producteur de Beaufort. On n’écoutait pas monsieur le Curé !...
La première communion réunissait la famille, les parrains, les grands-parents, parfois des oncles. Tous avaient offert un cadeau : les uns le missel, le chapelet, d’autres une montre, un petit portefeuille, parfois une enveloppe avec un petit billet.
L’après-midi, à trois heures, c’était les vêpres et pour nous, communiants, nous avions une cérémonie dont je ne ma rappelle plus le nom avec chacun un cierge à la main. Nous allions prier devant l’autel, les femmes de la famille accompagnaient, les hommes restaient à table discuter des travaux des champs et de la situation de la culture, fumaient et trinquaient. Au retour des vêpres, il y avait le dessert, crème au chocolat et gâteau mousseline, sans oublier la goutte forte et douce.
A la nuit, c’était les aux revoir. La première communion était finie ! »

« Nous allons battre à la machine samedi ! Mais aujourd’hui jeudi, pour les femmes de la maison, mère et épouse, la corvée a commencé : il faut faire le ménage partout, laver « l’huteau » où on fera la cuisine, « la grande chambre » où l’on va mettre les tables, tout cela à grande eau, avec l’eau tirée du puit. Il en faut une trentaine de seaux pour chaque pièce, frotter les sols au lave-pont, donner un coup de cire aux meubles et puis descendre les tables à tréteaux qui sont au grenier : elles ne servent que pour la « machine ». Il faut aussi préparer un lit pour coucher « les mécaniciens ». C’est à faire aujourd’hui, demain on fera appel à une voisine pour préparer la bouffe pour quatre repas de vingt-cinq personnes.
Vendredi
Toute la ferme est levée de bonne heure. Il faut saigner la volaille, trois poules, trois poulets, trois lapins, plumer la volaille à l’eau chaude, la vider, dépiauter les lapins : cela représente un bon boulot. Une fois cela fait, si les femmes jugent que cela sera un peu juste, on ira chez monsieur Boivin, boucher, commander un morceau de bœuf pour compléter avec les poules et un rôti, plus la charcuterie, en général saucisson cuit et pâté. Il fallait également préparer le fromage gras qu’on mélangeait avec du beurre et de la crème, tout cela produit à la ferme. Quand cela était prêt, il fallait mettre les tables et les couverts, les bancs et les chaises… puis préparer les légumes : souvent des haricots verts ou demi mûrs.
Samedi
En général, la machine était en place depuis la veille. Elle était à monsieur Courville de Sainte-Croix, conduite par monsieur Palanchon Camille de Sagy, avec deux ouvriers chargés de mettre les cubes dans la batteuse.
Au petit jour, les premiers voisins arrivaient, piquaient leurs fourches dans la cour et entraient boire le café : il y avait la goutte sur la table mais à vrai dire, très peu en prenait. Au jour, la batteuse se mettait à tourner entraînée par un gros tracteur « CASE » rescapé de la guerre 14-18.
Chacun prenait sa place : en général, cela ne variait guère d’une année à l’autre. Deux aux sacs : c’était deux amis de toujours, anciens commis de la ferme. Ils faisaient des sacs de 80-85kg et les portaient au grenier distant d’au moins cinquante mètres. Quatre sur la machine, en général les plus faibles : ils pouvaient se changer assez souvent. Cinq à la grange pour avancer les gerbes et les mettre sur la batteuse. Trois au paillis : toujours les mêmes, des spécialistes. Sept à la paille qui se portait encore en « vrac », c’est-à-dire non liée. Et deux au « ballo », les plus âgés, qui avaient le temps de faire une cigarette en buvant un canon !
A huit heures, la batteuse s’arrêtait et on allait « dîner » une soupe à l’oignon au lait dite soupe blanche, une omelette et du fromage. A huit heures et demi, le travail recommençait. De temps en temps, les uns allaient boire un café ou un canon. A midi, la batteuse s’arrêtait et après s’être lavés les mains dans des seaux préparés à cet effet, tout le monde allait à table : potage, poule bouillie, légumes, rôti, fromage, café avec une petite « goutte »…
A treize heures trente, la « machine » se remettait en route et chacun prenait sa place jusqu’à seize heures trente : à ce moment, on cassait une petite croûte (saucisson, fromage, beurre) un quart d’heure, vingt minutes et à nouveau le travail reprenait.
Les gens étaient bien fatigués : la chaleur, la poussière, l’effort avaient raison des plus costauds. Dans l’après-midi, il y avait toujours une jeune fille ou jeune femme qui passait avec un litre de vin et un litre d’eau : il arrivait que la journée finie, certains étaient doublement fatigués ! Puis la batteuse tournait à vide : la paille était finie ! Il restait les débris de paille, les balayures de la grange : cela faisait une poussière terrible ! Au bout d’un quart d’heure, la batteuse s’arrêtait : c’était fini !...
Tout le monde se rejoignait autour des seaux d’eau pour se laver et se brosser ; certains avaient apporté une chemise et se changeaient. Une fois cela fait, les gens se sentaient plus ragaillardis. Alors mon père venait à la porte et faisait entrer tout le monde. Là chacun s’asseyait à table : les anciens de la 14-18 ensemble, puis les anciens prisonniers et enfin les jeunes. Cela commençait par le potage aux légumes, le lapin, les haricots, le poulet rôti, le fromage, le café et la goutte.
Jusqu’au milieu du repas, tout était calme… puis les voix venaient plus fortes : les anciens de 14-18 étaient à nouveau à Verdun et sur la Marne, les prisonniers retournaient au Tyrol ou dans les usines allemandes, les jeunes, eux, parlaient des femmes et sortaient de grosses blagues parfois bien salées ! Mais il  a soixante ans, les jeunes femmes ou filles n’étaient pas des « oies blanches » et cela ne les gênait pas trop !... Parfois, certains y allaient pour une petite chanson : « La chanson des blés d’or », « Za-Za et Zi-Zi », « La femme aux bijoux » étaient le répertoire le plus courant. Puis la fatigue revenait, les discussions s’arrêtaient, et après une dernière petite « goutte » quelques-uns se levaient et tout le monde suivait. Après s’être souhaité le bonsoir, chacun rentrait retrouver la « patronne » qui avait fait tout le travail à la maison et était bien fatiguée aussi !...
Je voudrais dire que même dans les exploitations de quatre ou cinq hectares où l’on ne battait que trois heures, il y avait moins de monde mais les repas étaient aussi copieux et aussi arrosés que dans les fermes. Pour la « machine », grosse exploitation ou petite, tout le monde était content d’avoir travaillé avec les voisins et passé un bon moment ensemble : la fatigue était vite oubliée… »