Traditions bressanes

Mettons-nous un instant dans la peau d’un bressan ou d’une bressane fraîchement débarqués de leur pays natal à l’occasion d’une Exposition Internationale ou pour suivre en tant que bonne une famille dans leur vie parisienne… Que de nouveautés devant un bâtiment tel que le « Printemps » : poutrelles métalliques et verrières annonçant le style Art Déco émerveillent un esprit dont les souvenirs sont emplis de fermes en pans de bois et de la « Grande Rue » des arcades à Louhans !
Et puis les techniques de vente sont différentes : il s’agit de vendre beaucoup et à bas prix, de permettre l’entrée libre des clients, d’afficher des prix fixes (alors qu’ils pouvaient parfois être « à la tête du client »…). On peut échanger ou être remboursé d’une marchandise et pour attirer le client, il s’ passe tous les jours quelque chose : soldes, promotions, semaines spéciales, expositions à thèmes… Tout le commerce que nous connaissons actuellement, même sous les arcades, s’invente durant la deuxième moitié du 19ème siècle à Paris et dans les grandes villes de France.
Comme tous les aspects de la modernité (électricité, eau courante, réseaux de communication divers et variés…) tout cela arrivera peu à peu dans nos campagnes. Si certains de nos bourgs bressans connaissaient une certaine animation et importance dans la région, c’est bien grâce à leurs commerces et à leur artisanat, longuement évoqués ensemble depuis quelques mois dans les colonnes de L’Indépendant. La fin du Second Empire, en raison du développement industriel et agricole, verra naître le début de l’essor commercial : les grands magasins de Paris répercuteront alors petit à petit les modes et tendances et les objets manufacturés s’étendront à l’ensemble du territoire.
Au cours du 20ème siècle, le bruit du marteau du forgeron sur l’enclume se fera plus rare dans le bourg, le marché du village se réduira à quelques étals, le caramel ne sera plus à un franc mais leurs souvenirs resteront… pour un temps…

Lors des chantiers d’abattage, des camps se construisaient dans les bois. Sur ces chantiers, les bûcherons côtoyaient les charbonniers, affligés d’une mauvaise réputation en raison de leur apparence (mains et visages noircis par la suie). Ils commençaient par ramasser du bois puis construisaient le fourneau appelé « meule », art difficile exigeant de bien prévoir la circulation de l’air pendant la combustion tout en assurant l’étanchéité de l’ensemble. Après la mise à feu, la meule ne devait pas s’éteindre pendant au moins 48 heures : une fois refroidi, le charbon de bois était mis dans de grands sacs contenant environ dix décalitres soit une trentaine de kilos. D’autres professionnels spécifiques évoluaient dans cette atmosphère : débardeur, élagueur, fagotier, empileur ou encore chapuisier dont l’activité s’éteindra avec l’arrivée du scieur de long.
Lui aussi est une figure des campagnes bressanes disparu avec la généralisation des scieries mécaniques mais souvent repris dans les fêtes de battages et autres manifestations à caractère folkloriques. Avant de passer à l’étape du sciage, les billes de bois débitées à l’aide du passe-partout étaient aplanies sur deux faces parallèles afin de recevoir le tracé de la coupe en long. Après avoir fixé et calé la bille sur le chevalet, les deux ouvriers se mettent en place : le « singe » ou « chevrier » est en équilibre sur la bille et en contrebas le « patron » ou « renardier », jambes écartées, guidait la scie appelée « guitare » ou « belle-mère » et la poussait, cependant que le premier la tirait.
Toutes ces professions liées au travail du bois étaient réputés dures du fait des conditions climatiques hivernales et quotidiennes : un dicton disait d’ailleurs qu’aucun scieur de long n’allait en enfer car ils l’avaient connu sur terre.
 
Les reconstitutions et autres fêtes « folkloriques » étaient l’occasion de retrouver des savoir-faire d’autrefois comme celui des scieurs de long ici à Sainte-Croix.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les différents petits métiers rencontrés au détour des chemins de Bresse mais aussi sur ceux des villes que certains Bressans expatriés pour des raisons souvent « professionnelles » ont pu voir.
Le petit ramoneur savoyard, l’allumeur de réverbère, la vendeuse de journaux, la marchande des quatre-saisons ou encore le « bougnat » vendant et livrant du charbon. Pour l’anecdote, concernant ce dernier, au 19ème siècle, le charbon a permis à Paris la reconversion des porteurs d’eau auvergnats dont l’activité baissait en hiver alors que la vente du charbon augmentait. Ces marchands de charbon seront vite connus sous le nom de « bougnats », sans doute l’abréviation de « charbougnat », « charbonnier » prononcé avec le prétendu accent que leur prêtaient les Parisiens…
A côté de ces petits métiers urbains, des petits étals rythmant les rues des moyennes et grandes villes, de nouveaux établissements vont voir le jour durant la seconde moitié du 19ème siècle à Paris puis ailleurs : les grands magasins.
Alors qu’en Bresse le gros du « commerce » pour les besoins familiaux se fait sur le marché du village ou le lundi sur celui de Louhans, que les hommes s’en vont à la foire traiter avec les maquignons et que les valets et domestiques s’engagent à la Saint Martin, ces dames de la capitale vont « Au Printemps », le plus élégant des grands magasins fleurissant alors à Paris.
Ouvrant ses portes en 1865, cet établissement est l’œuvre de Jules Jaluzot, ancien chef de comptoir au « Bon Marché » le tout premier grand magasin. L’homme est précurseur d’un commerce d’un genre nouveau : offrir sous un même toit la marchandise la plus variée qui soit.

Pour continuer ce petit tour d’horizon des métiers itinérants, intéressons-nous à l’activité des forestiers et scieurs de long. En Bresse, pays parsemé de bois (souvent appelés « rippes »), chacun se rendait en hiver, là où l’activité agricole est au repos, dans les bois communaux ou sur sa propriété pour « aller au bois » comme on dit. On coupait le bois de chauffage et à l’aide de « gouya » et autres « serfouettes » on nettoyait, essartait et entretenait ces espaces boisés. Pour certains Bressans, cette activité liée au travail du bois était quotidienne lorsqu’ils étaient forestiers ou encore scieurs de long. Certains étaient sédentaires, travaillant à la journée ou à la semaine, dans leur région. Jusqu’au début du 20ème siècle, les scieurs itinérants étaient d’origines et de modes diverses. Existaient ceux se déplaçant dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres autour de leur village. Reconnaissables à leur besace sur l’épaule et à leur outillage, ils travaillent de maison en maison, chez des particuliers ; généralement, ils sont scieurs durant la mauvaise saison et paysans aux beaux jours. On rencontrait ensuite les scieurs ambulants, parcourant inlassablement les campagnes à la recherche de quelconque travail espérant en échange trouver nourriture, hébergeage et pourquoi pas quelques pièces. Sans attache familiale ni résidence fixe, ils côtoyaient les scieurs immigrants, chassés de leurs pays pour des raisons économiques ou politiques, et les migrants ou émigrants, essentiellement du Massif Central.

Avec l’industrialisation, certains hommes travaillaient  dans une scierie et partaient de temps en temps dans les forêts en chantier : c’est ce que faisait mon grand-père paternel travaillant à la scierie Prabel à Frontenaud.