Traditions bressanes

Les merceries étaient également un lieu où la mode avait à voir, que l’on veuille agrémenter un corsage de dentelles ou confectionner entièrement un habit. Semblables aux petites épiceries déjà évoquées, il y avait énormément à voir dans les merceries : rubans, boutons, épingles, galons, dentelles, fils à coudre ou à broder, fermetures à glissières, pelotes à épingles, élastiques, boîtes à ouvrage, dés à coudre, agrafes, œillets, patrons, œufs à repriser, craies à bâtir, canevas, ciseaux à broder… mais aussi cols durs, manchettes en celluloïd et fixe-chaussettes pour ces messieurs…
D’autres activités ont évolué comme le cordonnier remplaçant le sabotier ou la blanchisseuse la repasseuse. Le sabotier, personnalité incontournable de nos communes bressanes jusqu’à – à quelques exceptions près – ce que la mode puis l’arrivée des tracteurs ne détrône le sabot au profit de souliers ou de galoches : et oui pas facile de monter sur un tracteur en sabots !...
Le cordonnier est avant tout sollicité pour réparer les chaussures, denrée de luxe qui accompagnait  souvent toute la vie de celui qui les portait. Le ressemelage était ainsi chose courante et dans l’échoppe flottait une odeur particulière due à une vieille casserole qui, posée sur un réchaud, faisait barboter en permanence la colle nécessaire aux réparations des chaussures. Des outils spécifiques trônent près de l’établi : un rouleau à cylindres pour resserrer les pores d’une pièce de cuir, une pince à monter pour coudre une chaussure à la main, une roulette à devant pour imiter les points de couture, un pied à coulisse gradué pour mesurer la longueur d’un soulier et une presse pour découper les semelles. Des tranchets – lames d’acier servant à couper le cuir, une machine à coudre, un marteau, des pinces, des ciseaux, des crochets et des boîtes remplies de clous, agrafes et  œillets complètent la panoplie.
Enfin, le cordonnier fabrique des souliers sur mesure afin de répondre aux attentes des clients les plus avertis comme ceux exigeant que les semelles soient cousues à la main. Pour ce faire, l’artisan utilisait du ligneul – fil de chanvre enduit de poix et d’huile de lin, dont l’extrémité était garnie de soie de porc ou de sanglier – et, pour éviter d’abîmer le cuir, enfilait une mitaine en cuir.

Autre temps, autres modes, autres besoins. Au début du 20ème siècle, et avant tout lors de l’entre-deux-guerres, de nouvelles échoppes font leur apparition dans les bourgs ruraux, allant de paire avec l’abandon du port du costume traditionnel.
Comme nous l’avons longuement évoqué il y a quelques mois, le costume bressan, comme la plupart des costumes régionaux ou locaux, ont subi l’arrivée des nouvelles modes, celles des grandes villes colportées par les catalogues et les magasines de mode mais ont également été détrônés par celles-ci pour des raisons de praticité et de renouveau des modes de pensées et des façons de vivre, le tout accéléré par la première guerre mondiale. Les femmes travaillent plus ou du moins différemment, les hommes ont quitté la campagne pour des contrées alors inconnues pour se battre, bref, la modernité et le progrès sont venus frapper aux portes des chaumières de Bresse comme ailleurs.
Alors que, comme pour l’alimentation, l’idéal vestimentaire reposait sur l’autoproduction notamment par le travail du chanvre, on s’approvisionne de plus en plus sur les bancs des marchés en tissu afin de confectionner de nouveaux vêtements, vêtements que l’on change plus souvent et dans lesquels on tend à rechercher plus de fantaisies.
Avec la perte des costumes traditionnels qui débuta dès 1850, ce sont certains métiers tout-à-fait particuliers qui disparaissent tels que les repasseuses de coiffes ou les sabotiers, savoir-faire déjà évoqués dans ces lignes.
A l’inverse, avec l’arrivée de la mode citadine, de nouvelles échoppes voient le jour, à commencer par celle du tailleur. Boutique ou simple atelier de confection dans lequel travaillent quatre à cinq filles du pays, on essaye ainsi de transformer la paysanne en dame des villes notamment en introduisant la mode du corset. La mode était alors pour ces dames à afficher une véritable taille de guêpe grâce à ce sous-vêtement qui nécessitait souvent l’aide d’une femme de chambre pour serrer convenablement les lacets. La publicité vante alors les corsets « Justaukor », les buscs – ces petites languettes placées du corset et qui en sont le fondement – « V’lan », ou encore les « Corsets Docteurs » qui se donnaient une légitimité médicale pour charmer la clientèle. Les corsetières attachaient énormément d’importance au baleinage du corset autrefois réalisé en fanons de baleines – d’où ce nom – donnant rigidité et maintien donc confort à la pièce.

Autre apparition, celle des modistes ou chapeliers, là encore liée à la mode parisienne : le symbole un peu caricatural de l’entre-deux-guerres n’était-il pas le villageois portant son costume « citadin » - les messieurs s’étant également mis à la mode bien évidemment – et son épouse en chapeau à fleurs ?... C’est d’ailleurs à cette époque que des groupes folkloriques, inquiets de cette uniformisation nationale cherchent à fixer le souvenir des costumes régionaux en les adoptant pour se produire.
Là où pour les filles de bonnes familles urbaines il était impensable de sortir « en cheveux », les Bressanes abandonnent leurs coiffes traditionnelles pour de grands chapeaux extravagants importés de la ville ou confectionnés par de petites mains locales.
Comme la coiffe bressane était un indicateur social, il en était de même au départ pour les chapeaux des messieurs : casquettes pour les ouvriers et artisans, chapeaux de feutre pour les cadres et patrons, melons noirs pour les « dandys », chapeaux haut-de-forme pour les soirées et les cérémonies – dont le « chapeau-claque », un haut-de-forme qui se mettait à plat pour prendre moins de place dans les armoires, chapeaux à larges bords pour les artistes ou les marginaux, chapeaux de paille, canotiers ou bérets pour les paysans, képis et bonnets de police pour les militaires, bref tout le monde était coiffé par le chapelier.
Pour être à la mode et que leurs clientes soient chapeautées comme à Paris, les modistes « rurales » étaient abonnées ou se procuraient plusieurs revues féminines. Découpant les gravures de mode, elles les collaient dans des cahiers ou directement aux murs de l’échoppe, les montrant comme une espèce de catalogue aux clientes.
Quelquefois, elles réalisaient entièrement un modèle qu’elles exposaient dans leur vitrine avec l’écriteau « En provenance directe de Paris »… A partir de formes à chapeaux standards, bibi ou chapeau-cloche prenaient un aspect particulier grâce à l’imagination et au talent de la modiste qui y adjoignait rubans et autres fantaisies qu’une belle boîte à chapeau venait protéger… 

Autre commerce que l’on voit encore aujourd’hui, et qui fait beaucoup parler malgré lui : le bureau de tabac, repérable à sa « carotte ». De forme rouge et oblongue, cet objet adopté comme enseigne par les buralistes de tous bords représenterait, dit on, le fait qu'un morceau de carotte placé dans un paquet de tabac aide à conserver sa fraîcheur... Beau et rigolo comme explication…mais apparemment totalement faux !
En vérité, c'est que le tabac était à l'origine produit et vendu sous forme de petits rouleaux de quelques centimètres de long, rouleaux que l'on devait râper aux extrémités pour récupérer les feuilles de tabac à mâcher ou à fumer. D'où cette allure de "carotte". Ce mode de consommation du tabac a perduré un temps chez les fumeurs de pipes et les chiqueurs, mais depuis les années trente, la carotte de tabac n'est plus visible que sur les enseignes des buralistes, dans une version stylisée.
Souvent, les bureaux de tabac étaient tenus par les veuves de guerre qui obtenait du gouvernement leur tenue comme élément de pension. Une multitude de petits objets et paquets se côtoyaient : paquets de tabac gris carrés, boîtes d’allumettes, petits blocs de papiers à cigarette, pots et blagues à tabac, briquets à essence et à amadou… Des objets délicats dignes de l’échoppe d’un horloger étaient posés sur le comptoir : petite balance car le tabac était vendu au poids sous sa forme naturelle avant d’être râpé ou réduit en poudre par des appareils spécifiques, cornets en papier gommé dans lesquels étaient vendus le tabac ou encore curieuse machine servant à rouler des cigarettes. En effet, la plupart des fumeurs roulaient eux-mêmes leurs cigarettes, acheter des paquets tous prêts étant un luxe : certains buralistes se procuraient donc une petite machine permettant de fabriquer des « roulées », ou des « cousues » pour une petite clientèle d’habitués.
Enfin, pour augmenter ses revenus, le tenancier du débit de tabac tenait un comptoir de presse proposant des magazines comme L’Illustration, Le Miroir, Le Jardin des Modes… ou des quotidiens comme Le Petit Parisien, L’Aurore…
Les époques changent, les habitudes aussi : nous évoquons un temps, pourtant pas si lointain du nôtre, où le tabac était indissociable de la vie paysanne, où on chiquait à longueur de journée et où il apparaissait comme un véritable remontant à l’image des soldats que l’on ravitaillait en tabac. Le temps passe vite n’est-ce pas ?...