Traditions bressanes

Son atelier ne désemplit pas : tôt le matin jusque tard le soir, habitués ou gens de passage viennent lui demander une bricole. C’est aussi chez lui que les hommes du village se réunissent pour causer politique, agriculture…
Forgeron, taillandier, maréchal-ferrant, magicien du fer, il peut se faire aussi guérisseur, dentiste et vétérinaire : son marteau, comme celui du meunier, a le pouvoir de guérir. En Corrèze par exemple, il le brandit au-dessus d’un enfant étendu sur son enclume : ce simulacre était supposé guérir du « carreau », maladie d’origine tuberculeuse autrefois très répandue dans cette région.
Sous la protection de Saint Eloi (également patron de tous ceux travaillant le fer, des orfèvres et des artisans liées aux chevaux : bourreliers, charrons, muletiers, agriculteurs…), son importance au sein de la communauté se retrouve aujourd’hui à travers la diversité et l’étendue des patronymes qui en sont dérivés. Chez nous, il s’agit des Faivre, Favre, Faure mais ailleurs en France ils se déclinent en Lefe(b)re, Maréchal, Le Goff, Schmitt… en Smith en Grande-Bretagne, Ferrari en Italie, Herrero en Espagne…
A métier universel, reconnaissance universelle, d’ailleurs, le Vendredi Saint est le jour du maréchal-ferrant, la légende affirmant qu’aucun forgeron n’avait accepté de fabriquer les clous de la croix du Christ. C’est également le seul artisan auquel l’Eglise reconnaît le droit de travailler le dimanche.
Autre croyance liée au statut du forgeron, celle du fer à cheval portant bonheur. Placé à l’entrée des maisons, dans le lit conjugal ou sous les nids des poules, il est sensé guérir la stérilité, protéger de la foudre et des rages de dents. Mais attention ! pour être efficace, le fer porte-bonheur doit être trouvé au hasard des chemins et comporter huit trous et non six : dans ce cas, ce ne serait pas un fer à cheval mais un fer d’âne qui, selon les dires, ne peut porter chance. Vous êtes prévenus !... 

Restons encore un peu dans l’univers des enfants et poussons notre petite balade jusque  chez la marchande de bonbons…
Rien qu’en passant devant la vitrine, les yeux brillent de mille feux de voir de grands bocaux en verre ainsi remplis de sucreries de formes et couleurs diverses et variées. Lorsqu’il n’y avait pas de marchand(e) de bonbons au village, l’épicerie faisait office de lieu de vente de ces succulentes et tentantes confiseries !...
C’est qu’on n’en mangeait pas tous les jours non plus ! A l’occasion de la fête foraine ou de la fête patronale on se permettait d’acheter quelques gâteries vendues sur un banc : pommes d’amour, nougats…
Le reste du temps, l’achat de confiserie se faisait plus rare… Parfois, allant en commission pour les parents, une voisine ou la grand-mère, on entendait : « … et avec la monnaie, tu t’achèteras un caramel ou deux… » Quelle joie ! Parfois aussi, à la sortie de l’école, avant de rentrer par les chemins à la maison, entre camarades, on se faisait les fonds de poches et on entrait alors dans la boutique pour choisir quelques friandises… Quel choix !
De gros présentoirs formés par six bonbonnières inclinées en verres offraient des pastilles rouges, bleues, violettes… Dans une corbeille, reposaient des bâtons de réglisse… Dans des bocaux patientaient des boules de caramel… Le choix était cornélien… le tout sous le regard amusé du présentoir publicitaire « Pierrot Gourmand ».
Il y avait aussi du chocolat sous forme de petites tablettes de la marque Menier ou Kohler ou en forme de pièces, enrobées d’un beau papier doré que l’on faisait attention de ne pas déchirer en les ouvrant, le tout dans un filet rouge orangé.
Enfin, vers la caisse se trouvaient les roudoudous : des coquillages en plastique remplis d’un bonbon à la saveur citron, fraise, orange… En évoquant ceci, je suis sûre que vous vous souvenez du mal que l’on avait à attraper avec la langue le fond du coquillage, ces coquillages qui, comme le chante Renaud dans « Mistral Gagnant » : « nous coupaient les lèvres et nous niquaient les dents »…
Et enfin, il y avait le bon caramel à un franc. De forme carrée, emballé d’un papier de couleur avec la pièce de un franc imprimée dessus, il a fait le bonheur de plusieurs générations de gourmands, qui, je le souhaite, ont la tête pleine des souvenirs et les papilles en émoi à la lecture de ces quelques lignes… 

Après avoir fait le tour des échoppes consacrées au bien être de ces dames et au plaisir des enfants, nous allons maintenant aborder des sujets plus virils…
Nous promenant dans le bourg tôt le matin, un bruit sourd monte de derrière une ruelle… le forgeron est déjà à l’œuvre. De son atelier s’échappe la plainte du marteau battant le fer sur l’enclume. Et c’est qu’il a du travail le forgeron ! Il est aussi à ses heures taillandier, maréchal-ferrant et dépanne quelques agriculteurs venus réparer une pièce de la charrue… Personnage important de la vie villageoise, son travail est reconnu de tous. Entrons dans son atelier…
Il y fait sombre, les murs sont noircis de fumée. La source de lumière principale est celle apportée par le foyer central attisé par son grand soufflet. On y trouve évidemment l’enclume et une cuve pleine d’eau pour refroidir le fer incandescent. Aux murs, au-dessus de l’établi, sont suspendus divers outils et objets.
L’artisan est là, portant un grand tablier en cuir à poches qui autrefois revêtait un caractère symbolique. Lorsqu’un apprenti (appelé « brûle-fer ») devient forgeron, on lui remet son tablier au cabaret : l’envers est alors marqué de l’empreinte d’un verre de vin ou d’une pièce de monnaie et de la signature de ses camarades.
Quelles que soient les évolutions de la société, son savoir-faire est sollicité. Le perfectionnement de l’agriculture, le développement de la culture attelée et l’essor du cheval dans les transports font sa fortune en tant que maréchal-ferrant : il ferre les chevaux, les mules et les vaches, fabrique et répare les versoirs et les pièces en fer des charrues, des attelages, tout l’outillage nécessaire aux travaux des champs et les outils des artisans du village. Il lui arrive aussi de forger des objets de la vie domestique notamment ceux liés à l’âtre : crémaillères, landiers, trépieds, grils… Lorsque la mécanisation interviendra, il réparera les premiers tracteurs tout en continuant à ferrer les chevaux.

Enfin, encore plus sûr de ravir les écoliers que les librairies évoquées la semaine dernière : le magasin de jouets ! Imaginons - ou revivons malheureusement pour certains - le regard que devait porter un petit Bressan dans les années 1930 ou même 1950 n’ayant pour seul cadeau à Noël un orange et quelques papillotes devant une telle devanture… Les jeux faisaient bien évidemment partie du quotidien de chaque enfant : chat perché sur le chemin de l’école, chansonnette en allant garder les vaches, jeux de billes pendant la récréation… mais les jouets étaient en général assez rares au sein des foyers modestes. On se contentait alors de peu de chose : qui n’a pas joué à la balle en plantant des plumes de poules dans une pomme de terre ? On fabriquait soi-même ou le papa donnait un coup de main pour donner vie à un sifflet, une crécelle, un petit véhicule en bois tiré par une ficelle… Alors quand un jouet faisait son entrée à la maison grâce à la générosité d’un parrain plus aisé par exemple, on prenait toutes les précautions pour ne pas abîmer une belle poupée, une voiture, un livre rempli d’images… Les magasins de jouets regorgeaient de tels objets prêts à faire plaisir à un enfant. On y trouvait de tout : petites voitures posées sur leur boîte, petits soldats collés sur leur pelouse de carton, osselets et jeux de patience pour la récré, pistolets à amorces ou à bouchons… Les petites filles imitaient leurs mamans avec de superbes boîtes de couture. Ceux ayant la chance de partir en vacances trouvaient pelles, seaux, moules pour jouer sur la plage, ou encore des jeux de quilles…        Louhans possède encore sous les arcades un magasin de jouet au nom bien explicite : « Au Paradis des Gosses »… Autrefois tenu par la célèbre « Chipotte », ce magasin est toujours présent, au grand bonheur des petits et des grands enfants… en espérant que de tels jeux remplissent encore de joie et fassent briller les yeux des enfants du 21ème siècle…

Quel beau jouet que ce petit cheval en bois pour ces charmants petits garçons !...