Traditions bressanes

Après avoir fait le tour des boulangeries, merceries et autres ateliers de sabotiers en général présents autrefois dans tous les villages de Bresse, faisons un petit détour chez quelques commerçants installés uniquement dans les bourgs importants car produisant des denrées ne relevant pas d’une consommation quotidienne : photographes, libraires, pharmaciens et horlogers bijoutiers vont nous ouvrir leurs portes… 
« Souriez ! Le petit oiseau va sortir… »Voici une phrase que nous avons tous entendus devant un appareil photo et qui semble aujourd’hui déjà bien désuète à l’air du numérique mais qui autrefois relevait d’un véritable privilège. En effet, jusque dans les années 1950’, il était rare de trouver des appareils photographiques au sein des chaumières bressanes : les rares clichés étaient souvent dus à certains membres de la famille plus aisés, plus au fait du progrès et citadins. On photographiait alors les moments où les cousins de Paris venaient au temps des moissons, lors des mariages ou plus tristement des décès.
La photographie est inventée en 1839 par deux Français, Daguerre et Nicéphore Niepce, bien connu dans notre région puisque originaire de Chalon-sur-Saône où un musée porte d’ailleurs son nom.
Les deux phénomènes nécessaires à l'obtention d'images photographiques étaient pour certains connus depuis longtemps. Depuis Aristote, on savait mettre la réalité en boîte : il suffit de percer un « petit trou » dans une chambre noire (principe de la camera obscura) pour voir apparaître une image inversée dans le fond blanc de la boîte. D'autre part, les alchimistes savaient que la lumière noircissait le chlorure d'argent. Joseph Nicéphore Niepce, un inventeur de Chalon-sur-Saône, associe ces trois procédés pour fixer des images (de qualité moyenne) sur des plaques d'étain recouvertes de bitume de Judée, sorte de goudron naturel qui possède la propriété de durcir à la lumière (1826 ou 1827) : la première photographie représente une aile de sa propriété à Saint-Loup-de-Varennes (Saône-et-Loire).
Nicéphore meurt en 1833 et Louis Jacques Mandé Daguerre poursuit l'amélioration du procédé. En découvrant le principe du développement de l'image latente, Daguerre trouve le moyen de raccourcir le temps de pose à quelques dizaines de minutes. En 1839, Il promeut son invention auprès du savant et député François Arago, qui lui accorde son soutien.
La photographie était née !

Lié également à l’essor, le coiffeur devient lui aussi familier de nos bourgs et ce grâce à Louis XIII ! Petit retour en arrière : ce dernier étant chauve à l’âge de trente ans, il est le premier à lancer la mode des perruques et c’est son successeur, Louis XIV, qui créé par décret la corporation des perruquiers-barbiers. Loin de manipuler aisément fer à friser ou bigoudis, ces derniers rasaient ces messieurs, coiffaient à l’occasion, mais devenaient également chirurgiens sans forcément connaître grand-chose à la médecine : ils pratiquaient des saignées, arrachaient des dents  ou soignaient des blessures.
Les premières boutiques de coiffure datent du début du 19ème siècle en ville mais à la campagne, le « coiffeur » n’existait que pour les hommes : il s’agissait souvent d’un paysan accueillant chez lui les hommes désireux de se faire raser pour quelques grandes occasions. En 1904, King Gilette invente le rasoir mécanique faisant ainsi beaucoup de tort aux barbiers des villages puisque les hommes prennent l’habitude de se raser chez eux.
A l’inverse, les salons de coiffure pour dames prennent de l’ampleur au début du 20ème siècle notamment à la sortie du livre de Victor Margueritte en 1922 « La garçonne » où une jeune femme apprenant que son fiancé la trompe décide de mener une vie libre avec de multiples compagnons : sujet plus que polémique à l’époque puisque l’auteur se verra retirer sa Légion d’Honneur. Le rapport avec les salons de coiffure ? Bien évidemment la coupe de cheveux dite « garçonne » défrayant elle aussi la chronique à l’époque : le style garçonne devient alors un courant de mode né de l'émancipation des femmes et de leur désir de liberté sociale. L'allure garçonne se caractérise par une silhouette androgyne où la taille n'est plus marquée, avec des cheveux courts coupés au carré  - la fameuse coupe dite « à la garçonne », et souvent agrémentée d'un chapeau cloche et de longs colliers . Si la coupe des vêtements se simplifie, avec des robes à taille basse, les tissus utilisés sont, eux, plus travaillés. Dans le même temps, bien que la silhouette se fasse plus androgyne, le maquillage devient plus courant : les femmes soulignent leur regard avec du khôl et leurs lèvres avec du rouge à lèvres.
Alors que Coco Chanel est la fondatrice du look garçonne, les icônes de cette tendance sont les actrices de cinéma de l'époque telles Louise Brooks, Joan Crawford ou Clara Bow. Ce courant s'essoufflera en 1929 avec le début de la Grande Dépression.

Si le salon de coiffure a mis quelques temps avant de s’implanter dans les localités rurales, en fonction des modes et des périodes, la coupe de cheveux avait autant d’importance que la robe que l’on portait.
Ainsi, dans certaines grandes villes, pendant la seconde guerre mondiale les femmes ayant besoin d’échapper à leurs difficultés quotidiennes – et ayant quelque peu les moyens s’entend – consacraient du temps à leur beauté. Fascinés par les stars d’Hollywood, elles réclament dans les salons de coiffure où trônent de multiples appareils proches d’instruments de torture une coiffure à la Lana Turner ou à la Rita Hayworth. Les coiffeuses manient alors ciseaux et pinces chauffantes pour que leurs clientes soient à la dernière mode est aient un « look ».
La généralisation du sèche-cheveux et des énormes casques chauffant facilitent le travail de la coiffeuse qui peu ainsi faire une manucure à sa cliente. On y papote, raconte les dernières nouvelles, lit les magasines à la mode et le salon de coiffure devient ainsi mini salon de beauté avant l’heure au doux aspect parfois de salon de thé…
Mais aller chez le coiffeur pouvait cependant relever du défi notamment dans les années 1940 où les produits employés sont particulièrement caustiques et le mélange obtenu pour réaliser une permanente brûlait souvent la tête des clientes. Que pouvait bien dire la coiffeuse à cette cliente sans doute bien mal en point et irritée : « Il faut souffrir pour être belle »… 
Comme les cafés pouvaient contenir une boulangerie et l’échoppe du sabotier une quincaillerie, le salon de coiffure pouvait également faire office de chapellerie ou plus souvent de parfumerie. En plus de flacons renfermant des liquides huileux aux odeurs diverses – jasmin, lilas, lavande… - la parfumerie était le lieux de vente d’eau de Cologne bien sûr mais aussi de pulvérisateur à brillantine, de savons, d’éponges, de brosses ou plus étonnants, de gants, de dentelles, de bas, de fleurs…
Une fois la porte d’entrée de ces échoppes, où le multiservices étaient déjà d’actualité, poussée, une nappe un peu lourde de parfums où se mêlent quantité d’effluves difficiles à discerner entre shampoing, laque, eau de toilette emportaient les clientes…

Côté femme, les repasseuses de coiffe ont disparu au profit des blanchisseuses dont l’échoppe se divise en deux : d’un côté la buanderie d’où s’échappent des odeurs de lessive et de savon de Marseille mêlées ainsi qu’une buée épaisse, et de l’autre l’atelier de repassage où différents petits fers attendent d’être utilisés sagement posés sur des poêles, le tout entouré de draps et chemises à la blancheur immaculée.
Petite parenthèse concernant le savon de Marseille encore souvent utilisé aujourd’hui pour son pouvoir nettoyant. La formule de ce savon, contenant 72 % d’acide gras (provenant du mélange d'huiles et de soude) a été fixée sous Louis XIV au XVIIe siècle. Au XIXe siècle, Marseille avec près de 90 savonneries possède une industrie florissante qui connaît son apogée en 1913 avec près de 180 000 tonnes produites. 
La teinturerie fait également office de nettoyage de vêtements mais là se côtoient cuves, bidons, moteurs à courroies et de nombreuses petites fioles et bouteilles aux couleurs extraordinaires… Ces teintes étaient obtenues de façon chimiques ou naturelles : le bleu était ainsi réalisé à partir de plantes telles que l’indigotier, de feuilles de guède ou de baie de sureau ; le brun ou le noir par de l’enveloppe de noix, du café, du chou, de l’écorce de saule ou de bourdaine ; le jaune par de l’achillée, des pelures d'oignon, du thé du Paraguay, des fleurs de camomille, d’érable, d’absinthe ou de mûre ; le rouge par des racines de garance, la cochenille, des œufs de kermès ou du henné ; la pourpre par le murex ; le vert par la prêle, le minium ou des graines de caroube et enfin le violet par de la rose trémière ou de la fleur de souci.
Le « détachage et coup de fer à la minute » étaient souvent de rigueur dans ces échoppes qui se faisaient parfois une spécialité des vêtements de deuil, donc noir, couleur portée pendant une période variant de moins d’un an à deux ans, avant que le demi-deuil n’autorise quelques fantaisies, toutefois toutes relatives.