Traditions bressanes

Lorsque le temps n’est pas au beau pour sortir, les journées d’hiver se passent à la ferme, à réaliser de menus travaux en prévision des activités printanières : confection ou réparation de manches d’outils, « rafistolage » des dents du râteau à foin, aiguisage de la lame des faux sur l’enclumette… Pour tout cela aussi, un réel savoir-faire était nécessaire notamment dans le choix du bois pour les manches : il fallait des morceaux légers, maniables, faciles à écorcer… Parfois issus de l’étêtage d’un saule qu’il était d’usage d’entretenir tous les huit ou dix ans, le futur manche était dégrossi à la serpe, formé à la plane puis « fignolé » afin d’être moins rugueux en vue d’une bonne prise en main.
On profitait également du calme des jours d’hiver pour confectionner une barrière de bois qui servirait à clore un pré l’été prochain.
Monsieur le Bressan était également mis à contribution par Madame pour confectionner des objets utilisés de façon domestique : fabrication de balais après avoir récolté le sorgo, ou encore confection du « décamotou », baguette en houx servant à mélanger les gaudes pendant la cuisson. Appelé également « grappin de peau », cet ustensile de cuisine des plus rudimentaires était réalisé à partir d’une branche dont on conservait la naissance des branches annexes. Cet objet purement bressan ressemblait à une tige de bois hérissée de quelques piquants.

Avant que les tracteurs et autres innovations mécaniques n’arrivent, quels étaient les travaux réalisés par les Bressans en période hivernale ?
L’une des premières préoccupations était de préparer la réserve de bois pour le chauffage. La coupe du bois de chauffage se faisait dans les parcelles personnelles privées, dans les bois communaux lorsque des coupes étaient autorisées ou dans certains bois où s’exerçait un privilège un peu particulier. C’était le cas au hameau de Tagiset, entre Sainte-Croix, Frontenaud et Varennes qui fut une commune libre à l’époque révolutionnaire. De cette histoire, il en est resté un bois « communal » de Tagiset dans lequel les habitants de ce hameau venaient se servir de façon plus ou moins régulière.
En plus des bûches de bois, on en profitait pour confectionner les fagots qui serviraient à allumer le poêle de la maison, le four à pain ou la chaudière pour la nourriture des animaux. La confection des fagots relevait d’un véritable savoir-faire, comme l’est aujourd’hui la plupart des gestes quotidiens de nos aïeux. Avant l’apparition de la fagoteuse, le bressan préparait deux liens, habituellement un en chêne que l’on tordait à même le fagot et un autre en noisetier, en forme de boucle. On plaçait le bois sur ces deux liens que l’on serrait par la suite. Les branches de bouleaux trop petites pour être fagotées étaient mises de côté pour la fabrication des bouleaux.

Il était d’usage de toujours couper le bois de chauffage en lune descendante. Traditions, habitudes, croyances, lien avec la nature… l’homme du monde rural a toujours suivi un calendrier cyclique basé sur les saisons, le climat mais aussi les astres et les fêtes rituelles pour vivre et effectuer ses travaux.
A une époque où les gens du peuple ne possédaient pas de calendrier, il était d’usage de se référer aux fêtes catholiques, repères temporels simples : couper le chêne à Noël et le bouleau entre « les deux Dames ». Pendant ces périodes, la sève est descendue dans les racines : le bois est ainsi naturellement purgé de ce qui le rend nutritif pour les insectes.
Une autre manière de prévoir les dates de coupe était de se fier à la Lune : lorsque la sève risque de favoriser champignons et insectes, il faut couper les arbres hors sève, c'est-à-dire en « lune descendante » et en saison de repos végétatif de l'espèce (en hiver en ce qui nous concerne en Bresse). Ce que l’on appelle la lune descendante est la baisse de la lune par rapport à l'horizon (position « au-dessous » de l'orbite du soleil) : à ne pas confondre avec la « lune décroissante », phase de lune allant de la pleine lune à la nouvelle lune. Lorsque la sève protège le bois dans le cas des résineux, il faut au contraire couper le bois en sève, c'est-à-dire en lune montante et en saison de croissance.
Cette influence de la Lune sur nos vies existe encore : certains n’attendent-ils pas la « bonne Lune » pour aller chez le coiffeur ou planter leurs patates ? Usage séculaire, la façon de cultiver en fonction des astres a revêtu de nos jours le nom savant de « bio-dynamique »… 

Au début du 20ème siècle, progrès et tradition vont cohabiter au sein des fermes bressanes. « Cohabiter » est ici plus qu’une image car bien souvent encore, vivaient sous un même toit jeune et ancienne génération : lorsqu’un couple se mariait, il était d’usage d’aller s’installer soit dans la famille de l’époux soit dans celle de la femme afin de continuer à travailler la terre de la ferme.
Dans les années 1920 et 1930, on commence à parler d’électricité et d’appareils ménagers : bien que peu de foyers bressans soient au fait de l’actualité, on écoute, on s’informe, on se renseigne, bref on cause un peu de tout ce « progrès » propre à améliorer le quotidien.
Si le quotidien du foyer semble en voie de modernisation (boules à laver, radio, éclairage à l’électricité…) celui de la ferme fait de même. Les deux décennies qui vont suivre la fin de la première guerre mondiale vont être celles de la mécanisation, de l’intensification de la production grâce aux engrais par exemple et de l’ouverture vers l’extérieur.
Ces changements en entrainent d’autres au quotidien mais aussi dans la vie familiale et sociale, les loisirs et les moments de détente prenant petit à petit un peu plus de place.
En plus des fréquents conflits qui pouvaient intervenir entre une belle-mère et sa bru, il faut désormais ajouter ceux provoqués par des divergences de pensée quant à l’activité agricole.