Traditions bressanes

Impossible de ne pas penser « poulet » lorsque l’on dit « Bresse ». La volaille aux couleurs tricolores est devenue dans l’esprit populaire le symbole du pays des « ventres jaunes ».
Rien de très précis nous permet d’authentifier l’origine de la volaille de Bresse mais il semblerait qu’il s’agisse d’une race locale très ancienne, la première mention de cet animal apparaissant en 1591 où il est question de la volaille de Bresse et de sa volaille fine (chapon et poularde).
Avec l’extension de la culture du maïs, base de leur alimentation, les volailles voient leur élevage augmenter en Bresse mais leur diffusion reste très marginale du fait du manque de réseau de communication.
En 1904 est créée l’association « Le Bresse Club » ayant pour mission la défense et l’amélioration de la production : elle obtient en 1914 une définition précise des caractères de la volaille de Bresse. Trois souches sont alors retenues : la « Blanche de Bény », la « Grise de Bourg » et la « Noire de Louhans ». Les deux dernières variétés disparurent à l’entre-deux-guerres, au profit de la blanche aux couleurs tricolores plus vendeuses.
Produit de qualité et de renommée, les producteurs de volaille de Bresse doivent s’organiser afin de limiter les fraudes et « contrefaçons ». En 1933 se constitue la Fédération avicole de Bresse engageant un procès en appellation d’origine aboutissant en 1957 au vote d’une loi complète établissant une AOC « Volaille de Bresse » lié à un cahier des charges drastique assurant la qualité du produit.
L’élevage actuel de la volaille de Bresse a bien sûr évolué depuis plus d’un siècle mais les principes de base découlent du savoir-faire des femmes bressanes élevant autrefois leur petite production à la ferme.

Comme dans toutes les régions rurales agricoles, la basse-cour est présente au sein des fermes bressanes. Si le soin réservé à cet espace est l’apanage de la femme bressane, il faut ajouter à ce travail l’éducation des enfants, l’aide aux parents âgés, les travaux ménagers (cuisine, lessive, repassage, entretien du linge, fabrication du pain, puisage de l’eau) mais aussi les travaux agricoles comme la traite des vaches ou encore le sarclage du maïs et des pommes de terre, le ramassage des récoltes de fin d’année…

Hormis les sorties hebdomadaires au marché et à l’église, jusqu’à la première guerre mondiale, le quotidien de la Bressane se limite à ses responsabilités de mère et d’épouse de paysan.

Concernant la basse-cour, et plus particulièrement l’élevage de la volaille, elle constitue le quartier réservé de la femme : la fermière bressane suit ses ouailles de la mise à couver à la vente de la volaille vivante ou morte en passant par les soins aux poussins et l’engraissement des poulets.  

Bien avant que l’on ne parle d’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) et de CIVB (Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse), la Bressane apporte un soin tout particulier aux animaux de sa basse-cour.

Au début du 20ème siècle, la reproduction est naturelle, les couveuses artificielles étant inconnues. Il fallait donc faire avec les lois de la nature mais aussi le bon vouloir des poules « couveuses » choisies par la fermière qui leur attribuait un certain nombre d’œufs à couver.

Une fois les œufs éclos, il fallait nourrir les poussins avec du jaune d’œuf cuit dur, du pain trempé dans du lait, de la pâtée de farine de maïs ou encore de la verdure hachée menue.

Des poules « meneuses » s’occupaient de ces poussins notamment pour qu’ils apprennent à picorer dans la nature : au bout de quelques semaines, elles les abandonnaient et étaient livrés à eux-mêmes.

Lors de la croissance du poussin, la fermière devait en assurer l’élevage et l’alimentation tout en évitant les pertes liées aux épidémies et aux oiseaux de proie. Une quinzaine de jours avant leur vente au marché, les poulets étaient mis en épinette : ces petites cages en bois leur permettaient de s’engraisser grâce à une nourriture abondante. On pratiquait alors deux fois par jour le gavage à l’aide d’une pâtée composée de farine de maïs et de lait écrémé.
Ces poulets dits « de marché » étaient produits toute l’année d’où le terrible assujettissement de la femme à ce travail fait de délicatesse et de patience.
Dans certaines exploitations, on préparait également des « volailles grasses », chapons et poulardes, pendant les mois d’hiver. Il s’agissait là d’un travail plus long, encore plus précis auquel devait s’ajouter celui de la préparation des bêtes mortes pour les concours : on les plumait en laissant de quoi garnir le cou mais surtout on les roulait dans une toile afin de leur donner une belle forme oblongue, entre l’olive et le ballon de rugby. Les éleveurs présentant les plus belles pièces étaient alors primés.
Ces concours de volaille existent depuis 1862, le premier ayant eut lieu à Bourg-en-Bresse, mais la volaille de Bresse a fait son premier voyage à Paris en 1843 lors du concours d’animaux gras à l’initiative du Comte Léopold Le Hon, député et président du Comité Agricole. Elle surpasse alors toutes ses concurrentes !
Peu à peu, la renommée nationale et internationale s’impose à travers ses concours. A l’occasion de celui organisé à Paris en 1964, les journaux de l’époque s’exclament : « Les chapons de Bresse sont plus fins, plus aristocratiques, tout est fondu dans une molle rotondité. »
La France entière connaît désormais la volaille de Bresse déjà louée en 1852 par Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût.

Les fermes étaient la plupart du temps de taille modeste sauf dans le cas des exploitations appartenant à de gros propriétaires. Dans celles-ci, tout un monde grouillait selon une hiérarchie bien établie et chacun ayant ses fonctions : grand valet, domestiques, servantes, commis, enfants placés « en maître »…
Ces grosses propriétés se repéraient bien souvent au fil des chemins à l’apparence visuelle et à l’importance des corps de bâtiments, à la présence de pigeonnier ou encore d’une maison de maître à deux étages appelées chez nous « maison haute et basse ». Ce type d’architecture convenait lorsque le propriétaire venait uniquement de temps à autres sur ses terres, occupé qu’il était à d’autres activités professionnelles. Il logeait alors à l’étage, son fermier résidant à l’année avec sa famille au rez-de-chaussée.
Hormis dans les cas de figure précédents, l’exploitation était donc de taille moindre en Bresse : quelques journaux de terre pour cultiver maïs et autres plantes, quelques vaches pour le lait, mais aussi des « vaches savantes » ou des bœufs pour tirer la charrue, un cheval si on pouvait si le permettre, des cochons (animal très important au quotidien comme nous aurons l’occasion de le voir), des lapins souvent sacrifiés à l’occasion de banquets et bien sûr des poules…