Traditions bressanes

Voici une coutume qui perdura très longtemps en Bresse et dont beaucoup de personnes se souviennent aujourd’hui.
La fête des Rogations, célébrée les trois jours avant l’Ascension (lundi, mardi et mercredi) consistait en processions à travers la campagne pour attirer sur les fruits de la terre les bénédictions du ciel : ce jour était autrefois férié. En Bresse, les femmes avaient grand soin à ne pas faire cuire le pain le jour des Rogations, persuadées que cela aurait fait moisir les miches durant toute l’année.
L’origine des Rogations est très ancienne. On les trouve mentionnées déjà au Vème siècle : elles ont tant de similitudes avec les fêtes païennes consacrées à la déesse des moissons Cérès qu’on a pu les considérer comme une réminiscence antique, une continuation des Ambarvales romaines, caractérisées par des processions rurales avec sacrifices de brebis ou de génisses, pour obtenir l’accroissement et la maturité des récoltes, la conservation des grains et autres fruits de la terre.
Comme pour le 3 mai, jour de l’Invention de la Sainte-Croix, on portait bénir à l’église des paquets de petites croix de coudrier, destinées à être placées dans les champs pour la conservation des récoltes, leur préservation contre les intempéries et même contre l’influence des mauvais sorts. On employait plus spécialement les rejetons ou jeunes pousses de l’année précédente, lisses et droits, coupés à une hauteur moyenne d’un mètre et fendus à environs 15cm du sommet sans trop faire éclater le bois, pour que le petit croisillon, inséré dans la fente, tienne solidement pour former les bras de la croix. On allait, après les avoir fait bénir, les planter dans les champs de blé, seigle, avoine, orge et chanvre mais généralement pas dans ceux de pommes de terre et maïs.
La croix destinée à la chenevière était plus longue que les autre, la branche de coudrier étant conservée de toute sa longueur et garnie autant que possible de son bouquet de feuilles terminales : c’était l’invitation faite au chanvre de pousser.
Ces croix restaient dans les champs jusqu’à la récolte et lorsqu’un jour de moisson, les cultivateurs retrouvaient l’une de ces croix, ils l’entouraient d’une petite gerbe qui restait debout avec la croix jusqu’au complet enlèvement de la récolte : chacun alors apportait sa petite poignée de gerbes pour confectionner la rustique parure de la croix. Le moissonneur qui avait la chance de trouver la croix dans son sillon était très flatté : si c’était un célibataire, il se marierait dans l’année !

Le mois de mai a de tout temps été célébré par des cérémonies mystiques et des coutumes populaires.
Dans l’antiquité, le 1er mai était consacré à Flore, déesse des fleurs : le calendrier républicain donna à ce mois le nom de floréal. L’Eglise chrétienne consacra ce mois à la Vierge Marie ; on sait que la dévotion et le culte rendus à la Vierge sont très anciens et se manifestaient au Moyen-Âge par des sanctuaires élevés en son honneur, et jusque dans les carrefours des bois, par des niches champêtres avec madone dans un creux d’arbre, devant laquelle on venait s’agenouiller.
Le 1er mai, on avait l’habitude en Bresse de planter un mai, arbrisseau, arbre ou grande perche couronnée de verdure sur la place publique ou dans la cour du château seigneurial. Cette coutume du mai, du maialis arbor, ainsi planter en l’honneur de celui ou celle que l’on voulait honorer, nous vient encore une fois des Romains. Cette coutume était l’occasion de libations, de rondes et de danses autour de l’arbre.
Les jeunes gens, après s’être approvisionnés de branches de jeunes arbres dans les bois voisins, venaient planter pendant la nuit précédant le 1er mai, l’arbrisseau symbolique, le mai devant la porte ou les fenêtres des jeunes filles. Celle qui refusait l’hommage de son amoureux allait mettre une assiette de noix au pied du mai planté devant sa demeure. Des mais ainsi placés, quel est la caractère symbolique ? La charmille signifie douceur et modestie, le chêne ou le hêtre la force et la beauté, une branche de lilas rend hommage à la grâce et la beauté. Cependant, la signification variait selon les localités : dans le Jura, tous les arbres à fruits sont une grossière injure signifiant que la jeune personne était de mœurs faciles, peu sauvage. En Bresse, en revanche, une branche de cerisier fleurie était un hommage discret à une vertu appréciée.
De mauvais plaisantins, on le conçoit, ne manquaient pas de saisir l’occasion du 1er mai pour faire quelques méchancetés. Ils plaçaient à la porte de certaines personnes des emblèmes peu flatteurs comme le sureau signifiant la paresse ; le tremble, l’orgueil ; de vieux sabots ou des casseroles en signe de dérision ; une chaîne de coquilles d’escargots, médisance et bavardage.
A Bruailles, avait lieu le goniot : chaque année, les jeunes gens du pays mettaient un bouquet de fleurs à la cheminée ou à la poignée de la porte de la maison de la jeune fille la plus jolie et méritante du village, ainsi qu’un mannequin, ou goniot, à la porte de la jeune fille jugée la plus désagréable et disgracieuse.
La nuit du 1er mai, les gens des villages de Bresse avaient l’habitude de passer dans les cours des maisons pour y ramasser les objets traînant : bancs, chars, pots de fleurs…
Enfin, le 1er mai reparaissait un vestige du culte ancien de la déesse Maïa : pour être belles et avoir toute l’année le teint frais et la peau douce, les jeunes filles devaient, ce jour et chaque matin du mois, se débarbouiller avec la rosée de mai. Et encore, comme au temps de Romains, si l’on entendait chanter le coucou, c’était un présage de bonheur.

Voici ce qui m’a été raconté par un habitant de Sainte-Croix concernant le marché du village de 1935 au sortir de la seconde guerre mondiale. « Aujourd’hui vendredi, nous allons au marché ! Arrivé vers le monument aux morts vers les 8h30, la première personne rencontrée était celle qui avait pour mission de faire payer un droit sur toutes les marchandises destinées à la vente : je le vois encore avec sa boîte autour du cou récoltant l’argent. Alors, arrivaient les premiers livreurs de cochons : les propriétaires, après avoir dételé leur cheval, le conduisaient à l’écurie Ronget ou Jaillet, les deux seuls cafés ayant des écuries. Ils revenaient ensuite vers leur voiture où ils discutaient avec les collègues en attendant la venue de M. Varrot, l’acheteur de la maison Morey de Cuiseaux, que l’on avait contacté dans la semaine pour lui annoncer si on avait des cochons, si on pouvait les livrer et à quel prix car c’était la maison Morey qui fixait les prix. Après avoir serré les mains de tout le monde, il visitait tous les lots pour s’assurer que les bêtes étaient bien à jeun : il ne fallait pas qu’elle aient mangé depuis 12 heures mais il n’arrivait pratiquement jamais de les livrer « à plein ». Arrivait ensuite le camion qui se mettait en place d’un côté de la bascule et Louise Pirat, responsable du poids public commençait la pesée lot par lot. L’embarquement se faisait dans un vacarme terrible !  Quand tout était fini, le camion parti, tout le monde se retrouvait au café de Mme Pirat et l’acheteur, dont je vois encore le portefeuille gonflé comme un ballon, payait ! Alors les bouteilles de rouge arrivaient sur les tables : tout le monde voulait mettre sa tournée. Vous pensez bien que des gens qui étaient levés depuis 5h30, qui avaient soigné les bêtes, mangé une bonne assiette de gaude ou de soupe à l’oignon et un morceau de lard ou une tartine de « fromage vieux », bu un coup d’eau au « pot », n’avaient pas peur du « canon » surtout que c’était un petit 9,5° ou 10° au maximum !... Reprenons la rue : en face de l’épicerie Bey il y avait un marchand de chaussures, M. Antoinet de Cousance ; suivait un banc d’épicerie ; un marchand de fromage de Coligny ; à côté c’était le coquetier, beurre et œufs M. Raffin de Cousance ; puis un deuxième marchand de fromage de Cousance et M. Vandroux de Sainte-Croix, légumes et poisson. En face de l’épicerie de Marie Bernardot, c’était un coquetier de Louhans, M. Meunier. 
Nous voici sur la place qui est garnie de voitures, celles qui sont venues au moulin, celles qui ont amenées des poulets et toutes les charettes de ceux qui n’avaient pas de chevaux et ils étaient encore nombreux. Sur la place, où se dressent les platanes, se tient le marché de la volaille : les premiers sont les pigeons, les uns dans des filets (des « flochons »), les autres dans de petites cages en bois. Quelques poules, rarement des canards étaient là ainsi que les poulets dans des cages en bois, d’abord les plus petits puis les plus gros. Au coup de sifflet du garde champêtre, les ventes commençaient. Les marchands soupesaient les sujets, leur soufflaient sous les ailes pour voir l’état d’engraissement : là, on peut dire que ça discutait fort ! Quand ils étaient vendus, on les portaient au camion : un type les décageaient et donnaient un billet comme quoi le nombre était exact. Alors on pouvait aller se faire payer, généralement dans un café, et là, avec les collègues, c’était à celui qui les avaient le mieux vendus. Je me souviens du nom des volaillers : M. Bey, Béard, André, Monneret,… et d’autres dont j’ai perdu les noms. Revenons dans la rue : côté droit, au coin c’était M. Collinet, boucher à Bruailles ; M. Jolivot, jardinier à Sainte-Croix ; M. Badey de Louhans vendait du tissu. A côté, M. Corail, du Fay, arrière-grand-père du magasin Gautier de Louhans, vendait aussi du tissu. Puis, deux femmes dont je ne sais pas le nom vendaient tabliers, blouses, chaussettes ; la dernière était une modiste de Varennes, Mme Collet je crois. Un artisan attirait beaucoup de clients, c’était Maurice Gambey, maréchal-ferrant à Sainte-Croix, réputé dans toute la région. Le vendredi, jour de marché, on peut dire que 80% des ménages s’y rendaient : les hommes trouvaient toujours une chose à faire quelque part, au moulin, quelques fois en mairie, le tabac à acheter ou un kilo de pointes, une paire de sabots, des clous pour les ferrer ; mais c’était surtout l’occasion de voir les copains, de discuter un peu… Les femmes apportaient leur beurre, leurs œufs : cela vendu, beaucoup allaient sur les cimetières ; les plus pratiquantes entraient à l’église faire une petite prière. Ensuite, c’était les « commissions » pour la semaine : l’épicerie, un morceau de gruyère, un petit bout de viande ou de boudin, un peu de fricassé pour le dimanche, de temps en temps un morceau d’étoffe pour faire un tablier ou  une blouse. En ce temps-là, les femmes n’entraient pas au bistro : après la guerre de 39-45, quelques unes ont commencé à entrer boire un café avec une parente ou une amie mais c’était encore assez rare. Voilà 11h : tout le monde pense à rentrer. Les hommes sont plus gais, plus « causants » : peut-être grâce à la « chopine », ou simplement du fait d’avoir rencontré les amis !… Les femmes, contentes d’avoir appris un peu de nouveau : la Marie qui était malade, la Françoise qui était enceinte, la Pierrette qui était « bien » avec son voisin ! Elle racontera tout ça à son mari ce soir ! C’était un vendredi de passé : vivement la semaine prochaine !... »

Reprenons les traditions associées à Pâques là où nous les avons laissées la semaine dernière… Les grands garçons, ceux de seize à dix-huit ans, faisaient les deux derniers jours de la semaine, la quête des œufs, de maison en maison ; ils en amassaient un certain nombre qui allaient être leurs œufs de Pâques et leur permettre, avec quelques sous également recueillis, de passer joyeusement la journée de cette grande fête. C’était une façon de célébrer la fin du Carême, pendant lequel les œufs étaient interdits et de fêter ainsi leur retour. Le même motif faisait distribuer le jour de Pâques, aux enfants, des œufs peints de diverses couleurs, bariolés de dessins. On s’envoyait aussi, entre parents, amis et voisins, ces œufs de Pâques, dont l’usage était l’occasion de réjouissances domestiques. On sait que, jusqu’au XVI° siècle, Pâques coïncida avec le nouvel an. A cette occasion, on avait l’habitude de se féliciter et s’offrir des cadeaux : c’est là probablement l’origine de cet usage. En même temps, la longue abstinence du Carême faisait retrouver un nouveau plaisir aux mets dont on avait été privé ; on se décarêmait volontiers, lorsqu’on le pouvait, avec un bon jambon couronné de lauriers et de fleurs, que l’on avait fait préalablement bénir à l’église. Les pâtés de Pâques faisaient aussi partie du festin des plus riches. Une fête si importante que celle-ci pour la religion catholique, Pâques, ne pouvait pas ne durer qu’un jour : les réjouissances et les fêtes continuaient le lundi de Pâques, et souvent encore le jour suivant. Si la fête de Pâques a un sens religieux profond pour les religions chrétienne et juive, Pâques est aussi une fête païenne célébrant le printemps et le renouveau. La "fête du printemps" trouve son origine dans les traditions pré chrétiennes qui fêtaient le renouveau et la renaissance .La légende la plus connue est celle de la Grèce ancienne selon laquelle le printemps était le retour sur terre de Perséphone fille de la déesse de la terre. Selon la légende, Perséphone entrée aux enfers ne pouvait plus en repartir. Sa mère se désespérant décida de semer la désolation sur terre jusqu'au retour de sa fille. Finalement un accord fut trouvé entre le dieu des enfers et la déesse de la terre. Perséphone devrait partager son temps entre la terre et ses entrailles. Les mois d'hivers symbolise la tristesse et la désolation de la terre devant cette absence et le printemps symbolise le retour de la fille aimée et donc de la vie sur terre. D'autres légendes antiques fonctionnent autour du même thème, l'équinoxe de printemps coïncidait avec le retour d'une divinité sur terre, ou avec le réveil d'une divinité.