Traditions bressanes

En ces longues soirées d’hiver qui s’annoncent déjà, voici quelques légendes bressanes : certaines se sont peut-être déroulées près de chez vous…
De nombreuses légendes étaient connues dont celle du « Trou de la Cloche » à Dommartin et du « Gour de l’Ile » au Planois, cloches englouties sonnant au fond de l’eau ; l’apparition qui avait lieu certaines nuits au Palanchat près de Dampierre d’un cheval sans tête qui effrayait les passants ; au Champ des Femmes près de Quintin, à Charrette, celle des femmes sans tête ; à Gommerans, sur Le Tartre, le long du Clouzeau du Moulin, celle d’une bête malfaisante qui pourchassait les passants ; le chant des « Coqs de l’autre monde » qui se faisait entendre dans un vieux puits, à l’emplacement du château de Saint-Bonnet…
Un hameau de Simard, Les Bons Amis, tire aussi son nom d’une légende : deux petites cabanes couvertes de chaume existant déjà au XIVème siècle abritait deux familles dont les enfants respectifs devaient se marier. La veille des noces, le jeune homme fut tué par la foudre en rentrant de l’église : la jeune fille, Valentine, ressentit un tel chagrin qu’elle en mourut peu après. Depuis, elle revient souvent la nuit se promener dans le sentier qui conduisait de sa demeure à l’église et est connue sous le nom de « Dame du grand pré » mais l’apparition s’évanouit dès que l’on veut l’approcher de trop près. 
De même que pour les légendes, l’origine de vieilles croyances, de pratiques superstitieuses se perd dans la nuit des temps. L’esprit des gens des campagnes fut longtemps hanté d’histoires de sorciers et de sorts jetés  par eux sur les hommes, les animaux, les récoltes. On montrait autrefois sur la côte d’Ageon séparant le vallon de Gizia de celui de Cuisi, le lieu où se tenait jadis le sabbat des sorciers et sorcières de la région. Ils pouvaient, c’était une croyance généralement répandue, donner par des sorts jetés sur les hommes et les bêtes toutes sortes de maladies : tarir le lait des vaches ou commettre bien d’autres méfaits encore, comme celui de « nouer les aiguillettes » du jeune époux empêchant ainsi la consommation du mariage.
En revanche, il y avait des sorciers réputés très forts pour la guérison des maladies, pour « raccrocher l’estomac », « remettre les entorses », « lever le brûle » par signes, formules, secrets, recettes, oraisons…

Introduit au début du XVIIème siècle en Bresse, le maïs était à la base de nombreux mets consommés dans les fermes bressanes.
Les « gaudes » étaient autrefois l’aliment habituel de bien des Bressans dont la recette était simple : on jetait la farine dans une marmite renfermant de l’eau que l’on avait fait chauffer. On délayait au moyen d’une grosse cuillère en bois jusqu’à ce que le mélange soit parfait et sans grumeau ; on y ajoutait ensuite un peu de sel. Les gaudes étaient servies chaudes, dans des assiettes ou écuelles, en bouillie plus ou moins épaisse que l’on pouvait additionner du lait mais sans le délayer dans la bouillie.
Aux parois de la marmite restait une croûte dont les enfants se montraient très friands. Ils l’étaient aussi des panouilles lorsque les grains étaient encore tendres et laiteux et qu’on les faisait griller sur la braise : c’est ce que l’on appelait les « rôts ». La « flamusse » était également courante en Bresse : il s’agissait d’un pain fait avec de la farine de maïs non torréfié, à croûte très brune et à mie dorée et un peu épaisse. La consommation de la flamusse a disparu au début du XXème siècle : elle avait cependant donnée son nom  à une Société bressane regroupant des Louhannais habitant Paris. Enfin, un autre mets était en usage en Bresse : le « millet ». Cette sorte de bouillie était faite avec de la farine de maïs non torréfié, délayée dans du lait et cuite au four dans de grands plats peu profonds appelés « milliassières ».
Si les Mâconnais nous appelaient autrefois « mangeurs de raves », on nous donna bien vite également le surnom de « mangeurs de gaudes » et de « ventres jaunes ». Si certains y ont vu une allusion aux pièces d’or où à la montre en or que chaque Bressan cachait le long de sa ceinture, sur son ventre, pour dissimuler toute richesse et éviter tout vol, une autre explication beaucoup plus sympathique était avancée. Nous serins appelés « ventres jaunes » du fait de cette consommation abondante de maïs : nous en mangions autant que nous devions avoir le ventre teinté de jaune, tout comme le ventre de nos volailles, elles aussi grandes consommatrices de maïs… 

Octobre est le mois où des choses insolites se passent la nuit dans les campagnes, où des bruits sinistres sont parfois entendus et dont les veillées se font l’écho… Durant les veillées, on travaillait, on jouait mais surtout, on parlait beaucoup… On écoutait  avec déférence et attention les vieux racontant des choses du temps passé, des aventures extraordinaires. Même si l’on était devenu plus sceptique, on croyait encore aux apparitions, aux sorts jetés par les sorciers, aux courses des loups-garous… Les récits faits dans les veillées, concernant des visions fantastiques, trouvaient surtout dans les hameaux éloignés où la vieille vie persistait encore, quelques auditeurs tremblants et effarés, se rassurant à peine en se signant. D’autres, esprits forts, souriaient ou se moquaient. Des propos tenus au cours des viellées, il ne reste que peu de traces, ce que Lucien Guillemaut déplorait déjà en 1907… Pourtant, certains lieux-dits gardent le souvenir de ces légendes parfois naïves mais au fond touchant et poétique. Ainsi, le hameau des Trois Demoiselles à Devrouze rappelle une légende autrefois souvent racontée au village et rapportée par Guillemaut : « Un  habitant de ce hameau avait trois filles d’une merveilleuse beauté. Elles furent enlevées par trois seigneurs du voisinage qui les tinrent enfermées dans leurs sombres et humides châteaux. Bientôt délivrées par la mort, elles réapparurent près de leur ancienne demeure. Leurs mânes s’étaient réunies et avaient retrouvé toute leur gaieté de jeunes filles. Redevenues folâtres et rieuses, les trois charmantes jouvencelles se laissent quelquefois rencontrer à l’endroit où se croisent des chemins dans les bois ; elles y dansent et s’y divertissent depuis des siècles. » La rencontre avec ces dames blanches pouvait être funeste comme à Saint-Bonnet au pont de Maupey, à Bantanges au hameau du Marchay ou encore à Montpont près de l’étang des Dames : le promeneur était alors précipité dans le bief ou la pièce d’eau proche… On racontait en effet à propos de ces dames fantômes, qu’elles apparaissaient comme la Diane celtique à la lisière des bois ou sur le bord des rivières…

Nous voici en octobre, mois où les vendanges continuent : en Bresse, il s’agit avant tout du mois où débutait la dépouille du maïs… Octobre est encore, là où il y a des vignobles, consacré à la continuation des vendanges ; mais, en Bresse, il était peu question de vignes et vendanges (à quelques exceptions comme à Cuiseaux, par exemple). A défaut de vendanges et des fêtes qui les accompagnaient comme réminiscence du culte du dieu du vin Bacchus et des Bacchanales antiques, nous avions comme travail agricole en Bresse, dès que la récolte du maïs commencée en septembre était à peu près terminée, l’arrachage des pommes de terre, des raves, betteraves, carottes et autres racines pour l’alimentation des hommes et des animaux. C’était aussi le moment, une fois les récoltes faites, les labours et semailles terminés, de procéder au curage des fossés et des mares. Déjà, les soirées vont être occupées par le travail utile des veillées, conséquence des récoltes de maïs et de chanvre. Le trequi récolté, le moment de la dépouille est venu… Dans chaque exploitation, petite ou grande, plusieurs veillées seront occupées par ce travail où voisins et amis venaient donner la main. On raconte, en dépouillant le trequi, les cancans du bourg, les histoires des anciens mais aussi les légendes sordides et mystérieuses du coin, à grand renfort de revenants, vouivres, loups-garous et dames blanches… Les épis suspendus en nœud sous les larges avant-toits des fermes bressanes leur donnaient les tons dorés du trequi jaune, argentés du trequi blanc et rouges des grains parsemant certaines panouilles. Dès la fin de septembre, chaque fermier commençait à torréfier dans son four les panouilles portant les grains qui seront détachés ensuite par l’égrenage à la veillée. Transportés au moulin et finement moulus, ils donneront cette bouillie bressane bien connue et nous valant d’être appelés « ventres jaunes » : les gaudes. Servies traditionnellement le soir, tous les jours de la Saint Martin à la Saint Jean, les gaudes étaient cuites dans une marmite d’autant plus grande que la ferme était vaste et la maisonnée nombreuse.