Traditions bressanes

Après la fête de la Chandeleur, voici le deuxième grand événement du mois de février : le Carnaval. Le Carnaval est en fait une période réservée aux divertissements, commençant le jour des Rois (Epiphanie) et prenant fin avec le début du carême (mercredi des Cendres), le jour du Carnaval proprement dit étant le Mardi-Gras (28 février cette année).
Comme la Chandeleur, notre Carnaval remplaça les fêtes antiques des Lupercales dédiées à Pan (le dieu grec des bergers et des troupeaux), signalées par leur licence, et celles des Saturnales que l’on célébrait bruyamment et en se travestissant en l’honneur du dieu Saturne.
Cependant, durant les siècles nous précédant, le Carnaval n’agitait pas outre mesure nos campagnes : les mascarades étaient guère en usage. Lucien Guillemaut rapporte que l’on voyait bien dans certaines villes comme Louhans, Cuiseaux ou Cuisery des gens déguisés parcourant les rues, des charlatans débitant des baumes, des astrologues au bonnet pointu disant la bonne aventure. Mais on voyait  surtout des ‘’masques en échelles’’, c’est-à-dire de jeunes gens coiffés d’un bonnet de coton, la tête passant par les échelons d’une échelle, d’où, des deux côtés, retombaient des draps blancs. On croisait également aux carrefours des rues et dans les cabarets des troupes bouffonnes, accoutrées de façon burlesque, se livrant à toutes sortes de bruyantes plaisanteries, de joyeusetés et de copieuses beuveries.
Dans les villages, on faisait aussi quelques travestissements : les jeunes campagnards se déguisaient avec les habits de leurs sœurs et les vieilles nippes de la maison, en filles ou en vieilles femmes. Ils se barbouillaient de suie ou de farine ou se dissimulaient la tête et le visage à l’aide de perruques ou de barbes faites avec des étoupes, du crin de cheval ou de la laine de mouton et couraient ainsi les rues de leur village, portant des sacs pour recevoir les offrandes qu’on leur donnait. Plus proches de nous, les enfants se déguisaient et passaient chez voisins et amis avec ce grands cotillons et des masques et demandaient des étrennes dans leurs boîtes en fer : aujourd’hui encore les enfants défilent mais c’est surtout pour s’amuser et recevoir des confiseries.
C’est pendant les jours gras, le dimanche, le lundi et le mardi gras surtout  que l’on mangeait les crêpes, matefaims au sarrasin, au maïs, voire à la farine blanche, et aussi les gaufres et les bugnes. Puis, l’on dansait des branles, des rondes, des rigodons. Mais avec le mercredi des Cendres, le Carême arrivait et mettait un terme à toutes ces licences.
Le Mercredi des Cendres (1 mars cette année), après la pieuse commémoration du matin et l’imprégnation des cendres sur le front (on ne se lavait d’ailleurs pas le visage de la journée pour ne pas ‘’effacer’’ cette marque), on avait pourtant un dernier écho de fête profane de la veille. Le Carnaval, sous forme d’un mannequin ou d’un homme de paille, que l’on promenait en le faisant sauter dans une couverture, était brûlé en effigie, enterre ou noyé, en attendant de renaître l’année suivante avec les mêmes oripeaux, les mêmes folies.

La Bresse, comme toute région rurale, est un pays qui a su conserver ses vieilles traditions, ses coutumes, sa culture, mais son histoire et ses particularités géologiques et géographiques ont accentué  ce phénomène.
La Bresse a créé et conservé sa civilisation car, pendant des siècles, elle fut un pays coupé de l’extérieur, confiné dans un cadre local notamment à cause de la nature de son sol et d’un réseau routier quasiment inexistant. En effet, il aurait fallu effectuer un empierrement difficile à trouver sur place et les biefs, rivières, les prairies marécageuses représentaient des obstacles souvent infranchissables. Pour toute ces raisons, la Bresse était un pays contourné, inaccessible pour les transports importants, ce qui a créer une réputation de pays replié sur lui-même.
On peut deviner les conséquences de ceci sur la vie de la population bressane : une région qui vit isolée crée un style, un comportement qui lui est propre, et ceci pendant des siècles. La Bresse est un pays ayant une grande faculté de conservation : pays de bocage, pays d’élevage, pays de laboureurs, pays de traditions, de coutumes, pays qui s’est donné une culture, un des folklores les plus riches de France.

Après avoir évoqué les fêtes et les saints célébrés du mois de janvier, voici l’origine de la fête de la Chandeleur, fêtée le 2 février. Cette fête aujourd’hui associée au rituel culinaire des crêpes est encore l’une de ces anciennes fêtes païennes que le christianisme a adoptées.
On considère que cette fête, fort joyeusement chômée aux époques anciennes, a succédé aux Lupercales et à la fête de la purification, encore en pleine vigueur au Vème siècle, qui était accompagnée de courses dans la campagne avec flambeaux ou brandons allumés. Elle est devenue, pour les Chrétiens, la fête de la Présentation de Jésus au Temple et de la Purification de la Vierge.
Chaque maison portait bénir un cierge à l’église ( la Chandeleur vient du latin candela signifiant chandelle), et au retour, avant de le serrer pieusement au fond d’une armoire, le chef de la famille, en le tenant à la main, bénissait à haute voix ses enfants et les domestiques, en disant comme un  souhait de prospérité et de bonheur : « Chandeleuse, Chandeleure, Bon jour, Bon œuvre », phrase qui s’est conservée à l’état de proverbe, dans les villages, et se disait encore, d’après Lucien Guillemaut, par manière de salut à la fin du XIXème siècle en Bresse.
Le plus pauvre ménage avait son cierge de la Chandeleur aussi bien que la plus riche maison. On ne s’en servait que dans des circonstances critiques ou solennelles : ce cierge avait le pouvoir de préserver du feu du ciel et on ne manquait pas de l’allumer pendant les violents orages. Il pouvait aussi préserver la famille d’autres malheurs ou accidents, ainsi que des maléfices des sorciers. On l’allumait enfin pour bénir les fiancés avant la cérémonie du mariage ainsi que pour éclairer l’administration des derniers sacrements aux mourants. Ce cierge semble avoir remplacé, pour les habitants de nos campagnes, les bons génies du foyer, les dieux lares de l’époque romaine. On tenait à le conserver, ou du moins à ne pas l’user complètement avant la Chandeleur suivante, car selon le proverbe, « Quand le cierge de la Chandeleur décroît, le ménage ne va plus droit ».
La Chandeleur étant, au point de vue religieux, la fête de la Purification de la Vierge, ou comme on disait alors, les Relevailles de la Vierge, ce jour coïncidait avec quelques réjouissances, comme pour les relevailles d’une mère après son accouchement. Ainsi, à l’origine, ce jour-là, l’après-midi et la soirée, on mangeait des matefaims ou encore des marrons puis on dansait quelques rondes : c’était, selon un vieux dicton, pour « écraser  les moussillons », c’est-à-dire pour se prémunir contre les piqûres des cousins et ne pas être gêner par eux lors des prochains travaux champêtres. Mais c’était aussi un excellent moyen d’empêcher la nielle de se mettre dans les blés ou les taupes d’envahir les prés ; c’était encore une garantie précieuse qu’on aurait de l’argent toute l’année. Cette dernière tradition a des similitudes avec notre habitude de faire sauter les crêpes en tenant dans la main une pièce d’or afin d’avoir de l’argent toute l’année: mais attention, il faut secouer la crêpe dans la poêle en la retournant et non la faire tomber par terre ! A chacun d’essayer…

Lorsque le christianisme tente de s’introduire en Bresse dans la seconde moitié du IIe siècle, il veut effacer, comme partout ailleurs, tous les signes des anciens cultes, du druidisme et du paganisme romain afin d’imposer son pouvoir et ses propres figures religieuses. A défaut de pouvoir éliminer ces croyances, le christianisme va se les approprier  et on trouve bien des traces des vieilles traditions dans les pratiques ou dévotions populaires à travers les temps, tellement est puissante la force des traditions.
Ainsi, l’usage des souhaits du jour de l’an et des étrennes qui l’accompagnent paraît remonter à l’époque romaine avec la fêtes des Saturnales qui se célébraient à Rome vers la fin de décembre. On voit également à travers l’épiphanie ou fête des rois, le 6 janvier, une réminiscence de cette fête païenne : pendant le festin dont le roi était tiré au sort, les esclaves se trouvaient confondus avec les maîtres. Si le sort avait favorisé l’esclave, chacun, le maître lui-même, devait lui obéir tant que durait la fête. 
Lucien Guillemaut, grand homme pour la Bresse louhannaise, nous rappelle que chaque époque de l’année avait ses rites traditionnels, antiques coutumes dont la physionomie ne se modifiait que très peu d’âge en âge. Ainsi, le jour de la Saint Antoine, le 17 janvier, était un jour férié : on allait invoquer le saint dans les églises, surtout quelques-unes, comme à Louhans, Cuiseaux… où il était plus réputé, pour lui demander  la protection des porcs, ainsi que du bétail et de la basse-cour. Il était d’usage dans presque toutes, de déposer, après la messe, une offrande sur l’autel pour que le saint préserva les porcs de toutes les maladies. Cette fête, qui fut longtemps très populaire, était appelée la fête des porcs.
La Saint Vincent, le 22 janvier, qui est la fête des vignerons, était aussi celle des laboureurs et elle était en honneur parmi les cultivateurs bressans qui se rendaient nombreux à la messe : c’était un jour férié obligatoire, une fête chômée.