Traditions bressanes

Depuis quelques semaines, nous « souffrons », dit-on, de la canicule. Autrefois déjà, ces fortes chaleurs étaient redoutées…
La canicule qui dure du 24 juillet au 26 août a toujours été redoutée et considérée comme ayant une influence malheureuse. Les anciens lui attribuaient déjà des conséquences funestes pour la santé. Les remèdes et les médecins, à l’époque caniculaire, étaient considérés comme impuissants contre les maladies : il fallait laisser agir la nature.
Pour les Grecs et les Latins, un mauvais présage marquait les enfants qui naissaient au lever de la canicule. C’est pour cela, et pour tous les autres méfaits dont on la croyait capable, qu’il était d’usage de sacrifier à la canicule un chien roux, animal qui plaisait à cette constellation.
Pendant longtemps, on a cru bon de déconseiller de se baigner pendant la canicule (surtout pendant les trois premiers jours caniculaires) : ce serait rechercher la fièvre ou s’exposer à une maladie. Mais quand donc se baignerait-on si ce n’est au temps des fortes chaleurs ? C’est surtout, il est vrai, les trois premiers jours de la canicule (les plus chauds de l’année) qui étaient considérés comme particulièrement néfastes. On en a même accentué l’influence nocive : le foin fauché pendant ces trois jours ne serait pas mangé par le bétail mais ne servirait qu’à la litière.
Enfin, pendant cette période, on devait éviter la rencontre des chiens et bien veiller sur le sien, car on était convaincu qu’à cette époque les animaux enrageaient plus facilement. Il était en tous cas prudent de bien veiller sur son chien : quelques personnes aux préceptes ancestraux pouvaient invoquer le prétexte, si la couleur du chien s’approchait du roux, de l’offrir en sacrifice conjurateur en vertu de vieilles traditions…

Si aujourd’hui 14 juillet rime avec feux d’artifices et bal populaire, il a évoqué d’autres réjouissances depuis la Révolution. Le mois de juillet est un mois presque stérile en matière de traditions populaires, les fêtes religieuses étant absente : c’est comme si l’Eglise a compris que le cultivateur occupé à cette époque à récolter ce qu’il a semé, n’avait pas le temps de chômer les saints du calendrier…Si juillet n’a pas de grandes fêtes religieuses, en revanche il a la Fête Nationale du 14 juillet, établie par la troisième République en souvenir de la prise de la Bastille en 1789. Déjà l’année suivante, en 1790, le premier anniversaire était devenu la fête de la Fédération, célébrée en Bresse comme dans toute la France. De nombreuses fêtes virent le jour avec la Révolution comme celle des Victoires, de la Raison, de l’Etre Suprême, de la Souveraineté du peuple, de la Bienfaisance… autant de noms tombés dans l’oubli depuis. La fête de l’Agriculture avait lieu, pendant la Révolution, le premier décadi de messidor, un peu avant le 14 juillet. Elle était l’occasion de glorifier le travail agricole, de donner des conseils pour l’amélioration des cultures, le développement du bétail : à Louhans, les laboureurs présents recevaient l’accolade fraternelle du président de l’administration du district. En thermidor, c’était la fête de la Liberté ; en fructidor celle de la Vieillesse, tandis qu’en germinal était célébrée celle de la Jeunesse, et en floréal celle des Epoux. A cette dernière, les nouveaux mariés assistaient, l’époux avec la cocarde nationale, l’épouse parée de fleurs et de rubans tricolores ; des places d’honneur leur étaient réservées, ainsi qu’aux pères et mères de nombreuses familles. On se rendait en cortège, les nouveaux époux en tête, à l’hôtel de la Patrie, orné de verdure et décoré. La fête était accompagnée de chants, d’airs musicaux et de danses publiques.

La moisson était le travail ordinaire de tous paysans au mois de juillet : une coutume particulière la clôturait…
Bien avant le levé du soleil, on partait pour les champs : la chaleur étant harassante en cette période de l’année, le meilleur travail se faisait aux heures fraîches de la journée. Les moissonneurs s’alignaient dans la largeur du champ, chacun tenant un sillon ou une raie et poussant droit devant lui. Le conducteur de l’équipe prenait la tête  entraînant la troupe qui le suivait. A l’arrière, un second surveillant pressait les traînards et s’assuraient que la besogne soit consciencieusement et méthodiquement exécutée. Les blés étaient sciés avec la faucille ou couchés à terre avec la faux ; à mesure qu’ils étaient abattus, on les dispersait en andains sur le sol ou en javelles.   
Ce travail opiniâtre se poursuivait jusqu’à ce que tous les champs soient moissonnés. Alors on ramenait les dernières gerbes dans une charrette ornée de fleurs et de feuillage autour de laquelle chantaient les moissonneurs. Cette réjouissance s’appelait « tuer le chien » ou plus communément en Bresse louhannaise « prendre le renard ». Lucien Guillemaut rapporte cet usage qui se pratiquait en Bresse du temps où  la moisson se faisait avec les faucilles ou les larges ‘’vollants’’. La dernière gerbe à enlever figurait le renard : on laissait à côté d’elle et debout une vingtaine d’épis (une troche) pour former la queue, et chaque moissonneur, se reculant de quinze à vingt pas, lançait sa faucille ou son vollant jusqu’à ce que la troche d’épis soit touchée. Celui qui l’abattait était proclamé vainqueur : c’est lui qui avait coupé la queue du renard. Des cris éclataient en son honneur et l’on rentrait à la ferme boire à sa santé.
Le dernier char de gerbes était orné de bouquets et de rubans sur un arbre solidement attaché à l’échelette, ou le plus souvent d’une croix confectionnée avec des épis et ornée de fleurs et de rubans entremêlés. Les moissonneurs et les moissonneuses, vieux et jeunes, garçons et filles, revenaient à la maison en chantant et en huchant. Puis, vers le soir, la croix que les jeunes promenaient encore processionnellement dans le village ou au hameau était plantée au sommet du toit de chaume. La fête se terminait par un repas copieux appelé le « repas du renard » et qui était suivi de danses.
   

« En ce jour, 25 juin 1943, mon père a décidé de faucher le ‘’Pré Chevalier’’ : nous en avons fauché hier un hectare environ, sur trois hectares de superficie. En ce temps là, les prairies naturelles où il y avait plusieurs propriétaires étaient interdites de fauche jusqu’au 24 juin, jour de la saint Jean. Le maire pouvait par décret l’avancer de quelques jours mais c’était rare. Donc, au petit jour, mon père nous appelait à la porte où nous couchions le commis, René que l’on appelait ‘’Le Vaule’’ en patois, et moi. Nous couchions dans une petite chambre spécialement pour nous : il y avait deux lits de 1m20, une armoire, une table, trois chaises. Nous dormions les deux ensembles sur une ‘’caspaille’’, sorte de matelas bourré de dépouilles de maïs, une ‘’cutre’’ petit matelas en duvet, des gros draps de toile de chanvre, une couverture l’hiver et un édredon en dehors. Nous dormions très bien !… Sitôt appelés, sitôt debout ! Alors, on passait à ‘’l’huteau’’. Mon père avait fait le café : un tiroir de café et d’orge moulu avec beaucoup de chicorée. Une grande tasse, un petit morceau de pain que l’on trempait dedans : en dix minutes c’était avalé. La journée commençait. René et moi allions chercher les chevaux au paquier derrière la maison. Nous leur mettions le collier, les attelions à la faucheuse qui était au milieu de la cour et en route pour le pré ! Il ne nous fallait guère plus d’une demi-heure du levé au départ. Arrivé au pré, René qui avait une faux coupait le foin autour des buissons et de la rivière. Moi, je baissais le ‘’peigne’’ de la faucheuse et commençais à tourner autour de la parcelle. Les chevaux s’entendaient bien. Le foin coupé par la lame tombait régulièrement contre la planche à ‘’andains’’. J’aimais ce travail !... Chaque fois qu’un était fait, la parcelle diminuait  de 2m60, la coupe étant de 1m30 : c’était un grand progrès avec la faux. Vers les huit heures, mon père arrivait avec le casse-croûte, le ‘’diné’’ du matin. Nous nous arrêtions, on levait la ‘’faussreine’’ des chevaux pour qu’ils puissent baisser la tête et manger un peu d’herbe…et nous nous installions René et moi autour du panier, un torchon de cuisine bien propre étendu sur le pré. Le contenu ne variait guère : deux bols, deux œufs, une salière, un bout de lard ou une tasse de beurre ou de fromage fait maison. Un bon morceau de pain de ménage, une bouteille d’eau. Les sauterelles et les grillons étaient nos voisins de table, je m’en souviens comme si c’était hier…et nous étions bien !... 
En vingt minutes tout était fini et l’on recommençait le boulot ! Vers les dix heures on rentrait : en principe il y avait un hectare de fauché. Arrivé à la ferme, les cheveux dételés, René lavait la faucheuse, partait aiguiser la lame et en mettait une autre pour le lendemain. Moi, je prenais un cheval, l’attelait au râteau faneur ‘’marque Puzenat’’ et je retournais au pré ‘’fâner’’ le foin coupé la veille. René, son travail fini, revenait ‘’fâner’’ à la fourche ce qu’il avait fauché le matin. A midi, fini ou pas, c’était le dîner : nous mangions toujours à midi, nous prenions toujours le temps de manger à moins que le temps menace ! L’après-midi, je finissais ‘’d’enraisser’’. Une fois fini, nous commencions à charger les voitures que l’on avait amenées au pré. Mon père faisait les voitures, René et moi  donnions les fourchées de foin, jamais les deux à la fois ce qui aurait gêné le faiseur derrière nous. Ma mère et deux voisines ratissaient ce qui restait après notre passage. La voiture finie, nous la ‘’lions’’ avec une perche en long et avec une grosse corde ; nous tirions pour serrer le foin afin qu’il ne glisse pas. Nous faisions en général trois voitures. Mais souvent, des gens  se croyant redevables venaient nous aider car mon père leur avait rendu ‘’service’’ : voiturer du bois, une voiture de fumier pour le jardin… Dans ce temps, on ne payait pas en services, on les rendait à l’occasion. Il y avait aussi les voisins, même d’assez loin, surtout de Chatenay, qui avaient des vaches mais pas de taureaux et qui les emmenaient saillir à La Minute. C’est Charles Genetet qui le premier a eu un taureau à Chatenay mais c’était après la guerre. Vers les cinq heures, nous arrêtions et allions ‘’serner’’ (faire quatre heures). Que l’on soit seul ou avec des aides, nous prenions le temps de faire un bon casse-croûte. Après, on mettait le foin au fenil et de cela je garde un mauvais souvenir : à sept heures, sous des tuiles chaudes, dans du foin chaud, de la poussière, la fatigue qui arrivait, c’était très pénible. Quoique jeunes, nous étions crevés. Après un léger souper, souvent du pain trempé dans du lait, nous nous lavions dans des seaux puisée le matin : le soir, elle était tiède, cela nous faisait du bien. Alors, on retrouvait notre ‘’caspaille’’ et l’on dormait comme des loirs. Le matin nous étions frais  comme une fleur… Nous avions 20ans… »