Traditions bressanes

Après cette escapade bucolique du côté de Primerose, retour au bourg de Frontenaud. C’est autour de la place centrale que se concentraient les bâtiments et lieux de la vie civile et religieuse du village : l’église, le cimetière, le presbytère, l’école de filles, la mairie-école (accueillant les garçons), l’auberge, les commerces autrefois nombreux… Cette place fut aménagée, à la fin du 19ème siècle : jusqu’alors elle n’était qu’un carrefour. Plusieurs parcelles de terrains furent achetées par la municipalité de 1888 à 1933 afin d’aménager et d’agrandir la place qui se trouvait être trop petite les jours de marché. En 1933, on apprend que le marché connait un « développement considérable » et déborde même sur la route . Aujourd’hui, le marché subsiste le mercredi matin mais ne connait plus la même ampleur que naguère puisque seul le boucher de Sainte-Croix y donne rendez-vous aux habitants de Frontenaud. Bien que réduit, ce « rituel » hebdomadaire constitue encore un moment de convivialité et de rencontres où l’on aime se donner des nouvelles des uns et des autres. Le « marché » de ce début du 21ème siècle a lieu sur la partie gauche de la place, lorsque l’on traverse le bourg dans le sens Sainte-Croix/Louhans, juste devant l’ancienne auberge, grand bâtiment qui fut le pivot de l’aménagement de la place publique à la fin du 19ème siècle. Connu sous le nom d’hôtel Maublanc puis Duthion, ce bâtiment est une belle construction de plan rectangulaire haut d’un étage présentant une belle galerie en bois du côté de la cour intérieure.

L’ancienne auberge aujourd’hui fermée.

A moins de deux kilomètres au sud-est du bourg de Frontenaud se trouve le château des Crozes. Commençons par dire que le château ne se situe pas sur le hameau des Crozes mais des Courbes. Les Crozes (ou Croses) sont à quelques centaines de mètres et constituent le point culminant de la commune : 211 mètres. C’est d’ailleurs en ce lieu que fut édifié l’autre château de la commune…le château d’eau ! C’est donc Jules Logerotte qui fit bâtir le château, que nous appellerons des Crozes pour utiliser la dénomination commune, de 1875 à 1880. De style néo-flamboyant, le château est ceint d’un grand parc boisé de près de trois hectares et offre une magnifique vue sur les monts proches du Jura. A l’origine, le château comportait au sous-sol de vastes caves voutées, une salle de bain, un fruitier et plusieurs pièces à usages divers ; au rez-de-chaussée : un grand vestibule avec escalier, la cuisine, une grande salle à manger, plusieurs salons, un bureau, une bibliothèque et une grande véranda. Le deuxième étage abritait quatorze chambres et une salle de billard alors que sous les combles étaient aménagés deux chambres mansardées et un vaste grenier. A noter la présence, dans la grande salle à manger, d’une peinture murale représentant une scène estivale de foins et de moissons où se détachent au loin le château et le bourg. Attribuée au peintre de Sagy Jules Guillemin, cette œuvre représenterait de vrais habitants de Frontenaud. Dans le clos du parc, se situe au sud-est du château un pavillon avec cuisine, salle à manger, deux chambres, salle de bain, écuries et garage. Au sud-ouest s’élève encore la chapelle surmontant le caveau funéraire de la famille Logerotte. Au décès de Jules Logerotte c’est sa fille, Madame de Lavérine, qui reçut en héritage le château des Crozes. Cette dernière dut subir les dures épreuves infligées par les guerres à commencer par le décès de son époux, capitaine, et de son fils aîné Joseph durant la première guerre mondiale. Son second fils, Hubert de Lavérine, périt avec son épouse et leurs deux petites-filles à Oradour-sur-Glane lors du terrible massacre dont le village et ses habitants furent les victimes en 1942. Hubert s’y était réfugié de retour de captivité, Oradour étant le village natal de son épouse, Antoinette Pathée. Une plaque fut apposée dans le hall du château en leur mémoire. Après la mort de Madame de Lavérine, c’est son petit-fils qui mit la propriété en vente (château et terres attenantes). En 1956, sous l’impulsion du Docteur Guimet de Varennes-Saint-Sauveur, un syndicat intercommunal se constitua pour racheter le bien et y créer une maison de retraite. Son expérience avait en effet permis au Docteur Guimet de mettre en avant le besoin social que ressentaient de plus en plus les personnes âgées de la région. Les communes de Frontenaud, Champagnat, Condal, Dommartin-les-Cuiseaux, Flacey-en-Bresse, Le Miroir, Sagy, Sainte-Croix-en-Bresse et Varennes-Saint-Sauveur furent donc côte-à-côte pour mener à bien cette entreprise et inaugurer cette maison de retraite « pour vieillards et convalescents » comme le mentionnait la presse d’alors, le 5 mai 1957. Le 4 novembre suivant, l’institution ouvrait ses portes : le premier résident fut Monsieur Duchesneau, fils d’un ancien médecin de Louhans.  Des extensions et travaux divers se sont succédés au fil des décennies. Le château des Crozes est toujours une maison de retraite, médicalisée, pouvant accueillir 91 personnes et embauchant une main-d’œuvre féminine non négligeable pour les communes de Frontenaud et alentours.

La maison de retraite du château des Crozes est un établissement public géré par un Conseil d’Administration.

En allant du bourg de Frontenaud au château des Crozes, à l’orée d’un bois dénommé la Grande Rippe mais également connu sous le nom de « Bois de la Dame » en souvenir de Madame de Lavérine, un panonceau un peu fatigué indique « Source Primerose »… Il faut alors s’enfoncer dans le bois et descendre en direction de la Gizia pour découvrir l’ancien emplacement de cette source. C’est Madame de Lavérine qui, souhaitant tirer profit de cette source naturelle, décida d’en lancer la commercialisation dans les années 1920. Elle fit construire un local abritant la dite source et un autre où était mise en bouteille cette eau. Aujourd’hui encore, ces édicules résistent (pour l’instant) au temps, bien qu’envahis par la végétation. Des aménagements furent également bâtis dont on aperçoit encore aujourd’hui les vestiges : murets, tables et bancs en pierre pour goûter directement aux bienfaits de l’eau et escalier bordé de deux grands arbres marquant l’entrée des lieux. Les bouteilles de l’eau de la source Primerose portaient de belles étiquettes en couleurs dont le slogan peut aujourd’hui faire sourire : « Primerose. La plus radio-active des eaux de tables »… Des résultats d’analyses figuraient également sur l’étiquette en plus de la localisation de la source : « Château des Crozes. Frontenaud (Saône-et-Loire) ». Si les témoignages rapportent que certaines des bouteilles de Primerose furent vendues jusqu’à Cannes, l’essentiel de la production s’écoulait à l’épicerie du village ainsi que, comme le mentionne le verso d’une carte postale de l’époque « dans les pharmacies et maisons d’alimentation de Louhans ». Cette même carte postale porte l’inscription : « Eau naturelle, légère, de goût agréable, reconstituante, digestive, stimulant toutes les fonctions de l’organisme ». La promotion de cette eau fut également faite par Madame de Lavérine à travers des affiches où le château des Crozes est également et exagérément mis  en valeur par sa proximité avec les monts du Jura. Malgré cet investissement, la commercialisation de la source ne fit pas long feu puisque le 9 juin 1925 Madame de Lavérine dut comparaitre devant le Tribunal Correctionnel comme le rapportait à l’époque le journal L’Indépendant. En effet, Madame de Lavérine vendait l’eau de Primerose en tant qu’eau minérale mais sans acquitter les droits inhérents à cette catégorie d’eaux. Le rapport de l’audience note même que l’eau ne possède pas les propriétés thérapeutiques vantées et « qu’il est inexact de prétendre que la dite eau est destinée à remplacer les boissons hygiéniques, notamment les vins, mais qu’elle est plutôt destinée à être mélangée à ce dernier qu’à le remplacer » … Aujourd’hui, la source coule toujours au Bois de la Dame, aux Caravattes. Les installations sont toujours en place. On dit même qu’il n’y a pas si longtemps quelques Frontenaliens allaient y chercher leur eau… Et les amoureux de ce lieu espèrent pouvoir remettre en valeur ce petit site cher aux passionnés de patrimoine et d’histoire locale.     

La source au temps de son fonctionnement (collection particulière).

Près de l’ancienne cure, sur la place du village, est installée la bibliothèque. Située dans l’ancienne école de filles (nous y reviendrons), la bibliothèque est l’un des trois pôles de la bibliothèque intercommunale, les deux autres étant Cuiseaux et Varennes-Saint-Sauveur. Nouvellement aménagée et arborant désormais une façade dans les tons rouges, la bibliothèque de Frontenaud sera prochainement rebaptisée « Pôle Logerotte ». Afin de coller à l’actualité, petit arrêt sur ce personnage puis sur le château qu’il fit construire sur la commune : le château des Crozes. Jules Logerotte est né en 1823 à Chalon-sur-Saône. Licencié en droit, époux de Laure Werbranc, il est avocat à la Cour d’Appel de Paris puis au Barreau de Louhans. Profondément libéral, il resta avocat, n’admettant pas de siéger aux côtés de magistrats ayant soutenu Louis Napoléon. Elu conseiller municipal de Frontenaud en 1871, réélu en 1874, il devient maire de la commune en 1876. Pour l’anecdote, étant républicain, il est révoqué sous l’Ordre moral en août de l’année suivante. Jules Logerotte fut également Conseiller général de Cuiseaux en 1871 et 1883 ; secrétaire du Conseil général d’octobre 1871 à 1877 ; membre de la Commission départementale de 1871 à 1876 ; député en 1876 ; sous-secrétaire d’Etat à l’Instruction publique, spécialement délégué aux Beaux-arts en 1882, poste dont il démissionnera l’année suivante. Sur le plan local, il fut l’un des fervents partisans de la construction du collège de filles de Louhans et fut président de la Société d’Agriculture de la ville de 1879 à sa disparition en 1884 à Paris, des suites d’une longue maladie.  Ayant acquis une certaine fortune, Jules Logerotte effectua de nombreux voyages en Europe durant sa vie, notamment en Italie (il écrivit d’ailleurs ses observations dans un ouvrage publié en 1864 : De Palerme à Turin), et fit édifier à Frontenaud un château, aujourd’hui connu sous le nom de château des Crozes. 

Au fond de la place, à gauche du clocher, la bibliothèque de Frontenaud.