Traditions bressanes
"Peaux de lapins, pô, pô, pô de lapins"
L’invention par le préfet Poubelle du récipient portant son nom provoque en 1884 une grève des chiffonniers évalués alors au nombre de 15 000 : l’obligation d’utiliser cette nouveauté pour des raisons d’hygiène et de salubrité porta un coup fatal aux chiffonniers urbains.
En milieu rural, le chiffonnier opérait différemment car à la campagne le recyclage des ordures (en quantité bien moindres qu’aujourd’hui, il va sans dire) était chose naturelle : épluchures et carcasses faisaient l’affaire des cochons, l’os du jambon utilisé pour parfumer la potée de légumes et les résidus inutilisables terminaient sur le tas de fumier ou au fond de la cour, dans une sorte de dépotoir domestique.
Chiffons, ferraille, plumes des volailles, poils des cochons, vieux tonneaux, bref, tout ce qui peut faire l’affaire du pati était mis de côté en attendant son passage. Une fois l’objet de son négoce récupéré, il trait sa cargaison avant de la revendre aux différents artisans qui pouvaient la transformer : papetiers, cartonniers, matelassiers, brossiers ou forgerons…
Enfin, certains patis s’étaient faits une spécialité de revendre les peaux de lapin, animal couramment présent dans les fermes comme les dans les maisons de ville dont les jardins abritaient souvent cette viande de choix. Une fois l’animal exécuté et dépecé, on faisait sécher la peau dans un endroit sec et froid attendant le passage du marchand appelé « crieur de peaux de lapins » et faisant connaître son arrivée par son cri : « Peaux de lapins, pô, pô, pô de lapins ». Les peaux nobles (martres, belettes…) et en bon état finissaient chez le pelletier qui en confectionnait des vêtements de fourrure ; le poil de lapin aboutissait chez le chapelier qui l’utilisait pour fabriquer les feutres, résistants à la pluie.
Entre diseurs de prières et Bohémiens
A la fin du 19ème siècle, les colporteurs hommes vendent plutôt des lunettes, des dés à coudre, des ciseaux, des bagues fantaisie ou des alliances en cuivre et des almanachs (alors quasiment l’un des seuls écrits diffusés dans les campagnes avec la Bible). Les femmes quant à elles proposent foulards, rubans, dentelle, fil à coudre et à broder et des aiguilles.
Selon les contrées, certains colporteurs se spécialisent donnant lieu à des professions originales comme le « diseur de prières ». Ce dernier transporte pour seul bagage qu’un petit autel dépliant et quelques statuettes : s’installant dans un coin de la maison l’accueillant, il met une demi-heure environ à réciter à voix basse les sept psaumes de la Pénitence, chargés de conjurer le mauvais sort et de protéger tous ceux, bêtes et gens, qui vivent sous le même toit. Parfois, il vend aussi quelques images pieuses. En guise de paiement, on lui donne le gîte (une brassée de paille dans la grange) et le couvert.
En Bresse comme ailleurs, il était de bon ton de recevoir de façon convenable les colporteurs, marchands ambulants et autres voyageurs de grands chemins… tout du moins ceux que l’on connaissait. D’autres par contre étaient évités et fuis à l’image des Bohémiens, ces « voleurs d’enfants et de poules » comme on les surnommait. L’arrivée dans un village d’une roulotte d’où grouillaient enfants pieds nus et en haillons, femmes vendant des paniers et hommes proposant leurs services n’était jamais vue d’un bon œil et présageait quelques catastrophes.
Par contre, les marchands habituels, voire même certains mendiants, étaient attendus : par leur passage à intervalle fixe, on se réapprovisionnait en denrée quelconque mais surtout on en savait un peu plus sur les nouvelles des villages voisins ou de contrées semblent bien lointaines pour un Bressan attaché à sa terre.
Rétameurs, rémouleurs et autres patis...
Les chemins de Bresse ont été marqués pendant plusieurs décennies par ces marchands ambulants spécialisés qu’étaient les rétameurs. Avec un matériel réduit (petite forge ambulante et un soufflet), le ferblantier ou « magnien » redonnait tout leur aspect aux couverts et autres pièces à rétamer.
Le rémouleur était également attendu (bien que de nombreuses possèdent leur propre « moule ») afin de redonner tranchant et vivacité à tous les fers et taillants de la maisonnée. Installé sur la place du village, il était surnommé dans certaines régions « Bijiji » en référence au bruit que faisait la grande meule à eau sous la lame d’acier des ciseaux ou couteaux. Parfois, il lui arrivait de réparer plats et assiettes en faïence : cette vaisselle raccommodée l’était à l’aide de petits crochets métalliques habilement ancrés dans la matière.
Enfin, passait à dates plus ou moins fixes ceux que l’on appelait habituellement les « patis », récupérant de ci de là quelques menues pièces de tissus, ferrailles que l’on trouvait bons à jeter et dont eux trouvaient matière à revendre. Cette pratique existait également dans les villes où évoluaient les chiffonniers, effrayant et repoussant leurs concitoyens de leur aspect miséreux. Au milieu de la nuit et au petit matin, muni d’une lanterne, ils fouillaient les détritus et mettaient dans leur hotte ou leur sac os, chiffons, papiers, croûtes de pain, déchets de toute sorte, objets brisés qu’ils pensaient récupérables. Les chiffons étaient revendus auprès des fabricants de carton, les objets abîmés étaient réparés et les croutes de pain réduites en chapelure pour la confection charcutière des pieds de cochon panés…
L'humanisation des chemins : les marchands ambulants
Le facteur ou le garde-champêtre rencontraient parfois sur les chemins de Bresse de drôles de figures, chargées de carrioles ou de petits ateliers ambulants allant proposer leurs services de village en village.
Le premier marchand ambulant que nous croisons est un colporteur. Chargé d’objets divers et variés qu’il porte sur son dos ou à l’aide d’une charrette à bras ou tirée par un chien, il est aidé dans sa marche par un fort bâton de bois noueux le déchargeant un peu du poids de son lourd fardeau.
Alors que le colporteur urbain, ou « marchand d’imprimés », disparait au fil du 19ème siècle car soupçonné de diffuser des écrits séditieux, le colporteur rural devient de plus en plus fréquent, faisant des adeptes avant tout dans les zones de montagnes. En effet, les activités tournant au ralenti pendant la période hivernale, un des hommes de la famille peut alors prendre la route pour diffuser dans les campagnes toutes sortes de produits achetés en gros à la ville. A l’origine, ces denrées étaient transportées dans une boîte en bois portée en bandoulière et appelée « marmotte ». Cette appellation vient du fait que les colporteurs savoyards exhibaient une marmotte (animal exotique s’il en est dans les autres régions) dans une boîte en bois.