Traditions bressanes

Alors que l’on vit l’ère du « tout communication » (Internet, téléphonie et autres SMS envoyés à la va-vite au détriment parfois d’un réel sens de la sociabilité…), c’est aux peuples de l’Antiquité que l’on doit les premiers services de courrier. Devant la nécessité de communiquer rapidement entre eux, un système de relais fut mis en place : à chaque étape, le messager trouvait dans des gîtes, nourriture et monture fraîche.
Mais c’est à Louis XI que l’on doit la naissance de la Poste. Menant bataille en Lorraine contre Charles le Téméraire et voulant être rapidement informé du déroulement des hostilités, il a l’idée de disposer ses chevaucheurs de distance en distance sur la route de l’Est pour que, galopant de l’un à l’autre, ils se transmettent le message de la main à la main. Ces hommes sont dits « chevaucheurs tenant la poste pour le roi », le mot « poste » désignant alors la place de chaque cheval dans l’écurie.
Par un édit du 19 juin 1464, le roi crée les Relais de Poste posant ainsi les fondements du système actuel : franchise postale, secret professionnel et inviolabilité des correspondances.
Certaines routes sont alors « montées en poste », avec des relais à intervalles réguliers. La distance séparant deux relais de poste, distance que parcouraient au galop les messagers postaux chaussés de grandes bottes rigides, était à l’origine d’une trentaine de kilomètres, soit sept lieues : les fameuses sept lieues associées aux célèbres bottes du conte de Charles Perreault !...
Dans nos campagnes, les facteurs sont recrutés à partir de 1830 parmi les anciens soldats de l’Empire, réputés disciplinés et capables d’exécuter de longs et pénibles trajets à pied par tous les temps. Ils sont rémunérés à la distance parcourue et à la journée, le kilomètre valant quatre centimes en 1830 et c’est en 1835 que l’administration préconise le port d’un uniforme.
En 1875, 34 404 localités n’ont pas de bureau de poste : 20 000 facteurs les desservent alors. Chaque facteur rural effectue en moyenne 27 kilomètres par jour : on signale même dans l’Indre une tournée de plus de 53 kilomètres. C’est en 1863, que la Poste distribue le courrier à domicile sur l’ensemble du territoire français, l’usage de la bicyclette pour ce faire se généralisant à la fin du 19ème siècle, les tournées en automobiles apparaissant au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Afin d’assurer une présence en zone rurale, la Poste crée au 19ème siècle des établissements dans des localités modestes où les agents sont à la fois facteurs et guichetiers. En général, ils distribuent le courrier le matin et tiennent le guichet l’après-midi, parfois aidés de leurs épouses. Ces agents, appelés facteurs-receveurs, receveurs-distributeurs, receveurs ruraux… ont marqué de leur présence l’espace rural jusqu’au 20ème siècle. Leur passage dans les fermes et les écarts était attendu avec impatience car en plus d’être les porteurs du courrier, il l’était aussi des nouvelles du bourg et des localités voisines. Que dire de leur rôle en période de guerre lorsqu’ils étaient les messagers tant espérés des nouvelles des hommes de la famille partis au front…
Personnage incontournable de la vie sociale en milieu rural, il n’était pas rare qu’on fit au facteur une place à table pour « marander ». Les jours de « machine » ou de « tuage du cochon », il arrivait parfois par hasard à l’heure du repas… C’est avec plaisir qu’on le gardait alors à la ferme, assuré qu’il rattraperait le cours de sa tournée ensuite…

Au détour de notre balade dans le bourg d’un village bressan, la cloche retentit du côté de l’école : c’est la fin de la récréation. Les enfants rentrent en rang dans la salle de classe. Les garçons sont alors séparés des filles : chacun reçoit un enseignement particulier, donné par un homme ou une femme, dans deux bâtiments distincts. Si la cour de récréation est séparée aussi, on se retrouvera tous ensemble plus tard, sur le chemin du retour en rentrant à la maison…
Entrons dans la salle…
Une odeur de craie, de poussière et de cendres flotte dans l’air : l’odeur bien caractéristique des salles de classe…Les enfants sont assis bien droits devant leur pupitre, table double à laquelle sont rattachées deux petites assises et possédant un trou où placer l’encrier en porcelaine blanche qu’un élève a pris soin de remplir le matin même. Chacun à tour de rôle vient plus tôt le matin pour rentrer le bois nécessaire à l’allumage du poêle de la salle, pour remplir les encriers, y compris celui du maître plus gros et en verre, d’une encre violette, et pour nettoyer le tableau et y inscrire la date et la morale du jour.
Le maître est là, debout, passant entre les tables pour dicter sa leçon : imposant, il parle d’une voix forte et distincte. Il porte une blouse grise, de fines lunettes rondes, tient d’une main un livre et de l’autre une baguette en bois…
Aux murs s’étalent des cartes géographiques, des planches de couleurs représentant des scènes historiques ou de la vie quotidienne(les fameux panneaux Rossignol), une petite étagère contient des poids et mesures et une vitrine renferme des fossiles, des animaux empaillés et un globe terrestre.
Devant le tableau noir trône le bureau du maître, sur une estrade. L’ambiance est studieuse et lourde… Refermons la porte et sortons pour ne pas déranger la leçon du maître qui sera peut-être oubliée le lendemain ou restera gravée dans la mémoire des élèves une fois grands…

Si le maître d’école représente l’instruction, le prêtre le respect de la religion, le gendarme, lui, représente la loi ! Apparue sous le nom de « maréchaussée », la « gendarmerie nationale » (de « gens d’armes ») naît historiquement en 1791.   
L’obéissance absolue à la loi étant le propre de la fonction du gendarme, cette caractéristique lui vaudra d’être assez mal vu par la population. En effet, au moment de la Révolution Française, c’est lui qui assure la levée en masse des recrues pour l’armée, recherche les déserteurs et traque les prêtres réfractaires. A la fin du 19ème siècle, lorsque la révolution industrielle va entraîner des mouvements sociaux, son rôle de briseur de grèves et de manifestations va le faire passer aux yeux du peuple pour un mercenaire à la solde du patronat, image négative véhiculée également par les romanciers naturalistes.
Dans nos campagnes, la présence du gendarme est doublement perçue. De manière positive lorsqu’il rassure les routes où vagabondent bohémiens et autres rôdeurs enclins à perturber le quotidien. Par contre, lorsqu’il intervient dans le domaine du braconnage, d’histoires de chasse ou de petite contrebande, sa présence est nettement moins souhaitée…
Autre uniforme, affolant moins que celui du gendarme, celui du garde-champêtre. Tout le monde le connaît au village et l’apprécie car originaire du pays et passant ses journées à sillonner la campagne. Il incarne lui aussi l’ordre mais l’ordre municipal concernant les délits ordinaires, infractions dans les forêts, sur le terrain communal ou le champ de foire, querelles de voisinage…
Premier messager de la République, il représente aussi celui qui sait les nouvelles du monde extérieur. Tambour en bandoulière, casquette vissée sur la tête où sont brodées les initiales « G C », il annonce les nouvelles qui viennent de la ville ou les arrêtés décidés par le maire. Roulement de tambour puis : « Avis à la population ! ». Sa venue sur la place publique est par contre vécue avec inquiétude en période de guerre : les nouvelles sont alors rarement bonnes…
Pour terminer sur une note joyeuse, voyons la description que fait Marcel Aymé de Capucet, garde-champêtre personnage de son roman La Table-aux-Crevés : « Dans le pays, il ne se buvait rien de sérieux sans Capucet. A l’occasion du 14 juillet, Capucet revêtait son uniforme ; le reste du temps, il était habillé comme tout le monde et un peu plus mal, sauf au jour de l’an qu’il coiffait son képi. »

Venant d’évoquer la figure du prêtre, faisons de même avec le maître d’école. Sous l’Ancien Régime, école et église sont très liées et le maître d’école est aussi le sacristain du curé, l’aidant dans ses démarches administratives, participant à l’entretien de l’église, chantant lors des messes… En plus de ces fonctions, lui revient la tâche d’enseigner auprès des quelques enfants fréquentant sa salle de classe bien souvent située chez lui. On apprend essentiellement la lecture et le chant puisque concernant l’arithmétique ou la grammaire, le maître d’école n’a souvent pas les capacités requises : il est souvent commerçant (tisserand, sabotier… au bourg) ayant plus d’instruction que la moyenne mais sans plus.
Avec le temps, le clergé prend une grande emprise sur le système éducatif jusqu’à 1905 marquant la séparation de l’Eglise et de l’Etat et faisant naître des conflits entre religieux et laïcs, d’autant que l’école est obligatoire depuis 1882 grâce à Jules Ferry. Dans les années 1930-1940, le maître d’école participe à la vie du village et loge avec son épouse dans des appartements situés au-dessus de la mairie école. Parfois sa femme s’occupe des petites sections, lui des plus grands et fait également office de secrétaire de mairie.
Souvent originaire de l’extérieur, il apprend à connaître sa région d’adoption, essaie de s’habituer aux coutumes locales : il doit se faire au patois tout en essayant de l’exclure en classe, doit faire avec les parents envoyant leurs enfants à l’école uniquement en période hivernale lorsque les travaux à la ferme sont moindres. Craint, respecté, il est une référence pour les élèves souhaitant réussir : c’est de sa pédagogie dont peut dépendre l’avenir d’un enfant. Des liens plus amicaux peuvent se créer lors de sorties particulières comme le jour où il prend sa voiture pour emmener ses élèves passer le certificat d’études au chef-lieu de canton. Tout le monde se souvient de son maître d’école même s’il a changé de nom pour devenir « instituteur » puis « professeur des écoles »…