Traditions bressanes

Alors qu’augmente au début du siècle le nombre de ces petites échoppes où l’on trouve de tout, la population rurale devient consommatrice de nouveaux produits importés de la ville vendus dans des boutiques polyvalentes ou spécialisées comme les merceries et les quincailleries.
Même ambiance chez le quincailler que chez l’épicier : les murs sont pleins à craquer d’objets divers et variés dont la similitude pourrait être « tout pour la maison » ! Balais, paniers, batteries de casseroles, outils de jardinage sont accrochés entre eux. Boîtes d’encaustique, cartons de savon de Marseille, sacs de teinture… on trouve de tout à la fois pour Madame et pour Monsieur.
Des marques et des slogans tapissaient l’espace des quincailleries-drogueries qui se faisaient parfois également lieux de vente de produits phytosanitaires, vétérinaires ou même de vin rouge : la poudre Jex pour l’émail, de l’Argentil pour un brillant instantané, de la lessive Panamose, Panamor ou encore Panamousse, les pinceaux et peintures Ripolin, de l’insecticide Cobra, de la Zébraline…
Autre échoppe qui a vu le jour à peu près en même temps : la graineterie. On y vient que l’on soit exploitant agricole où simple jardinier en mal de retrouver les sensations du travail de la terre sans en avoir les inconvénients. De grands sacs de graines accueillent le client venu chercher qui de l’engrais, qui un outil ou bien encore une machine agricole car en campagne, le grainetier proposait à sa clientèle charrues, herses, rouleaux, faneuses, faucheuses pour atteler derrière les chevaux et les bœufs.
Les modes de vie ont évolué avec l’arrivée du progrès : dans les années 1950’, on fait désormais du jardin pour se détendre ou simplement pour la consommation de la maisonnée lorsque le père de famille ne cultive plus la terre professionnellement. De même, on  ne fabrique plus ses outils on les achète : plantoirs en forme de pistolet, corne pour porter la pierre à aiguiser… Chaque objet a désormais une fonction bien particulière : différents types de pinces ou de sécateurs font leur apparition là où autrefois un simple et seul outil bricolé sur l’étau servait à peu près à tout.      
On pourrait ainsi multiplier les exemples de ces échoppes spécialisées en un domaine en particulier mais encore une fois, leur existence variait que l’on soit en milieu urbain ou rural par exemple. Sans compter que certains villages pouvaient posséder un seul et unique lieu pour vendre tous ces produits bien que divers et variés. D’autant que pour récurer les casseroles ou faire briller l’étain, les astuces de grands-mères (sans être appelées de la sorte) avaient encore bien le vent en poupe…

Après la boucherie et la boulangerie, allons faire un tour à l’épicerie.
Encore une fois rare au tout début du 20ème siècle, elle fait peu à peu son entrée dans les bourgs et c’est dans les années 1950 que ce lieu devint l’image-même du petit commerce où l’on trouve de tout.
Une épicerie est, à l'origine, un petit commerce de produits alimentaires tenu par un commerçant indépendant. Comme son nom l’indique, l' « épicier » vendait principalement des épices, terme apparu au Moyen-Âge où la spécialisation des commerces était grande. Cependant, au départ, le nom d'épicier s'appliquait aux simples chandeliers ou fabricants de bougie, ou alors à cette classe intermédiaire entre les empiriques et les médecins, qu'on appelait les apothicaires. Historiquement, on trouve également qu'un épicier était un drageoir (sorte de coupe) dont on se servait pour offrir des épices, ou encore l'officier à la cour de Bourgogne chargé de la présentation des épices et des médicaments.
Corporation présente autrefois à Louhans, les épiciers avaient même un journal national hebdomadaire créé en 1893 par Albert Seigneurie et portant le nom explicite de « L’Epicier ». D’après ses auteurs, les buts de ce journal étaient :
« 1° Arborer fièrement comme un grand nom de famille celui de notre profession;
2° Adjurer tous ceux qui l'exercent de ne jamais en rougir et de répondre par le seul mépris aux ineptes moqueries des sots et des inutiles, incapables d'y appartenir et qui essaient de le ridiculiser;
3° Rappeler à nos confrères (dont beaucoup semblent l'avoir oublié) que notre corporation est à la fois la plus grande et la plus puissante de la Nation, puisqu'elle est la plus nombreuse, embrasse la plus grande quantité d'articles, cause le plus considérable mouvement d'affaires et fait produire la plus grande somme de travail;
4° Leur démontrer qu'il suffirait d'un lien moral très étendu pour former un mouvement d'opinion et changer cette puissance latente en une puissance effective, suffisante pour combattre victorieusement les injustices et les multiples abus qui nous accablent... »
Autrefois indépendant, l’épicier d’aujourd’hui dépend bien souvent de grandes chaînes de distribution et n’occupe plus tout à fait la même place qu’auparavant à savoir de disposer de tous les produits de consommation que l’on ne pouvait tirer des ressources du sol ou de la ferme. Aujourd’hui, l’épicerie apparaît plus comme une solution de dépannage et, élément visible à travers les épiceries urbaines de quartiers comme en milieu rural, un service de proximité et de disponibilité immédiate.

Entrons donc dans une épicerie des années 1940-1950… Le « ting » de la cloche d’entrée nous accueille et annonce notre venue. En ville ou à la campagne, l’ambiance est la même : une profusion de produits s’étale sur tous les murs de la boutique, parfois même jusqu’au plafond…
Boîtes en fer blanc contenant cacao, thé, chicorée ou café voisinent avec les plaques de chocolat, les œufs frais, les sardines en conserve ou les légumes en bocaux. Des plaques publicitaires en tôle émaillée attirent l’attention des clients : le tirailleur sénégalais des boîtes Banania lance son célèbre « Y’a bon » à une « Vache qui rit » ; le bouillon « Kub » intéresse la cuisinière qui a bien du mal à tenir son fil tout émoustillé par une enseigne du chocolat Meunier ou par le présentoir à bonbons posé sur le comptoir… A ces réclames venaient s’ajouter le sempiternel panneau : « La maison ne fait pas crédit »…
Le comptoir est donc là, trônant au milieu de l’unique pièce de la boutique, caverne d’Ali Baba souvent jumelée comme nous l’avons déjà vu à un café ou à l’atelier d’un sabotier. Dessus, est placée la balance de Roberval à deux plateaux suivie de ses petits poids en fonte de toutes les tailles, de quoi mettre « bon poids » comme on disait… Les petits pochons ne papier sont là aussi, attendant d’être remplis par l’épicière de denrées livrées en vrac : riz et farine sont alors facilement achetés par la cliente en livre ou en demi-livre.
C’est que le travail n’est pas de tout repos pour la tenancière du magasin : le libre-service n’était alors pas d’actualité ! La cliente posait sa liste sur le comptoir puis l’épicière parcourait ses rayons pour proposer le produit demandé. Sans parler des lieux où l’on torréfiait aussi le café, où l’on montait la mayonnaise sous les yeux du client et où on coupait à l’aide d’une pince spéciale les gros pains de sucre coniques.
Là où les crèmeries étaient rares, l’épicerie faisait également office de distribution : on venait alors avec son bidon à lait en aluminium pour faire le plein ou alors on venait chercher du beurre. Souvent exposé sous la forme d’une grosse motte, le beurre était découpé à l’aide d’un fil puis grossièrement mis en forme avec une pelle en bois ; certains épiciers utilisaient des moules en bois afin d’éviter la pesée, rappelant ainsi l’usage autrefois domestique des moules à beurre décorés et personnalisés à la ferme…

Pour la cuisson, toute la maisonnée était sur le pied de guerre pour cet évènement, du grand-père pour sa connaissance des pratiques liées au chauffage du four, aux petits-enfants charmés par l’odeur dégagée de la cuisson à laquelle on ajoutait parfois les jours de fête (notamment pour la fête patronale) la cuisson de tartes ou brioches faites maison.
« Je me souviens de l’agitation qui régnait à la maison lorsque mes parents faisaient le pain, deux fois par mois. Le soir, après la soupe, mon père vidait dans la maie un sac de farine. Pendant une bonne heure, ma mère travaillait la pâte, la soulevant de ses bras nus et la jetant violemment. Toute la nuit, la pâte gonflait.
Mon père levé une heure plus tôt que d’habitude, chauffait le four avant d’aller à sa journée. Armé d’une vieille fourche en fer à long manche, il enfournait dans le brasier des fagots d’épines, les poussant aux quatre angles du four pour que la chaleur y fût bien égale. Pendant ce temps, ma mère répartissait la pâte par petits paquets dans des bourriches de paille, confectionnées durant l’hiver, qu’elle plaçait dans le lit encore chaud et recouvrait de couverture. Lorsque tous les fagots avaient brûlé, elle vérifiait que le four était bien chaud.
 Avec une rabale, sorte de râteau fait d’un morceau de planche fixé au bout d’un long manche, elle commençait à ratisser les braises, les repoussant contre les parois. Ensuite, elle prenait les bourriches, les renversait d’un coup sec sur une grande pelle plate et saupoudrait la pâte d’une poignée de farine. Mon père, ruisselant de sueur, faisait glisser la pelle sur les briques brûlantes, la retirait d’un geste rapide jusqu’à ce que la dernière miche trouvât sa place face à l’entrée du four, que l’on fermait immédiatement d’une plaque de tôle. Mon père pouvait enfin partir aux champs. »
C’est ainsi que Henri Pitaud raconte ses souvenirs (Le Pain de la terre) que peut-être certains d’entre vous ont connu également avec plus ou moins de divergences. Pour les autres, l’odeur du pain cuit chatouille peut-être vos narines, une odeur de bon pain de campagne… si ce n’est que jusqu’à la fin du 19ème siècle, le pain du paysan n’était pas blanc, à base de froment, mais de son et de seigle donnant une teinte noirâtre à la mie.
D’autant que le pain était souvent consommé rassis, sec, du fait que les fournées avaient souvent lieu deux fois par mois, plus ou moins selon l’importance et l’aisance des familles : la douceur du pain sorti tout juste du four était réservé aux grands visiteurs ou à des circonstances exceptionnelles : visite des propriétaires aux fermiers, mariage…