Traditions bressanes

A chaque époque et selon les lieux, des objets ont marqué l’intérieur de ces bistrots et les habitudes des clients. Le percolateur par exemple, qui admettait qu’il fût omniprésent dans tous ces établissements appelés « cafés » où l’on consommait bien évidemment… du café, le fameux « petit noir » souvent arrosé de « calva » ! En réalité, seuls les lieux modernes possédaient ces machines luxueuses où la vapeur passait en pression au travers du café moulu. Mais pour beaucoup, on consommait du « café au bâton » : le café moulu étant déposé directement dans la cuve et recouvert d’eau chaude, on remuait le tout à l’aide d’un bâton avant de laisser reposer.
Autre figure indispensable des cafés parisiens Belle-Epoque, le garçon de café : son pantalon noir à pinces, son nœud-papillon, son plateau à la main et son torchon blanc soigneusement posé sur l’avant-bras. Autres « attractions », autres lieux, autre époque, le baby-foot, qui remplace peu à peu le billard, plus encombrant mais aussi moins spectaculaire.
Enfin, si l’on fait un bond en avant, dans les années 1960’, les bistrots et cafés sont indissociables des juke-boxes. Son ancêtre apparaît à la fin du 19ème siècle des mains d’un Allemand, Rudolph Wurlitzer, fabriquant de pianos puis de pianos mécaniques comme le Ténophon (1896) fonctionnant en y introduisant une pièce qui rencontrera le succès dans les bastringues et salles de cinéma muet. Mais c’est en 1933 que la fille de l’inventeur achète la licence d’un nouvel appareil : le juke-box. Faisant son entrée dans les cafés, il devient un moyen privilégié de diffusion de la musique : rock, pop puis musique yéyé s’introduisent alors dans les chaumières bressanes. Il tentera même de suivre son temps avec le fameux Scopitone, un juke-box surmonté d’un écran de projection qui proposait les ancêtres du vidéo-clip.
Le juke-box – avant qu’il ne soit détrôné par l’arrivée de la télévision - devient alors le point de rendez-vous des jeunes gens du village, dans les bistrots, là où leurs parents se retrouvaient pour « taper le carton », « boire une petite » ou tout simplement se retrouver ensemble…

Si l’on évoque avec plaisir, parfois même avec nostalgie, l’omniprésence des bistrots dans nos vieux bourgs ou nos villes, il faut tout de même se dire qu’ils avaient déjà réduits considérablement au tout début du siècle. En effet, on estime à dix par jour le  nombre de cafés disparaissant sur le territoire français après l’interdiction, le 16 mars 1915, de la consommation d’absinthe, la « fée verte » comme on l’appelait alors.
Immortalisée par Emile Zola dans son roman L’Assommoir, l’absinthe est une liqueur alcoolisée de couleur verte réalisée à partir de plantes amères et aromatiques dont une consommation accrue provoque d’importants dégâts sur l’équilibre nerveux. Ouvriers y noyant le quotidien ou artistes y trouvant l’inspiration créatrice étaient alors les plus touchés. De nos jours, alors qu’une version « allégée » a été mise sur le marché, le souvenir de la fée verte transparait à travers les cuillères à absinthe conservées précieusement d’une grand-mère ou chinées chez le brocanteur. Cette cuillère oblongue percée de trous, souvent en argent, une fois posée sur le verre dans lequel était la liqueur, recevait un morceau de sucre : on versait lentement dessus un peu d’eau qui s’écoulait alors par les trous de cette dernière, faisant ainsi fondre le sucre et allongeant la liqueur.
« Byrrh », « Cinzano », « Picon » autant de marques qui habillaient les murs des petits cafés comme des grandes brasseries grâce à leurs publicités, affiches, objets dérivés tels que les tapis de jeux de cartes. Que l’on vienne y boire un coup ou taper la causette, les cafés étaient un lieu convivial dans lequel on pouvait ne pas être vu. En effet, de nombreuses vitrines de cafés comportaient un décor gravé dans leur partie inférieure si bien que depuis la rue on ne puisse reconnaître les personnes attablées… jusqu’en 1939 où la réglementation imposera que les forces de l’ordre puissent d’un seul regard contrôler l’identité des consommateurs… Adieu les belles gravures ? Nullement. Les tenanciers inversèrent tout simplement le sens de ces vitres : les mettant la tête en bas, les gravures se retrouvèrent dans la partie supérieure et ne gênèrent nullement le travail des forces de l’ordre…

S’est-on déjà demandé quel était l’origine du mot bistrot ou même de leur création ?
Au départ, on les appelait les « buvetiers » et on y servait de l’eau-de-vie recommandée par les médecins pour soigner les  vers, la gale ou encore la peste… Mais c’est en 1688 qu’apparaît le premier « café » tel qu’on le conçoit aujourd’hui, où on y buvait du thé, du chocolat et du café : ce lieu était tenu par Francesco Procopio et lui laissa son nom, le « Procope », au 13 Rue de l’Ancienne-Comédie à Paris, aujourd’hui restaurant.
Après cet essai, de nombreux Auvergnats ou Aveyronnais ouvrirent des brasseries à la capitale, commençant leur carrière comme porteurs d’eau ou « livreurs de bain à domicile » à une époque où les bourgeois du 17ème siècle n’avaient pas de baignoire. Ils se faisaient donc monter de lourdes baignoire-sabots en bois, puis des seaux d’eau chaude par ces petites mains qui attendaient que le bain soit pris pour redescendre le tout. Par la suite, ils se transformèrent en fameux « bougnats » livrant bois et charbon depuis leur dépôt qu’ils prolongeaient souvent d’un « café ». L’apparition du chauffage central mit un terme à l’activité des bougnats mais non à celle des cafés et bistrots, appellation qui viendrait du mot russe « bistro » signifiant « vite ». Bien que cette explication soit assez obscure, elle demeure dans les esprits disant que pendant l'occupation russe de Paris (1814 - 1818), les soldats russes n'ayant pas le droit de boire et craignant l'arrivée d'un gradé criaient « bistro, bistro », « vite, vite » pour ne pas être surpris.
L'origine du mot bistrot est en effet incertaine et discutée. Il pourrait s'agir d'un régionalisme importé à Paris au19ème siècle d'où il s'est diffusé à travers la France : du poitevin « bistraud » ou du  « bistroquet » du sud de la France signifiant au départ un domestique, puis le domestique du marchand de vin, puis le marchand de vin lui-même. Ce qui tend à renforcer cette hypothèse est que le mot « bistrot » désignait aussi bien le tenancier d'un bistrot que l’établissement où l'on sert du vin. Certains l'ont rapproché du mot « bistrouille », mélange de café et d'alcool dans le nord qui aurait donné son nom à l'établissement où on le servait. D'autres pensent qu'il dérive du mot argotique « bistingo » « cabaret ». Encore un mystère à jamais perdu…