Traditions bressanes

Pour les poètes et artistes romantiques, à ce côté apaisant de l’eau venait s’ajouter un aspect plus obscur, tentateur : l’eau était associée à la femme et à la mort. Les eaux stagnantes comme les marais ou les mares sont ainsi signe d’intemporalité mais d’intemporalité sans joie, éternel carrefour entre ciel et terre. Si le fond du lac ou de la source mène au monde magique, le fond du marais n’est peuplé que de morts sans repos.
Pour expliquer cette image négative, on peut évoquer les maladies se développant dans les lieux marécageux, la maladie étant perçue autrefois comme une hésitation entre la vie et la mort. La présence de feux follets y est aussi pour quelque chose.
Si l’on répertorie les êtres fabuleux connus sur l’ensemble des régions françaises en rapport avec le monde de l’eau, trois catégories apparaissent. Ceux des eaux douces : naïades, nymphes, ondins et ondines ; tous bienveillants. Arrivent ensuite ceux des mers au tempérament plus tumultueux : Mari Morgan, morganes, océanides, néréides, selkies et tritons. Enfin, existent ceux des eaux stagnantes et des marais, cette fois franchement malveillants et destinés à égarer et à perdre (dans tous les sens du terme) le promeneur : lavandières de nuit, nix et nixes, sorcières d’eau et vouivres. 
Entre croyances séculaires et imagination fertile, il est facile de comprendre pourquoi on associe aux forêts bressanes baignées de brouillard et parsemées de pièces d’eau des apparitions étranges et à risques. Vouivres, dames blanches, cavaliers sans tête, fantômes errants apparaissaient bien souvent dans cette atmosphère...

La fontaine de Barenton a un lourd passé où histoire et légende se mêlent. On dit que ses eaux sont curatives et qu'elles ont le pouvoir de guérir les maladies chroniques : il fut même question en 1931 d'établir un sanatorium antituberculeux tout près de celle-ci à Mare Forêt.
Elle fut un sanctuaire de la religion celtique : les druides y avaient installé une école et un hôpital et y célébraient leur culte voué au dieu solaire Bélénos, dieu de la foudre et des sources, grand dieu guérisseur. Le nom de la fontaine dans les textes féodaux est d'ailleurs, Balenton ou Beleton, noms se rapprochant par consonance du nom du dieu.
Il semble que le site fut christianisé après le départ des druides par la construction d'une chapelle à côté de la fontaine : la disparition de cette chapelle semble être consécutive à la venue dans la région d'un personnage étrange, Eon de l'étoile, au 12ème siècle.
Originaire de Loudéac et issu de la noblesse bretonne, Eon, petit moine à peine lettré, fut envoyé par le seigneur de Gaël au couvent du Moinet, près de la chapelle Saint-Mathurin sur le site de Barenton, pour éradiquer les pratiques païennes, druidiques, qui s'opéraient encore dans ce coin reculé de la forêt.
Peut-être vexé par une mutation dans un lieu aussi perdu, admirant sûrement les premiers chrétiens celtiques et vivant dans une époque de famine, Eon, révolté et mystique, se mit à partir de 1145 à piller monastères, châteaux et confortables demeures du clergé. Se proclamant fils de Dieu et Grand Juge des vivants et des morts à la tête de brigands exclus de la société, il fit des adeptes jusqu'en Gascogne, redistribuant une partie des richesses et de la nourriture aux pauvres. Voyant d'un mauvais œil ce personnage, l'évêque de Saint-Malo le fit arrêter et le traduisit en concile à Epernay devant le pape Eugène III, en 1148. Jugé plus fou qu'hérétique, il échappa ainsi au bûcher mais pas au cachot, où il mourut peu de temps après.

Beaucoup de lieux en relation avec un pèlerinage, une apparition, un miracle sont liés à deux éléments : l’eau (fontaines, sources…) et l’arbre (forêts et clairières).
Quatrième élément constitutif du monde, l’eau symbolise la pureté, la fécondité, la féminité et la réceptivité. L’eau est donc divine, protectrice, purificatrice et régénératrice à l’image des sources. La source est l’origine de la vie et est associée à l’arbre où à la montagne figurant l’axe du monde.
La source peut être aussi assimilée à la fontaine, évoquant un flot jaillissant irrépressible et sans fin. Dans la société traditionnelle, les fontaines, qui ont le caractère sacré des sources naturelles, sont l’objet de croyances et de pratiques rituelles, vestiges d’un ancien culte gaulois. En accomplissant certains rites auprès d’elles, on peut guérir les maladies, influencer le temps, protéger le bétail… Certaines sont consultées comme des oracles.
Lors de la christianisation de la Gaule, les fontaines, qui portaient le nom de divinités locales, ont été « baptisées », recevant alors des noms de saints célèbres par leurs miracles. Très souvent, une église, une chapelle ou un petit autel avec la statue du saint dans une niche ont été construits à proximité d’une fontaine pour la consacrer définitivement au nouveau culte.
A ces eaux calmes et apaisantes, l’imaginaire populaire modelé par des siècles de croyances diverses, a associé nymphes, naïades ou autres fées bienveillantes.

Comme nous avons déjà eu l’occasion de le démontrer, il apparait que la plupart des lieux de cultes et figures païens aient été « christianisés » au fil des temps. Un lieu loin de chez nous mais connu de tous représente tout-à-fait cette appropriation de lieux de culte ancien au profit du christianisme : la forêt de Brocéliande. Rendue célèbre par les aventures du Graal, cette forêt se nomme aujourd’hui la forêt de Paimpont. Ce coin de Bretagne où se mêle légendes, mystères et croyances abrite une source dite « fontaine de Barenton ».
Cette fontaine, dont l'aspect peut paraître banal, cache de nombreux mystères. Lorsque l'on s'approche de l'eau, on peut voir des bulles s'échapper vers la surface. Une légende dit que de cette fontaine naissent les fées de l'eau : chaque bulle laisse échapper de minuscules fées invisibles à l'œil nu. Une autre dit que ces bulles magiques soignent de tous les maux et surtout de la folie, d'où le nom du village qui se situe sur le chemin de la fontaine : Folle-Pensée. Cette eau paraît bouillir à certaine période de l'année mais quand on y plonge la main, elle est d'une fraicheur incroyable.
Près de la fontaine se trouve une margelle de pierre dite « le Perron de Merlin ». Ce dernier avait  pour habitude de s'y étendre pour se reposer ou pour attendre la venue de Viviane, sa bien-aimée. C'est près de cette fontaine qu'il lui apprit comment faire venir la pluie. Il suffirait de prendre de l'eau de la fontaine et de la déverser sur celle-ci pour que la pluie se mette à tomber. La légende se transforma en croyance populaire, amenant des générations successives à se rendre à des processions pour demander la pluie, et ce jusque dans les années 1950.