Traditions bressanes

Le lieu de travail du prêtre c’est l’église. Mais c’est aussi les chemins du village qu’il parcourt lors de processions, des Fête Dieu et autres rogations. C’est aussi chez l’habitant où il se rend pour donner l’extrême-onction. Baptême, communion, mariage et enterrement sont autant d’évènements marquant la vie du Bressan, et marquant pour le prêtre divers moments de sa semaine de travail…
Il entretient l’église avec son sacristain s’il en a un, sinon il peut compter sur l’aide de bonnes âmes dévouées. A l’époque médiévale, l’église était un lieu de rencontre, de convivialité parfois même un lieu de commerce : certains textes affirment le fait que la vente de bétail ou de volailles pouvait avoir lieu sur le parvis de l’église. Avant que les mairies ne soient construites, les conseils municipaux ou généraux se réunissaient parfois à l’église, dans cette église où jusqu’en 1776 on avait le droit de se faire inhumer sous le banc que l’on avait occupé de son vivant. C’est pour des raisons d’hygiène qu’une déclaration royale mit fin à cet usage : désormais tout le monde serait enterré au cimetière, espace vierge bordant l’église mais parfois déplacé plus loin du bourg là encore pour des questions de salubrité  notamment en périodes d’épidémies.
Le cimetière était lui aussi animé constituant un lieu essentiel de la sociabilité villageoise : dans certaines régions, les femmes y font sécher leur linge et des fêtes s’y déroulent. Dans certains pays notamment en Amérique du Sud, organise dans ces lieux des célébrations en souvenir des défunts : on mange sur les tombes, on chante et on danse pour eux.
Certains textes d’archives nous éclairent sur la vie régnant autrefois aux abords des cimetières. On sait ainsi que dans quelques villages, sur demande du prêtre, le mur de clôture du cimetière a été élevé afin d’éviter, les jours de foire, aux cochons de déambuler dans ce lieu saint que plus ou moins chaque Bressan en fonction de ses convictions allait fréquenter un jour ou l’autre...

A l’image du clocher de l’église surplombant le bourg du village, le curé est un personnage incontournable de la société villageoise rurale.
Tout le monde le connaît et il connaît tout le monde, par la confession il sait ce qui se trame dans le cœur de chacun, il fait partie de la vie parfois très intime de ses ouailles… C’est lui qui fait le catéchisme aux enfants, essayant de leur inculquer la bonne parole. Suivant son caractère, son tempérament, il se fond dans la communauté villageoise, va même parfois au café.
Au contraire, il peut réprimander ceux qu’il considère peu pratiquants et note sur les murs de la sacristie le nombre de participants hommes et femmes pour chaque office et fête, fait des remontrances sur le comportement de certains jeunes amoureux et dès qu’il le peut, échange des mots acerbes avec l’instituteur, sa bête noire. Dans cette bataille rangée (quand elle avait lieu), les enfants étaient bien souvent les victimes : les jours de catéchisme, les écoliers partaient rejoindre entre midi et quatorze heures le curé dispensant son enseignement. Si l’instituteur tardait à libérer les enfants à midi, le prêtre faisait de même la semaine suivante à quatorze heures…
Ceci n’était pas de mise tout le temps et partout : la caricature de don Camillo n’est ici pas très loin… Cependant chacun se souviendra d’un prêtre assez effacé de la vie communale ou au contraire l’animant. A Sainte-Croix, beaucoup se souviennent de personnages tels que l’abbé Boyer ou l’abbé Barouin, très proches des villageois, pratiquants ou non, amis avec la municipalité et l’instituteur, organisant des kermesses, des représentations théâtrales, des soirées cinéma, des voyages pour les enfants…
La vie du prêtre était rythmée par les différents offices, par le son de la cloche actionnée par le marguillier, par les confessions, les cours de catéchisme et bien sûr par les sacrements. Vivant à la cure, il était secondé dans ses taches ménagères par sa bonne, fille du pays que l’on choisissait en général déjà âgée pour éviter les commérages… Le dimanche midi, il était invité à la table du châtelain pour partager le repas familial sous sa bénédiction. Parfois, il était invité par d’autres familles du bourg ou des commerçants, très croyants et partageant les mêmes convictions.

Pays chrétien, la France comptait en 1789 170 000 prêtres et religieux dont 60 000 curés : après la Révolution, en 1809, on n’en compte plus que 31 000 dont à peine plus d’un millier de moins de quarante ans. Cette période a été fatale à la dévotion religieuse : les offices étaient interdits, certaines familles cachaient des prêtres et organisaient en secret des célébrations. La commune de Varennes-Saint-Sauveur garde le souvenir de ces offices clandestins et d’une « cache aux prêtres » situé au Bois Demonde.
On a également mis à terre les croix de calvaires et changé le nom des villages à consonance religieuse : Sainte-Croix est ainsi devenu Solnan pendant la période révolutionnaire, du nom du cours d’eau traversant le bourg. Après cette période, le travail fut dur pour les prêtres pour essayer de ramener la foi dans les chaumières : certaines familles ne pratiquaient plus ayant perdu l’habitude si l’on peut dire d’entendre les sermons, tandis que d’autres s’en étaient remis à d’autres cultes domestiques ou agraires par exemple.
Bien que ne menant pas le train de vie des prélats et dignitaires de l’Eglise, le curé de campagne était à la base de la pratique religieuse des habitants de sa paroisse. Pendant longtemps, il fut l’un des seuls à savoir lire et écrire sur la commune : c’est d’ailleurs lui qui tient les registres paroissiaux si utiles aux généalogistes y trouvant les dates de naissance, baptême, mariage, décès et inhumation. Il devient un personnage de référence pour les villageois mais également auprès des érudits ou de l’évêché.
En effet, il est au courant des pratiques de vie de ses ouailles mais aussi, par définition, de ceux ne fréquentant pas l’église. En réponse à des enquêtes émanant de ses supérieurs ou par simple intérêt, il note, examine et parfois juge les comportements des habitants : ces documents d’archives sont une source considérable pour la connaissance d’une communauté villageoise à un moment donné, tout en prenant en compte la relative subjectivité pouvant transparaître… C’est ainsi qu’au début du siècle, répondant à des enquêtes émises par le diocèse, le curé de Sainte-Croix juge ses paroissiens sur leurs pratiques religieuses : « Sainte-Croix est bien en Bresse. Les gens sont apathiques, routiniers, superficiels, sans résistance ni consistance, aussi rien n’est solidifié dans cette paroisse qui marche encore en raison du mouvement acquis, mais qui se laisse aller insensiblement aux idées du rationalisme moderne. »
Pour rester sur cette commune, on sait cependant que la dévotion à Saint Antoine est grande, mais, toujours d’après ce prêtre, elle serait intéressée en Bresse puisqu’il est le saint protecteur des cochons, animaux importants de la ferme. Pour terminer sur ces paroissiens encore une dernière remarque concernant la fête des rats que nous avons déjà évoquée ensemble il y a quelques mois : le 6 janvier, les Catholiques fêtent la manifestation de Jésus aux Mages, l’Epiphanie. C’est le jour des Rois mais pour les habitants de Sainte-Croix, il s’agit aussi de la fête des rats : « Si on oublie parait-il, de célébrer cette fête, les rats dévorent les harnais toute l’année. Dans le pays, on prononce « ra » au lieu de « roi », de là « les rats mages », « les rats mangent » - ô bêtise humaine ! ». Ce brave curé avait l’air bien désemparé et consterné…

Malgré ce choix entre grands et petits médecins si l’on puit dire, les consultations du médecin se font très rares à la campagne. N’ayant pas forcément les moyens financiers nécessaires à la rémunération de l’homme de sciences, on rechigne à faire appel à ses services ou alors on le paye quand on le peut ou en nature, en lui donnant des volailles, des légumes, des œufs frais…
De plus, on se méfie un peu de ses remèdes, on préfère faire appel à ce qu’on connaît : au rebouteux, au prêtre, aux préparations de la voisine ou à ceux inscrits dans des ouvrages tels que Le Médecin des Pauvres ou même aux livres semi magiques recelant de sorts et potions diverses léguées par une aïeule. Ainsi, d’après l’ouvrage cité ici, pour soigner les coupures, « on fait le signe de la croix avec l’outil que l’on s’est coupé, et on dit cinq Pater et cinq Ave Maria, ensuite l’on rapporte les deux chairs l’une contre l’autre, que l’on enveloppe avec un linge d’homme blanc de lessive et vous le laisserez quarante-huit heures sans le développer et il sera guéri ».
Autre remède, celui pour guérir les verrues : « Lorsqu’on en a une quantité, vous allez le matin avant le lever du soleil dans un champ d’avoine ; vous couperez les pailles sans les compter, et sans compter les verrues que vous avez ; vous vous servez du nœud du milieu, vous pressez une paille et vous frottez légèrement sur la verrue, vous la mettez de côté et vous en prenez une autre que vous frottez sur une autre verrue et ainsi de suite, vous continuez cette opération tant que vous avez des pailles et des verrues. Vous ferez un trou en terre et vous les couvrirez à mesure que les pailles pourriront, vos verrues s’en iront. En vous en allant, le premier genêt que vous trouverez, vous le tordrez entre deux terres, vous le laisserez ; vous en trouverez un plus loin, ça n’y fait rien ».
Au début du 20ème siècle, on fait plus facilement appel au vétérinaire pour soigner une bête malade qu’au médecin pour se soigner soi-même. Lorsque l’on faisait appel à lui, souvent le cas semblait déjà bien désespéré et à la visite du médecin suivait celle du prêtre… venant donner l’extrême onction.