Traditions bressanes

A Frontenaud existait encore une autre école dont l’imposant bâtiment en pierre est encore appelé « école libre ». Située sur la route reliant le bourg à Rérafay, elle n’offrait pas d’enseignement religieux et est devenue par la suite le lieu de récréation et de loisirs de certains enfants de la commune. Se souvenant de ce bâtiment aujourd’hui propriété privée, Daniel, né en 1950 se remémore ce qu’il s’y passait et apporte un regard général sur la vie du bourg et de ses habitants dans les années 1960 ainsi que sur l’activité culturelle du village fortement liée à l’harmonie municipale. Nous y reviendrons plus tard mais cette petite pause « souvenirs » évoquera sûrement quelques images à certains lecteurs : « Village d’environ 750 âmes, on y vit paisiblement, au rythme des saisons, au son des cloches de l’église sonnant l’angélus (7h, midi, 19h) mais aussi par les horaires précis de l’arrêt en gare de l’autorail omnibus en direction de Saint-Amour ou de Louhans. Le village dessiné par son bourg avec toutes ses activités artisanales, commerces et écoles est le pôle de rencontres des habitants répartis sur différents hameaux surtout le mercredi jour de marché ou on y trouve les commerçants ambulants mais aussi les producteurs locaux venant vendre volailles, œufs et légumes En fonction de la saison, les activités agricoles diffèrent et le bruit de la mécanisation également (les foins, les moissons, le battage, les récoltes d’automne, les affouages). Les chevaux de trait sont petit à petit remplacés par les tracteurs, viendra l’électrification de la  ligne SNCF et de ce fait la disparition des locomotives à vapeur avec leur panache de fumée qui se voyait de loin et faisaient la joie des enfants, se trouvant pour l’occasion sur le pont de la gare, enroulés dans une odeur de charbon et de vapeur, salués par le coup de sifflet de la machine. Les routes secondaires du village empierrées sont redressées et goudronnées permettant confort et meilleure circulation aux automobiles dont le parc devient plus conséquent. La scierie Prabel, (située dans les actuels bâtiments techniques municipaux) ainsi que la fabrique d’emballage Belay de Rérafay, qui sont les activités principales de la commune voient arriver des camions de bois de plus en plus volumineux. Les distractions sont aussi rythmées aux saisons. Pendant la période des beaux jours, on rencontre des pêcheurs, Frontenaud étant sillonné de trois rivières ; les jeunes se retrouvent sur le terrain de jeux pour taper dans un ballon. Les fêtes et kermesses des alentours font partie des occasions de sortie du dimanche. L’hiver, on se reçoit pour  la veillée entre voisins et amis et à la lueur de la lampe centrale de la pièce principale, autrefois appelée l’hutau. Les femmes discutent en tricotant, les enfants jouent souvent avec des jeux en bois ou regardent des bandes dessinées déjà plusieurs fois parcourues et les hommes jouent aux cartes autour de la table familiale plantée du traditionnel litre de vin rouge. C’est aussi à cette saison que l’harmonie du village, seule activité culturelle, fondée en 1923, concentre ses répétitions en préparation du traditionnel concert du dimanche après-midi de Pâques. Ce rendez-vous fait partie du calendrier des festivités de la commune comme le repas des conscrits et la fête patronale qui a lieu chaque dernier week-end de juillet. Fin 55, le marchand d’électroménager de Cousance avait installé poste de télévision et antenne au café Ponsot dans le bâtiment qui est aujourd’hui face à la roue et qui était la bascule. C’était une manière de présenter le produit. Tous les soirs quelques rares personnes, surtout les habitants du bourg et des proches alentours, venaient la regarder dans la salle du café. Papa m’emmenait voir « La Piste aux étoiles » puisqu’en ce moment on habitait à la scierie, tout près. Ceci a duré quelques semaines et c’est des années plus tard que la télé est revenue dans le lieu. On remarquait l’arrivée des premières télés par les antennes sur le toit. En 1960, l’institutrice Mlle Chenevard qui habitait au-dessus de l’école des filles avait la télé : elle invitait ses élèves du bourg à regarder les émissions du jeudi après-midi, entre autres le feuilleton Rintintin ». Comme dans tout village, on y trouve ses personnalités qui font le fil conducteur des lieux, le maire, le curé, l’instituteur. Par eux peut apparaître les tendances politiques très bien imagées par le cinéma avec Pepone et Don Camillo. A Frontenaud, pas d’accent marseillais, c’est le bressan ! Mais la tendance du maire Mr Cabut  n’est pas celle du clergé, le curé Martinet. Ainsi on voit apparaître des activités théâtrales sur les deux tendances : celle du maire assisté d’un instituteur, Mr Guérin et du chef de musique Mr Michel ancien instituteur. Les représentations ont lieu à l’école de filles, dans la petite salle de classe de Mlle Chenevard aménagée en scène avec de grands tréteaux. Des panneaux amovibles dans le mur permettent d’accéder au public qui se trouve dans la salle voisine. Pendant la période de représentations, les élèves seront en classe sur la scène ou à l’emplacement public réaménagés à chaque représentation. Le programme est fait d’une partie concert par l’harmonie dirigée par Mr Michel et d’une pièce de boulevard. Les années 1956/57 ont sonné la fin de cette activité.  Celle du curé qui se déroulera dans l’ancienne école libre route de Rérafay. La salle du bas, ancienne salle de classe a été aménagée en salle de spectacle avec la scène équipée de rampe d’éclairage à ampoules transparentes, de décors pivotants permettant d’avoir un intérieur d’habitation ou un décor extérieur, le rideau en toile de jute qui s’enroule sur le dessus grâce à une poulie entraînée par une corde et peint par un artiste local, Marius Bouchard, avec la représentation du bourg de Frontenaud. Les coulisses étaient le hall de la montée de l’habitation, un escalier de bois placé dans le passage de la porte permettait d’accéder à la scène, les loges étaient les pièces du logement de l’étage. Le public étant installé sur des bancs de bois ou des chaises brinquebalantes. Le programme était fait de chants, de danses, de sketches et d’une pièce de théâtre (souvent de Labiche). En 1963, quelques jeunes musiciens de l’harmonie se retrouvent pour former un orchestre de variétés, « Les copains boum », dans le but de jouer dans les soirées théâtrales et quelques participations dans les kermesses paroissiales de la région. Les répétitions avaient lieu dans la salle de l’école libre, les moyens techniques étaient faibles, le batteur jouait sur une ancienne batterie de récupération. Trois ans plus tard les musiciens de cette formation étant appelés pour le service militaire, on assiste à la fin des « Copains boum ». Pendant ce temps, deux copains d’école, Daniel et Michel se retrouvent pour jouer de la musique, un à la trompette et l’autre au saxophone. L’idée germe afin de recréer un orchestre au nom vite trouvé « Dany Michel ». Le groupe alors formé de sept musiciens, s’installe à nouveau à l’école libre pour ses répétitions. Il prend part aux soirées théâtrales pendant deux années, vers 1968 les soirées spectacles ont disparu. L’orchestre a volé de ses propres ailes dans les animations dansantes de la région. Cette salle a également servie à la rencontre d’adolescents autour de madame Louis, avec des activités paraissant dans le journal Fripounet. »

Le rideau de théâtre peint par Bouchard représentant une vue de Frontenaud est aujourd’hui propriété de la commune qui pense le faire restaurer dans les années à venir (détail).

La place du village de Frontenaud regroupait les lieux de la vie religieuse, commerçante mais aussi publique : c’est toujours le cas aujourd’hui.
Au centre, trône le monument aux morts dont la construction a été confiée en 1920 à Pierre Bédet, marbrier sculpteur à Tournus. Il est de forme pyramidale et présente un buste de poilu encadré du drapeau et d’une palme. Sur les faces ont été inscrits les noms et prénoms des 59 « enfants de Frontenaud morts pour la France » ce qui était énorme pour une commune de la taille de Frontenaud comptant alors environ 900 habitants. Parmi ceux-ci, deux frères : Pierre et Ferdinand Rude. Leur tombe présente dans le cimetière rappelle le tragique destin des familles ayant perdu divers hommes au combat. Ici, Pierre, décédé à l’âge de 22 ans en 1918 et Ferdinand porté disparu en 1915 à Ripont, village anéanti par les bombardements : il avait 20 ans.  
Par la suite, ont été ajoutés les noms des douze morts de la Seconde Guerre Mondiale et ceux des membres de la famille de Lavérine disparus à Oradour-sur-Glane comme nous l’avons déjà évoqué.  
Symbole du temps qui passe et des changements de la société, le monument a été non pas déplacé mais tourné ces dernières années. En effet, à l’origine, la face principale se trouvait du côté le plus important de la place, vers l’ancien café. Depuis l’érection du monument, la route traversant le bourg a pris de l’importance et la circulation, on l’imagine, est plus dense qu’à l’époque. Pour des raisons de sécurité, le monument a fait un quart de tour afin que les cérémonies puissent avoir lieu face à lui, depuis la mairie.
 
Le monument aux morts de Frontenaud.

De part et d’autre de la place du village sont distribués les bâtiments de la vie publique de Frontenaud : la bibliothèque (nous l’avons déjà évoquée), la mairie dont la rénovation extérieure a permis la mise en place d’une fontaine, et de l’autre côté, l’école maternelle (l’école primaire se trouve au Miroir, les deux communes étant en RPI). Deux bâtiments en pierre de taille quasi identiques portent sur leur fronton les traces de l’histoire (pas si ancienne !) de la vie communale et de la physionomie du bourg il y a quelques décennies : à l’avant de l’école actuelle, l’ancienne mairie et école de garçons ; à côté de la bibliothèque, l’école des filles ; à l’arrière, l’école enfantine. Concernant l’école des filles, c’est le père Deliance cité précédemment (je vous avais dit qu’on le retrouverait…) qui la fit construire à ses frais avant de la céder à la commune en 1846. Dans les années 1850, la commune est aux prises avec la Préfecture quant à l’ouverture d’une nouvelle école : entre construction et réhabilitation, les querelles vont bon train et on parle même de « l’affaire de la maison d’école de Frontenaud ». Cette histoire est rapportée dans le bulletin municipal de Frontenaud paru en février 1995 : dans ce même texte, il est mentionné l’existence d’au moins deux « écoles » tenues par des habitants instruits demandant en échange de l’éducation de leurs enfants, quelques sous et une bûche de bois par jour aux parents. Elles auraient été à Rérafay et à La Verrière. Aujourd’hui, l’école maternelle et la mairie offrent un visage moderne, à deux pas de leurs premiers bâtiments d’affectation.

La mairie aujourd’hui.

Si le nombre des commerces est aujourd’hui restreint au bourg (la boulangerie Vincent où l’on peut entre autres savourer une excellente brioche, une épicerie et un salon de coiffure), la qualité est toujours là et de nombreuses activités artisanales sont comptabilisées sur la commune : plomberie, maçonnerie, menuiserie métallique, etc. L’édition de L’Annuaire du département de Saône-et-Loire de 1904 témoigne de la diversité des activités du village lorsqu’il comptait plus de 1 000 habitants : aubergistes (Berrard, Dumont, Duthion), boulangers (Gallet, Saunier), charpentiers (Lyonnais, Tréboz), charrons (Morey, Sixdenier), épiciers-merciers (Berrard, Bouchard, Billet, Madame Longo), grainetiers (Berrard, Duvernay, Saluron, Saunier), entrepreneurs de battage (Dompmartin, Pillard, Puget), maçons (Blétry, Lyonnais), maréchaux-ferrants (Cabut, Routhier), meuniers (Dompmartin, Duvernay, Pilard, Puget), plâtrier-peintre (Thomasset), sabotiers (Mazoyer, Thomas) vendeur de tabac et pipes (Berrard), taillandiers (Cabut, Dumont, Routhier), tailleur d’habits (Maisre), tisserands (Jaillet, Molinot), marchands de tissus (Billet, Maistre), tuiliers (Pourrot, Maitre), vendeur de vins en gros (Passaquet). Dix années plus tard, diversité et quantité sont toujours de mise, avec quelques nouveautés (marchands de bois, de charbon, de cycles ou encore de poulets, géomètre et perruquiers) et quelques disparitions (marchand de vin, tailleur et plâtrier-peintre). Ce foisonnement d’activités qui perdura jusque dans les années 1960-1970, les frontaneliens ont eu l’occasion de s’en rendre compte il y a quelques années lorsque les objets et meubles du magasin de l’ancienne chapelière furent vendus le temps d’une journée au cœur du bourg. Chapeau de paille ou couvre-chef plus sophistiqué, tous trouvèrent preneurs : le bénéfice de cette vente servit à restaurer le clocher de l’église.

L’ancienne épicerie Puget au cœur du bourg.