Traditions bressanes
La gare de Frontenaud
A deux pas du Temple se trouve la voie de chemin de fer qu'enjambe un haut pont routier appelé localement "le pont de la gare". Si le pont est toujours d'actualité, la gare elle ne l'est plus depuis quelques années : avec ses consœurs de Dommartin et Sainte-Croix elle fut rasée par la SNCF car n'ayant plus de fonction utilitaire. Dans la continuité, les "maisonnettes" logeant les garde-barrières des passages à niveau connurent le même sort. En une semaine, ces bâtisses furent réduites en poussière : chanceux ceux qui purent récupérer une plaque signalétique ou un baromètre, témoins de la présence des ces bâtiments à l'importance considérable pour les petites communes de Bresse jusque dans les années 1970. Désormais, il est difficile de se représenter l'endroit du temps de son activité. La gare de Frontenaud fut construite en 1886 afin de voiturer les voyageurs et non la marchandise : la commune versa une somme de 15 000 francs de l'époque pour sa réalisation. Les travaux de création de la voie de chemin de fer ne se firent pas sans mal tant techniquement (la main-d'œuvre italienne subit des pertes humaines suite à des éboulements de terrain) que "psychologiquement". En effet, la tradition orale rapporte que les villageois redoutaient que ce modernisme ne fasse "avorter les vaches"... La voie de chemin de fer nécessita la construction de cinq passages à niveau sur la commune. Un autre pont est historiquement intéressant à Frontenaud : celui sur la Gizia reliant le Bourg au Crozes. Ce pont routier datant de 1894 est communément appelé "Pont Pourri". En effet, jusqu'à cette construction actuelle, les ponts établis en ce lieu, bien souvent en planches, supportaient mal les fréquentes crues de la Gizia qui finissaient toujours par avoir raison de ces ponts qui devenaient peu à peu "pourris". Le pont actuel fut bâti par Jean-Baptiste Deprost, entrepreneur à Joudes et présente une arche surbaissée : il fut élargi et rénové dans les années 1970.
La gare de Frontenaud au temps de son activité. (Coll. part.)
Les moulins de Frontenaud
L'Annuaire de Saône-et-Loire de 1856 mentionne l'existence de sept moulins sur la commune de Frontenaud : un sur la Gizia, deux sur la Dourlande, trois sur l'étang d'Essart et un moulin à vent "construit tout récemment". Si l'existence de ce dernier pose aujourd'hui question (la transmission orale ne semble pas faire état de pareille construction sur la localité), quatre des six moulins précités sont toujours visibles et sont aujourd'hui des propriétés privées.
Le premier, sur le Gizia, est dit "du Venay" : il est situé en contrebas du bourg lorsque l'on vient de Tagiset. Les deux sur la Dourlande sont situés à quelques centaines de mètres l'un de l'autre : celui connu sous le nom de "Moulin de Dourlande" se situe dans une impasse sur la route menant à La Verrière ; celui dit "des Crozes", plus petit et correspondant bien à l'idée que l'on se fait des anciens moulins ruraux, lovés dans les méandres des ruisseaux, est au bout de l'allée de la Favière, près du passage à niveau de La Fournaise. Enfin, un moulin demeure sur l'Etang du Bief à Essart.
Le moulin du Venay est donc le plus visible de tous, étant en bordure de route. Il tient son nom du hameau situé à proximité où demeurent encore de beaux bâtiments bressans en pans de bois et aux volumes avantageux. La transcription d'un acte notarié datant de 1805 et transmis par un habitant de la commune évoque la construction de ce moulin :
"(...) Jean-Baptiste Janodet propriétaire à Frontenaud (…) est dans l'intention de faire bâtir un moulin en ladite commune sur la petite rivière de Giziat, lieu-dit Le Vieux Moulin, ce qui annonce clairement qu'il y en a eu un autrefois - que l'utilité de cet établissement sera général et notamment aux habitants du gros hameau du Venay, le plus fort de la paroisse qui, à l'avenir, communiquera avec les autres hameaux dans tous les temps par le moyen d'un pont que nécessiterait ledit moulin au lieu qu'actuellement ils sont obligés de passer les voitures de foin ou autres denrées au gué, ce qui expose dans les crues et pendant l'hiver à périr corps et biens. (...)"
Le "Temple"
A proximité du pont enjambant la voie de chemin de fer reliant Dijon à Bourg, se trouve un bâtiment évoquant l'architecture des écoles d'antan : ce lieu est communément appelé "le Temple". Cet édifice rappelle les temps où une forte population protestante s'était faite jour en Bresse. Le terrain fut acheté en 1853 afin d'y ériger un temple qui fut inauguré en 1855 : cette installation permettait de transférer les activités des stations d'évangélisation de Bruailles et de La Chapelle-Naude. De plan rectangulaire, orienté Est/Ouest, il fut dessiné par un certain Monin, architecte louhannais. Au rez-de-chaussée était installée la salle de culte alors qu'à l'étage se trouvait le logement du pasteur. Au-dessus de la porte donnant accès aux parties privées du Temple se trouvait une inscription : "Choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir. Pour moi et ma maison, nous servirons l'éternel". Cette phrase reprend les paroles de Josué rapportées dans la Bible. Un four et un puits furent également construits afin de pouvoir avoir sur place (le temple est à 800 mètre du bourg) et à moindre coût du pain et de l'eau : le puits, toujours bien visible, fut creusé à l'entrée de la propriété, le long de la route. Au milieu du 19ème siècle, 25 enfants reçurent un enseignement au temple : «"Pendant la Révolution de 1848, des colporteurs protestants parcoururent toutes les paroisses des environs, vendant des bibles, distribuant toutes sortes de brochures contre l'Eglise catholique. A Frontenaud ces hérétiques viennent facilement à bout de se faire, en peu de temps, un certain nombre d'adeptes...". Ils firent même édifier une école gratuite, si bien qu'au milieu du siècle dernier, on compte à Frontenaud environ 70 protestants (enfants compris), "sans parler d'un certain nombre de familles devenues plus ou moins chancelantes"». Il semblerait qu'un cimetière protestant ait également été établi au lieu dit La Fournaise (au bord de l'actuelle route reliant Frontenaud à Dommartin-les-Cuiseaux) et que la première inhumation se fit au cours de l'hiver 1850. Une mission catholique fut mise en place à la fin du 19ème siècle afin de récupérer quelques âmes (ceci nous éclaire d'ailleurs un peu plus quant à la présence de nombreuses croix sur la commune) ce qui permit de ramener à dix ou douze le nombre de protestants. Au cours du quatrième quart du 19ème siècle, l'organisation commence à chuter peu à peu : le temple est alors désaffecté puis vendu à un ancien juge de Genève puis à la Société Immobilière des Eglises et Chapelle évangéliques libres. En 1904, le bâtiment fut vendu à un sabotier des Chardonnières, Louis Mazoyer, qui le revendit en 1911 à Monsieur Ramier. Durant la seconde guerre mondiale, les Allemands établirent en ce lieu un QG qui aurait été la cible des maquisards locaux si les occupants habituels de la maison n'avaient été contraints d'y rester. Néanmoins, la voie située à proximité fut à nombreuses reprises la cible de sabotages : en février 1943, trois déraillements furent comptabilisés. "Le Temple" est aujourd'hui une résidence, propriété privée.A
La Fournaise, lieu où aurait été implanté le cimetière protestant de la commune.
Femmes mystérieuses
En évoquant le passé de Frontenaud, il n’est pas rare que certains mentionnent la « Quin-na des loups ». Il s’agit d’une femme, veuve d’un certain Quint, ayant « rôdé » dans les bois entre Frontenaud, Sagy, Bruailles et Sainte-Croix. Comme son nom l’indique, elle vivait au milieu de loups qui la suivaient dans ces déplacements. Légende ou réalité ? Il semblerait que cette femme soit apparentée à celles que l’on dénommait les « mères aux loups », passant leur pauvre vie à chasser ces bêtes afin de décrocher quelques primes liées à la destruction de ces prédateurs.
Voici ce qu’en rapporte Marcel Baroë : « C’était une grande diablesse, coiffée d’un grand chapeau de paille, avec devant elle un large tablier de cuir pour se protéger des morsures des loups et portant un énorme bâton pour se défendre. Cette femme savait, aux traces laissées dans le sol, s’il s’agissait d’un mâle ou d’une femelle. Plus surprenant, elle pouvait connaître, à l’empreinte de la louve en gestation, la date à laquelle elle devait mettre bas. Elle suivait ces marques jusqu’à la tanière de l’animal dont elle devinait l’existence – disait-elle – à la présence d’une légère brume à son entrée.
Quand elle se trouvait face à la louve, elle lui laissait l’un de ses petits pour garder la vie sauve. On la voyait souvent un louveteau en laisse. » Toujours est-il qu'elle trouva apparemment la mort vers 1830-1832, dévorée par des loups.
Autre femme, mais dans un tout autre genre, dont certains ont conservé le souvenir : celui d’une villageoise ayant servi de modèle au sculpteur Antoine Gauthier pour le monument aux morts de Louhans connu sous le nom de « La Bressane ». Mais d’autres villages de Bresse revendiquent également qu’une fille du pays apparaisse sous les traits de la jeune femme en sabot représentée sur le monument…