Traditions bressanes

Lorsqu’une jeune personne désirait se marier avec l’élu de son cœur (ou élu par intérêt), de longues discussions s’annonçaient alors entre les deux parties…
Comme le voulait la tradition, l’entremetteur se rendait chez les beaux-parents pour une visite : on parlait du bétail, des récoltes, du temps puis l’on abordait avec délicatesse la question centrale de cette rencontre. Les futurs beaux-parents demandaient alors à réfléchir…
Lorsqu’il y avait refus, ce n’était pas direct : on avançait un âge trop jeune, d’autres demandes, un temps plus long de réflexion… Combien d’idylles ont été brisées devant un refus pour cause de richesses inégales, de familles pas assez « comme il faut » ou ne se rendant pas assez souvent à l’église… Si la réponse était oui, le jeune homme pouvait courtiser sa compagne mais toujours chez ses parents : ces « courtisailles » ou « approchailles », comme on les appelait, duraient longtemps en Bresse… Dans les intérieurs bressans à cheminée sarrasine, la promesse de mariage se faisait sur l’archebanc, sorte de banc coffre sur lequel étaient conclues les grandes décisions et invitées à s’y asseoir, les personnes d’importance.
C’est alors qu’il fallait discuter des biens matériels, fonciers et financiers, souvent sources de désaccord. Puis arrivait tout de même le jour d’une décision, les « accordailles », où l’on parlait des biens et dots apportés par chacune des parties et de l’installation des futurs époux ; un repas long et copieux pris chez les parents de la jeune fille accompagnait cette discussion. Une fois toutes ces questions d’ordre matériel mais d’importance, éclaircies, l’on se rendait chez le notaire afin de lier un contrat, détaillant toutes les pièces du trousseau et les biens des futurs époux. On pouvait alors fixer la date de la noce et faire publier les bans à la mairie et à l’église : on évitait de se marier en mai, mois considéré néfaste pour le mariage et illustré par des proverbes tels que « Noces de mai ne vont jamais » ou encore « Mariage au mois des fleurs, mariage de pleurs »…

Si la mise au monde d’un enfant était vécue comme un acte naturel, le regard porté sur la mère lors de la grossesse était différent… Après la naissance de son enfant, la femme bressane devait attendre sa messe de « relevailles » pour pouvoir reprendre ses travaux quotidiens. Cette messe avait lieu à l’église du village lorsque l’état de la mère s’était amélioré après ses couches : le prêtre la bénissait, à l’image de la Vierge Marie, s’appuyant sur une prescription de l’Ancien Testament. Depuis 1969, cette messe a été remplacée par une bénédiction spéciale adressée à la mère lors du baptême de son enfant. Tant qu’elle n’avait pas assisté à ses relevailles, une foule de précautions étaient à prendre pour la jeune femme. Elle ne devait pas sortir de chez elle avant cette purification, ne devait pas s’occuper de divers soins du ménage et du laitage sous peine de la gâter. De même, les gaudes se seraient « encatonnées », les matefans resteraient collés au fond de la « casse », la lessive blanchirait mal le linge… Ainsi, on imagine qu’elle avait hâte de se faire emmener à l’église par la « commère » qui avait rempli le rôle de sage-femme, de se faire « rebénir » et purifier… Le regard que l’on portait sur les femmes lors de leur grossesse était particulier : c’était un devoir pour elle de donner des enfants à son époux mais cette période était souvent vue comme une souillure en référence au péché originel et à un acte défendu par l’Eglise. Les relevailles permettaient donc de purifier la mère de son péché. Pendant la grossesse, elle n’avait d’ailleurs pas le droit d’entrer à l’église. Mis à part ses interdictions d’ordre religieux, de nombreuses croyances et mauvais sorts sortis de l’imagination populaire guettaient déjà la femme pendant la grossesse : une femme enceinte ne devait pas jeter d’eau la nuit sous peine de perdre les eaux ni avoir tué un porc ou une volaille sans risquer d’avoir une hémorragie…    Entre interdits et regards peu complaisants, l’accouchement et la messe des relevailles étaient attendus avec hâte pour la mère bressane autrefois…

A Sainte-Croix, dans les années 1920, plusieurs reconstitutions de baptêmes bressans furent organisées, ici devant la porte du château.

Reprenons donc le cours de la vie d’un jeune bressan : après la naissance, le mariage était l’un des grands évènements de la vie…
Le mariage autrefois, bien qu’il impliquât principalement deux êtres, était une question très importante dans la vie des familles : on mettait avant tout en jeu, outre les questions morales et sentimentales, des enjeux matériels tels que la possession de terrains et la place dans la hiérarchie sociale. En Bresse, pour connaître la fortune de la famille du futur conjoint, on se fiait à la hauteur du tas de fumier dans la cour : plus il était haut, plus il y avait un cheptel et donc une fortune d’importance. Bien souvent, encore au début du XXème siècle voire après pour certaines familles regardantes quant au devenir de leur nom et à leur image, on choisissait son conjoint dans la même classe sociale que soi : il était impensable de marier un fils de propriétaire à une servante, ou inversement. Il était parfois admis que les deux familles soient du même corps de métier ou plus souvent du même village : dans le Revermont, il était très rare que l’on aille choisir une femme de Bresse ; dans l’Ain et dans les villages du Louhannais une formule illustrait élégamment cette pratique : « pourquoi aller chercher du fumier chez le voisin quand on en a à sa porte »…
Bien que les jeunes gens d’autrefois soient occupés à  leurs activités distinctes et que l’on séparait très tôt filles et garçons, notamment à l’école pour ceux qui y allaient, les rencontres étaient possibles au cours des fêtes patronales, des bals de village, des veillées : nous avions ainsi évoqué la tradition voulant que si une jeune femme laissait tomber sa quenouille en filant et qu’un jeune homme la ramassait avant elle, il avait le droit de l’embrasser.
Lorsqu’une idylle s’annonçait, les familles et tout le village étant au courant, les « formalités » commençaient, impliquant toute la communauté familiale. Une fois le choix du conjoint défini (et autorisé par tous), on envisageait la « demande en mariage » entre parents, une personne de confiance jouant le rôle de référent et d’entremetteur.

Les jeunes Bressans se contaient fleurette lors des fêtes de village, des veillées mais aussi au détour des chemins où chacun allait en champs (photo Groupe Folklorique de Sainte-Croix).

Autrefois, le baptême était un passage important puisqu’il signifiait la naissance en tant que tel de l’enfant, son entrée dans la vie.
Autrefois, on baptisait l’enfant le plus tôt après sa naissance : la mortalité infantile étant élevée, on voulait se prémunir de la perte d’un être non baptisé donc non chrétien et ne pouvant accéder à l’au-delà. Généralement, on ne baptisait pas les enfants au-delà de quinze jours sinon il ne pouvait pas être carillonné et sa famille se voyait déconsidéré. Comme pour les enterrements, le tintement des cloches, leur force et leur nombre, dépendait du rang social de la personne célébrée et de la somme versée au sacristain…
Le baptême était aussi le cérémonial qui donnait son prénom pour la vie au nouveau-né : souvent, on lui donnait celui d’un parent, de son parrain ou de sa marraine. Le choix de ces deux personnes était fait avec attention : ainsi, par exemple, on se gardait de choisir pour marraine une femme enceinte car elle-même ou l’enfant qu’elle portait aurait grand risque de mourir dans l’année.
Du fait de la proximité de l’accouchement et du baptême, il était rare que la maman assiste au baptême de ses enfants : dans les conditions de vie évoquées plus tôt, son état de faiblesse ne le lui permettrait pas, mais quand bien même, l’Eglise le lui interdirait formellement avant ses « relevailles », cérémonie que nous évoquerons la semaine prochaine. C’est donc un cortège constitué de la sage-femme ou d’une voisine qui a aidé à l’accouchement, du parrain, de la marraine et du père qui se rendra à l’église.
Souvent, la cérémonie était suivie d’un repas de famille qui réunissait quelques voisins et amis au cours duquel le parrain offrait des boîtes de dragées à la marraine et au curé ; il ne manquait pas non plus de faire un cadeau à la jeune mère.
L’origine de la dragée, confiserie associée aux baptêmes, premières communions et mariages reste vague, toujours est-il qu’offrir des dragées pour se souvenir de ce jour important est une tradition qui a traversé les siècles. Symbole de bonheur, de prospérité et de longévité, la dragée est également signe de fécondité.