Traditions bressanes

Au départ, deux paires de meules broyaient les céréales secondaires alors qu'une machine à cylindres permettait la confection de farine panifiable : peu à peu l'activité s'organisa uniquement autour des céréales secondaires. Le quatrième et dernier moulin de Condal est celui dit "Moulin-Neuf". Sur le Solnan, visible depuis la route venant de Varennes, ce moulin dépendait autrefois des terres du château de la famille De Chaignon, au bourg. Aujourd'hui propriété du maire de la commune, le moulin est dans la famille Desbordes depuis plusieurs générations. L’arrière-grand-père, originaire de Pirajoux, s’y installa avec ses fils : ce fut l’aîné, Léon, né en 1894, qui reprit l’affaire durant l’entre-deux-guerres après avoir appris le métier "sur le tas" avec son père. Mais le moulin est d'origine plus ancienne, comme l'atteste une ordonnance du Roi signée le 25 avril 1821 à l'occasion de travaux. Quant à son nom, Moulin Neuf, il provient sûrement du fait que la bâtisse fut reconstruite en lieu et place d'un édifice plus ancien. Les livraisons avaient lieu trois à quatre jours par semaine, chez des particuliers mais aussi pour des sociétés comme Oftel. Des vestiges tels que le quai de chargement des sacs dans le camion rappellent cette activité. Chauffeur, commis mais aussi un "mécano" venant donner la main pour l'entretien et les réparations faisaient vivre ce moulin. L'activité cessa dans les années 1975, ne pouvant faire face, notamment, à la concurrence des sociétés démarchant les agriculteurs pour le négoce. Mais le moulin fonctionna jusque dans les années 1980, comme le rapporte Jean-Louis Desbordes, propriétaire et maire de Condal : "A la disparition de mon père, le dernier à faire tourner le moulin, un client habituel vint le voir me disant vouloir sa farine. Le moulin étant toujours là, il souhaitait que sa farine continue à sortir de ses meules. C'était juste après une crue et, afin de ne pas me laisser le choix, il vint nettoyer entièrement le moulin afin que je puisse le remettre en route : ce qui fut le cas." Lorsque l'on pousse aujourd'hui la porte du moulin, on découvre un lieu où le temps s'est figé. Rien n'a bougé. Les lunettes à rhabiller les meules sont toujours dans le tiroir du bureau, le carnet de comptes est ouvert, les alluchons sont rangés dans un coin en cas de nécessité,.... Il est vrai qu'il manque peu de choses pour que le Moulin Neuf reprenne vie...

A l’intérieur du Moulin Neuf…

Villars-Chapel, Villars-Chappel, Villard-Chapelle… Voici un hameau dont l’orthographe varie en fonction des époques…et ce, même aujourd’hui. Dans son étude sur la toponymie de l’arrondissement du Louhannais, Roger Présumey cite diverses dénominations, dont certaines patoisantes, tirant la conclusion que « chapelle » n’évoquerait pas un édifice mais un patronyme : Villarchapel (1302), La Ville de Chapel (1324), Villiers Chapel (1473), Villers Chappel (1502), Villars Chapé (1650), Villers Chpey (1668), Villars Chapey (1682), Villars Chpet (1722), Villers Chapel (1734), Villard Chapelle (1824) . Villard quant à lui serait un dérivé du latin « villa » signifiant « ferme », « écart ». Lucien Guillemaut quant à lui, pense qu’une chapelle serait bel et bien à l’origine de ce toponyme : « A un autre endroit de la commune, était le fief de Villars-Chapelle, au hameau de ce nom. Ce fief était, en 1780, (…) à Mme de Montessus. Antérieurement, le seigneur habitait ledit village ; il n’y avait pas de château, mais une maison qui sert aujourd’hui de ferme. Il y avait aussi, - de là le nom, - une petite chapelle dont le bâtiment existe toujours, mais a été transformé, il y a longtemps déjà, en fournil et four. » Armée de cette information, nous voici à la recherche de cette éventuelle chapelle… et c’est ainsi que nous voilà dans une agréable et imposante ferme dont le propriétaire actuel dit avoir toujours entendu dire par ses aïeux qu’une chapelle serait sous les fondations de son four à pain… En effet, si cette dernière ne donna pas son nom au lieu-dit, un édifice antérieur exista bien en ce domaine comme le laissent supposer anciennes voûtes, ouvertures et escaliers condamnés, pièces de bois forts anciennes, etc. Ce n’est pas sans émotion, que nous passions un moment en cet endroit, relisant les quelques lignes écrites par Guillemaut et citées précédemment… Le hameau de Villars-Chapel possède une physionomie toute particulière. Lorsque l’on arrive à Condal par la route de Dommartin, le lieu se présente comme un petit village bâti sur un promontoire. De grosses fermes anciennes jouxtent des constructions plus récentes n’enlevant en rien le charme des lieux.  Cette partie de Condal appartenait autrefois à la famille de Montessus puis aux Demoiselles de Dananche comme l’évoquent encore aujourd’hui les habitants. Ces dernières possédaient quatre domaines en ce lieu-dit. Deux fermes subsistent encore, repérables à leurs dimensions imposantes et à la qualité de l’architecture, notamment des charpentes ; tandis qu’une autre ne livrent plus que ses fondations. Le quatrième domaine consistait en la tuilerie évoquée précédemment.  Mais d’autres fermes valent bien évidemment le coup d’œil, notamment une habitation en pisé dont le mur  extérieur garde la signature d’un certain « Revelut », du nom de l’un des ouvriers ayant participé à la reconstruction du bâtiment après son incendie comme le laisse supposer l’architecture actuelle. Cette ferme, en plus de posséder un magnifique point de vue sur le Jura, a la particularité d’avoir un puits assez récent comme le rapporte la propriétaire actuelle. C’est son grand-père qui le fit creuser car la ferme n’en possédant pas, son épouse devait aller chercher de l’eau chez les voisins, où elle passait un peu trop de temps au goût de l’aïeul… De là la construction du puits.  A Condal, toutes les habitations relèvent de l’architecture bugiste. Une seule est de type Bresse du Nord : c’est à Villard-Chapelle. La tradition orale rapporte qu’elle aurait été construite par un condalois amoureux d’une fille originaire de Bresse louhannaise, venant « de l’autre côté de Louhans » comme on me l’a rapporté. Cette dernière aurait accepté de l’épouser et de s’installer dans son pays s’il lui construisait une maison « comme chez elle ». Cette histoire aurait eu lieu dans les années 1790-92. C’est dans cette ferme qu’une école aurait existé dans le hameau. En cours de réaménagement, l’édifice nous livre un peu de ses secrets par des actes notariés que possèdent les propriétaires actuels. En 1898, Maurice Gonnod, cultivateur, vendit  « un petit domaine situé à Villard Chapelle » d’une superficie de trois hectares comprenant un bâtiment d’habitation et d’exploitation, écurie, grange, cour ainsi que des terres et prés en des lieux aux noms aujourd’hui parfois oubliés : Curtil Besnot, Rétis, Pré du Village, Grand Pré, Les Petites Varennes et Les Brenets. Le tout pour une valeur de 6 500 F Trois ans plus tard, le domaine s’est agrandi d’une remise, d’un jardin, d’un verger et « d’aisances ». Diverses parcelles font également leur apparition : La Tranchée, Les Varennes,  Le Champ Bachelard, La Capette, Les Josières, Bois de la Puge. 8 370 F sont alors adjugés contre 13 000 F vingt ans plus tard Aujourd’hui, cette ferme de type Bresse du Nord a perdu une partie de ses avant-toits, jugés trop peu pratiques quant à la quantité de lumière apportée dans les pièces. D’autres petites curiosités existent à Villars-Chapel, notamment l’existence d’une prairie appelée « Pré de Village », rencontrée précédemment. Cette dernière fonctionnait selon le même système que la prairie de Condal mais était à disposition uniquement des habitants de Villars-Chapel qui pouvait y emmener paître leur bétail et en faire la fauche à partir du 17 juin. D’ailleurs, l’acte de vente de 1901 de la ferme bressane évoquée la semaine dernière stipule le Pré du village comme « indivis c’est-à-dire se fauchant à tour de rôle avec celui du propriétaire voisin » ; de même dans l’acte de 1921. La prairie de Condal, si elle ne se divise plus aujourd’hui entre une trentaine d’exploitants mais entre trois ou quatre, existe toujours et mène à Villars-Chapel par un chemin créé lors du remembrement. En l’empruntant, à quelques dizaines de mètres, se dresse une sorte de bosquet circulaire. Cet endroit est connu (ou non) sous le nom de « Trou de la Bombe ». En 1943, un bombardier anglais en difficulté aurait largué une bombe en ce lieu, ainsi qu’une autre dans le Bois de Binant. On les fit exploser en 1946 : certains se souviennent de ce jour où on demanda aux habitants de se calfeutrer chez soi. La bombe est donc toujours dans « son trou » faisant à l’origine environ dix mètres de profondeur et autant de diamètre. Aujourd’hui, la végétation a pris le dessus, d’où la création de ce petit bosquet au milieu des champs. Un petit lavoir existait au hameau (et est toujours visible) : il était appelé « Mare des Plattes » ou « Save des Plattes », la « save » étant le nom donné à une petite pièce d’eau en langue franco-provençale. Enfin, une « maison de lune » aurait été construite à Villars-Chapel, existant toujours de nos jours mais bien évidemment réaménagée. Bâtie sur un tout petit bout de terrain, la tradition orale rapporte que le propriétaire plaçait sa seule vache chez des voisins durant l’hiver, n’ayant pas la place de la garder chez lui.

Quelque part à Villars-Chapel : les vestiges évoqués par Guillemaut.

La mémoire collective rapporte l'existence de quatre moulins sur la commune de Condal : trois toujours en élévation et un détruit. Plus aucun ne fonctionne aujourd'hui. Le premier que nous allons citer était celui dépendant du château de Saint-Sulpice, propriété sur laquelle nous sommes déjà arrêtés. La bâtiment existe toujours et est devenue une résidence privée. Ensuite, nous trouvons le moulin de Montgardon, dit moulin de Verney, au lieu-dit Montgardon. Au milieu du 20ème siècle, ce fut Anthelme Thénoz qui l'exploita avant de tenir une boulangerie puis un café au bourg du village. Dans les années 1980, ce lieu devint une boîte de nuit, "Le Point Rouge", et brûla dans un incendie. A proximité, se trouve "La montée de Rouju" sur la route de Montgardon : cette appellation viendrait du fait que les paysans empruntant ce chemin fort pentu et tortueux, arrivaient en haut de la montée tout rouge d’effort... Ces deux moulins utilisaient les eaux du Besançon. Le moulin n'étant plus en élévation aujourd'hui était situé à proximité de Varennes-Saint-Sauveur, à Varignole. Situé sur le Solnan, il ne reste que quelques pierres à proximité du cours d'eau attestant de l'existence de ce moulin. Les habitants appellent ce lieu "chez l'ermite" car un homme vécut dans la ferme située à proximité et dépendant autrefois du moulin reclus dans sa cave les dernières années de sa vie. Maintenant mangée par la broussaille, cette maison qui n'inondait jamais d'après les anciens, possédait un joli balcon, résultat d'un agrandissement du bâtiment d'origine.

Au bord du Solnan, à Varignole, quelques pierres subsistent, seuls vestiges d’un moulin.

Comme dans de nombreux villages bressans ces dernières années, la numérotation des habitations et donc la dénomination des voies ont permis à certains habitants de Condal de se pencher un peu plus sur la l'origine et la signification des hameaux, écarts et autres lieux-dits. Voici quelques « morceaux choisis » de ces toponymes qui garderont peut-être à jamais leur sens premier... « Le mortier » : situé en face du nouveau cimetière, ce terrain devrait son nom au fait que l'on y entreposait les bêtes mortes de la commune. Un Condalois responsable du cheptel dans les années 1960/1964 raconte qu'à cette époque il y avait 56 producteurs de lait sur la commune, chacun ayant deux voire trois vaches dont la majorité fut décimée par la tuberculose. Les pertes devenant de jour en jour plus importantes, il fallut s'organiser entre voisins pour effectuer des corvées afin d'enterrer dans des trous fait « à la pelle » le bétail mort.  De là l'origine du « Mortier » ?... Suite à cette hécatombe, de nombreux villageois arrêtèrent l'élevage et partirent travailler à la SNCF, notamment comme gardes-barrières. « La ruelle des morts » : également appelée « Le chemin des morts » ou « Le chemin de messe », reliait autrefois Montgardon au bourg. Ce chemin coupant à travers champs et enjambant le Besançon était autrefois emprunté par les habitants du hameau afin de rejoindre plus vite le bourg. C'est aussi par là que passait les cortèges funèbres les jours d'enterrement. Des dalles de pierre, vestiges de ce chemin, seraient encore visibles par-ci par-là... « La Grange des prêtres » et « La Grange sarrasin » évoqueraient d'anciennes installations des moines, lieux de prélèvement des impôts notamment... « Le Puits du village » : nom donné à un puits situé à la Noblesse dont l'usage était destiné à l'ensemble de ce hameau. « La rue de l'Etoile Verte » : point d'explication légendaire ou ancestrale ici mais un simple hommage à l'une des doyennes du village, ancienne institutrice née en 1923 résidant en ce lieu du bourg et férue d'Esperanto. Les espérantistes ont pour symbole international une étoile de couleur verte d’où ce nom.  La nature du sol a également donné naissance à certains lieux dits comme « La Poissière », évoquant un terrain argileux, une terre poisseuse. Visiblement, plusieurs tuileries ou carronnières s'élevaient autrefois sur la commune, notamment une à La Poissière justement et une à Villars-Chapel : la physionomie du terrain en ce lieu ainsi que le cadastre du début du 19ème siècle attestent cette hypothèse. La tradition orale rapporte d'autres lieux d'extraction de la terre, notamment sur une parcelle dénommée localement « La car’nière ». C'est en ce lieu que fut extrait en 1911/1913 le sable nécessaire pour faire la dernière maison en pisé du secteur, au lieu-dit « Le Champ Rouge ». Le pisé étant fortement présent sur la commune, de nombreuses sablières furent sans doute exploitées un peu partout. Certaines furent utilisées par la suite par les marbreries de Saint-Amour qui s'en servaient pour scier le marbre. C'est ainsi qu'à « Bois Gilles » une ancienne sablière fut équipée avec chemin de fer, pelle à câble, etc. Devenue aujourd’hui une pièce d’eau bordée d'acacias où batifolent des abeilles, la présence de la sablière est évoquée par le chemin y menant, renforcé et stabilisé par des morceaux de marbre permettant autrefois de faire passer les engins y travaillant.

Un ancien lieu d’extraction de la terre, à Villars-Chapel.