Traditions bressanes

De nombreuses croix ponctuent le paysage condalois : qu’elles soient en ciment, en fer forgé ou monté sur un poteau en bois, toutes possèdent une histoire qui parfois nous échappe. La plupart semblent avoir été restaurées récemment et évoquent le temps des processions dont certaines se mettaient en marche depuis le château où était un reposoir, au niveau du Pré Saint-Laurent. Le prêtre se rendait également dans les hameaux avec ses enfants de chœur bénir les diverses croix des écarts : à la Noblesse, à Villard-Chapelle, à Petit Condal…  D’ailleurs, une habitante nous rapporte une anecdote assez croustillante à ce sujet. Dans les années 1930, lorsque le curé Tachez décida d’effectuer ce service sur sa mobylette, le bénitier accroché au guidon, une dame âgée de l’époque habitant à Petit Condal en fut offusquée : « Je la revois encore en train de marmonner et d’éplucher son chapelet !... » Pour la fête patronale, une course cycliste avait lieu le lundi. Manèges (chevaux de bois, pousse-pousse, tir à la carabine, vente de cacahuètes) et bal contentaient tous les âges.  Ce jour était l’occasion de faire cuire brioches et galettes dans les fours familiaux. La brioche était également au centre de la fête des conscrits : le jour du banquet, lors de la messe, elle était bénie puis coupée par le marguillier qui en distribuait à l’assemblée. De nombreuses photographies de conscrits mettent en scène cette brioche au milieu des conscrits. Lors de leur tournée, les conscrits collectaient des œufs qu’ils portaient à une dame du village qui en faisaient des matefaims à distribuer aux enfants de l’école : des élèves devenus adultes aujourd’hui en gardent en émouvant souvenir. Enfin, autre tradition ayant eu cours à Condal jusqu’à là fin des années 1970 : le fait de planter un mât devant la maison des conseillers municipaux nouvellement élus. Un pot pris en commun avec les habitants du hameau concerné venait clore cette tradition.

Jour de procession à Condal (coll. part.)

Condal a la particularité de n’avoir visiblement jamais connu de foire et marché. Ce fait s’explique sans doute par sa proximité avec Saint-Amour et Varennes, et par l’absence de gare sur la commune. Néanmoins, en se promenant dans la rue principale du village, des façades portent le souvenir d’anciennes devantures ou ateliers. C’est ainsi que, évoquant les commerces existant « autrefois » à Condal, diverses activités ont été rapportées, évoluant selon les périodes : deux boucheries, trois cafés dont un a fait hôtel, trois épiceries dont une où le tenancier était également tailleur, et coiffeur pour une seconde. Des souvenirs de charron, maréchal-ferrant, forgeron, sabotier persistent encore, tout comme celui du téléphone public qui était chez le sabotier, juste en face de la mairie, et dont l’épouse s’occupait de la cantine. Au début du siècle, un rémouleur fut également fabricant d’alluchons, ces dents en bois utilisées dans les engrenages des moulins. Certains se souviennent de Madame Sorgue qui effectuait de petits travaux de couture (confection de tabliers, blouses), ainsi que des couvertures piquées et cardait les matelas. D’autres, de Madame Devaux qui était repasseuse de coiffes. Une fois le port de la coiffe traditionnelle devenue obsolète (une habitante de Petit Condal m’a rapportée avoir vu la coiffe portée dans ce hameau par une dame jusque dans les années 1950), pour survivre, l’ancienne repasseuse ramassait du bois mort pour les gens et pour se faire un peu d'argent. Pour l’anecdote, Madame Devaux fut la première habitante à être inhumée dans le cimetière moderne du village. Quelques souvenirs se sont également conservés au sujet du « père Moireau » qui était le « caïffa », nom habituellement donné aux commerçants ambulants sillonnant les campagnes pour la société « Au Planteur de Caïffa » et vendant du café et autres denrées. Une habitante se souvient que le père Moireau avait inscrit une phrase dans « sa carriole » : « Le passé m'a trompé. Le présent me tourmente. L'avenir m'épouvante »… Au bourg, subsiste l’édicule abritant naguère la bascule, où étaient pesés notamment les cochons achetés aux villageois par la famille Morey de Cuiseaux. Une habitante évoque avec sourire le fait que « c’était folklorique » lorsqu’il fallait amener à la pesée plusieurs cochons des écarts de la commune. Dans les années 1960, la bascule devint désuète et inadaptée aux poids et à la taille des chars et autres pesée de céréales nécessaires aux agriculteurs. Néanmoins, la bascule est toujours debout et a même sa place, « La Place de la Bascule », qui accueille parterres fleuris et créations des associations du village, notamment la crèche en fin d’année. Le bourg de Condal fut réaménagé en 2003 au titre du projet « Cœur de Village ». La municipalité souhaite conserver un peu de vie dans

Certains bâtiments évoquent des activités d’antan : ici la forge Boisson, nouvellement acquise par la commune.

Aujourd’hui en RPI avec Dommartin, l’école de Condal est abritée par un bâtiment construit en 1878 accueillant également la mairie : jusqu’alors, aucune maison d’école communale n’existait. A l’époque, la tradition orale rapporte que les 120 enfants recevant un enseignement y étaient répartis en quatre classes. Lorsque la cantine fut créée, elle se trouvait en face de l’école puis dans l’actuelle salle des fêtes, bâtie en 1961 sur les murs de la ferme d’un ancien maire de la commune, Monsieur Pirat. Des souvenirs font mention de l’existence d’écoles tenues « à la journée » chez des particuliers jusqu’à la fin du 19ème siècle, notamment à Villard-Chapelle et dans le bourg, près de la Brocante Condaloise. Celle-ci aurait été matérialisée par une enseigne peinte, aujourd’hui recouverte d’enduit : « Ecole Publique ». L’école de filles, qui était tenue par des religieuses fut laïcisée en 1885. Ces dernières en firent construire une l’année suivante, sur la route de Dommartin. Les propriétaires actuels du bâtiment ont mis au jour une pierre portant une inscription gravée faisant état de cette édification : « Ecole libre élevée en 1886. Par MM De Chaignon H De Dananche X Petit curé à Condal et autres et le concours des habitants de Condal. Plans dressés par Pillard Entrepreneur exécutés par Lyonnais. » Le curé était alors Théodore Petit, curé à Condal depuis 1877.

Le groupe scolaire, abritant également la mairie

Comme nous l’avons déjà évoqué au sujet du blason de Condal, deux châteaux sont présents sur la commune : l’un au bourg et l’autre à Saint-Sulpice. Si Saint-Sulpice n’est plus qu’un hameau aujourd’hui, il était autrefois une commune et une paroisse. Située à l’est de la commune, en direction de Saint-Amour, cette terre est mentionnée dès le 11ème siècle par des patronymes : Bernoldus de Sancto Sulpicio (1096), Robertus de Sancto Sulpicio (1123) ou encore Hugues de Saint Sulplix (1335) . La tradition orale rapporte que ce sont des moines de Gigny qui s’installèrent en ce lieu qu’ils nommèrent Saint-Sulpice en hommage à un évêque de Bourges du 6ème ou du 7ème siècles. Cette installation n’aurait ainsi aucun lien avec la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, société fondée uniquement au 17ème siècle. Ancienne paroisse réunie à Condal en 1805 ou 1809 suivant les sources, Saint-Sulpice semble donc avoir des origines anciennes. Reprenant Courtépée, Lucien Guillemaut évoque en ce lieu des seigneurs éponymes dont l’un d’entre eux, Pernot de Saint-Sulpis, chevalier, prit part à un voyage en Terre Sainte en 1120 en compagnie de Bérard, évêque de Mâcon. Relevant de la baronnie de Cuiseaux, la seigneurie passa « plus tard »  aux de la Baume de Montrevel puis aux Gaillard de Dananche dont l’une des filles épousa en 1887 René Puvis de Chavannes. Le château actuel, bâti au milieu du 19ème siècle, resta dans la famille Puvis de Chavannes jusqu’en 1956, date à laquelle elle vendit la propriété au couple Ponthus. L’époux, pilote d’essais, décéda accidentellement deux ans plus tard, laissant son épouse et ses enfants seuls propriétaires du domaine où ils venaient en résidence secondaire. Au décès de Madame Ponthus et de son compagnon, Claude Durand, le château fut revendu à Monsieur et Madame Borges qui le restaurent depuis quelques mois afin d’accueillir des chambres d’hôtes. Le château de Saint-Sulpice, visible depuis la route reliant Condal à Saint-Amour, est une propriété privée.  Si la date de construction de l’actuel château est inconnue (milieu du 19ème siècle), la tradition rapporte qu’il aurait été bâti en lieu et place d’une ancienne bâtisse : château ? tour ? établissement religieux ? église de l’ancienne commune de Saint-Sulpice ? Lucien Guillemaut rapportait ceci en 1912 :  «  Une tour, sur une motte, indiquait encore autrefois, il y a plus d’un siècle, dans une terre qui a conservé le nom de « la Tour », l’emplacement d’un ancien château. Il y avait, en ce point, autrefois, deux mottes de terre, assez hautes. L’une d’elles n’existait déjà plus au commencement du 19ème siècle ; elle avait été, vers cette époque, nivelée. Quant à sa jumelle, l’autre, celle de la Tour, elle avait encore 2 mètres de hauteur, 60 mètres de diamètre et 206 mètres de circonférence, lorsque D. Monnier, archiviste, auteur de nombreuses recherches archéologiques, en dressa le plan en 1822 ; à côté des ruines de la tour, on voyait encore au bas de la motte les vestiges de l’ancien château.  Comme la terre dépendait du moulin de Saint-Sulpis, le meunier qui en jouissait fit, il y a une cinquantaine d’années, des fouilles pour trouver des briques dont il avait vu des spécimens bien conservés. On m’a raconté qu’en faisant ces fouilles, on mit à jour un escalier qui devait vraisemblablement conduire à des caves ou oubliettes, mais personne ne s’occupa de cette découverte, et depuis on n’en a plus entendu parler.  M. Gaillard de Dananches avait fait construire, il y a près d’un demi-siècle, à la place de l’ancien presbytère, le château actuel de Saint-Sulpice, avec des dépendances au lieu où était l’ancienne église. » Lors du rachat de la propriété par la famille Ponthus en 1956, Saint-Sulpice comprenait le château et dépendances, trois fermes, un moulin et des terres. Une pièce d’eau alimentée par  une source était également située à proximité du château, utilisée à des fins d’agrément. Certaines familles de Condal furent employées par les Puvis de Chavannes et les Ponthus en tant qu’exploitants mais aussi que cuisinières ou domestiques : les personnes rencontrées en gardent tous de bons souvenirs et évoquent l’ambiance familiale régnant en ces lieux. Une belle ferme à « peuton » est visible en face du château, de l’autre côté de la route : elle aurait fait partie des trois métairies mentionnées plus haut. Typique de l’architecture de la Bresse savoyarde, le « peuton » est le nom donné à la partie du toit surmontant l’arrivée de l’escalier extérieur menant au grenier. Les anciennes dépendances du château étaient constituées d’écuries qui furent réhabilitées en logement pour d’anciens gardiens de la propriété alors qu’un petit bâtiment faisant autrefois office d’orangerie est toujours en élévation. Certains des arbres entourant la propriété font partie des arbres cités par Alain Desbrosse comme étant remarquables : des charmes têtards et des cyprès chauves . Dans la cour, trône enfin une chapelle. Fortement modifiée, étendue, surélevée, ses fondations remontent néanmoins au 13ème siècle. Cet édifice aurait été l’ancienne église de la paroisse de Saint-Sulpice, aliénée par la commune et la fabrique de Condal en 1810 afin d’effectuer des réparations dans leur église. Certains habitants évoquent le souvenir de dalles et sépultures mises au jour autour de cet édifice et dans le bois à proximité. Malgré les diverses transformations qu’elle a subies au cours des siècles, le volume et l’implantation de cette chapelle laissent effectivement supposer que l’édifice fut plus qu’une simple chapelle annexe. Si des pans de bois ont été rajoutés, l’essentiel du bâti est en pierre et tuf. Des recoins et pièces imbriquées les unes dans les autres évoquent le temps où la chapelle servit de débarras et d’écuries. Restaurée par la famille Ponthus, cette chapelle qui reçut quelques offices durant la seconde moitié du 20ème siècle, possède encore son mobilier liturgique et présente un vitrail moderne. En 2003, la chapelle fut à nouveau consacrée et servit à diverses célébrations familiales. Ainsi, lorsque l’on pénètre dans la chapelle, l’autel et le tabernacle côtoient les anciennes auges installées alors que la chapelle faisait office d’étable… Le clocher avait lui aussi trouvé un autre usage puisqu’il accueillait une citerne destinée à stocker l’eau captée depuis une source en contrebas de la propriété, amenée par une pompe mue par l’une des roues du moulin également reliée à la batteuse des lieux. Le moulin fonctionna jusque dans les années 1950 et présentaient deux paires de meule servant à la mouture de farine panifiable. Sous le clocher, des bases de voûtes en ogive en pierre présentent six beaux blasons sculptés portant une simple bande barrant l’écu, dont la monochromie rend l’identification malaisée. Seraient-ce les armes des sires de Chalon, Princes d’Orange, seigneurs de Cuiseaux au début du 14ème siècle, portant de gueules à une bande d’or ?...

Saint-Sulpice aujourd’hui, du côté de la façade principale.