Traditions bressanes

Après la période de veille du défunt chez soi, vient le temps de la mise en bière et du dernier contact avec le disparu.
La mise en bière avait lieu le soir, après la prière, lorsque le menuisier apportait le cercueil. Enveloppé dans un linceul ou une pièce de toile, on plaçait dans la main du défunt un Christ ou un chapelet ainsi qu’un livre s’il savait lire. On l’accompagnait également de certains objets familiers comme sa tabatière, sa canne, son couteau ou encore d’une bouteille si l’homme appréciait cette compagnie. Lorsqu’il s’agissait du décès d’un enfant, on plaçait dans sa main une gobille ou une boule de cire afin qu’il puisse prendre part aux amusements des anges…   
On avait également l’habitude, autrefois, de placer dans le cercueil une pièce de monnaie, coutume connue en Bourgogne sous le nom de « sou des morts ». Cette tradition est une survivance des croyances et pratiques antiques ou l’on plaçait dans la bouche du défunt une pièce de monnaie qu’il devait donner en échange à Charon, passeur des âmes grâce à sa barque qui permettait aux défunts de traverser le fleuve Styx le séparant du repos éternel. Ceux pour qui la famille n’avait pas pris cette précaution erraient à jamais… Ici, l’on disait que cette pièce était donnée à saint Pierre en échange d’une place au paradis.
Le surlendemain du décès était le jour des obsèques. L’invitation était le plus souvent faite de vive voix par des voisins passant auprès de toutes les familles du village annoncer la nouvelle : les faire-part dans la presse étaient alors très peu usités. Dans certaines familles aisées, on faisait imprimer des faire-part de décès, lettres de grand format ornées de larges bandes noires et que l’on laissait distribuer dans tout le village, là encore, par les voisins. On voit ici la forte solidarité et l’entraide mutuelle bien connue et souvent évoquée au sein des hameaux et écarts de notre région bressane : que ce soit pour travailler comme lors des machines ou des veillées, pour partager à l’occasion du repas de cochon ou lors d’évènements plus douloureux tels que des accidents ou des décès, les liens sociaux et amicaux étaient forts entre voisins.      

Comme la mort survenait à la maison, toute la famille et la maison même portaient le deuil du défunt tout juste disparu.
Comme l’on mourrait chez soi, la veillée funèbre avait également lieu à la maison, le plus souvent dans la chambre même du défunt. La relation à la mort était différente d’aujourd’hui : on imagine, il y a de cela un siècle, dans les fermes de taille modeste où les lits se trouvaient dans l’hutau, le reste de la famille manger et vivre, y compris les jeunes enfants, près du lit où était veillé le défunt.
Après avoir procéder à la toilette, on revêtait le mort de ses plus habits pour son dernier voyage et les derniers adieux. Famille et voisins se relayaient nuit et jour afin de veiller le mort lors de l’arrivée des proches venus saluer l’âme du disparu : par respect, le corps était constamment gardé jusqu’au départ pour le cimetière. De plus, on avait tendance à croire que sans cette précaution, le Diable aurait pu emporter le cadavre et placer à sa place un chat noir ou un autre animal malfaisant. On mettait la maison en ordre pour recevoir les invités et on fermait les volets. On plaçait dans la chambre, près du lit, un crucifix, deux cierges bénits à la chandeleur et un verre d’eau bénite où trempait un rameau de buis dont se servaient les visiteurs venus rendre hommage au défunt pour le signer.
Lorsque l’un des membres d’une maisonnée rendait l’âme, il était d’usage d’arrêter horloges et autres pendules à l’heure exacte du décès et de les laisser ainsi jusqu’à l’enterrement. Les glaces et miroirs de la chambre où était placé le mort étaient retournés face aux murs ou recouverts d’un crêpe noir. D’autres pratiques étaient en usage de façon variable selon les régions et les coutumes des familles : on coupait les fleurs du jardin, on enterrait quelquefois l’un des paletots du défunt, on recouvrait les ruches d’un morceau d’étoffe de couleur noire en forme de croix, on nouait un morceau de cette étoffe à la porte des étables avec un rameau bénit ou on vidait l’eau des vases contenant des fleurs afin que l’âme du défunt ne s’y installe pas pour hanter la maison…

Après la préparation du mort et avant la mise en bière, quelques formalités restaient à remplir pour l’entourage.
Concernant les formalités telles que prévenir la mairie, le fossoyeur, le menuisier pour la confection du cercueil et surtout le prêtre pour l’office, il était d’usage dans les campagnes de tout régler dans la journée avant la prière du soir. On allait également choisir un crucifix et une couronne en perles de verre dans les tons noir, gris et mauve pour le défunt.  
Lorsque l’on allait chercher le prêtre pour donner l’extrême-onction et fixer le jour des funérailles, ce dernier, de retour à l’église faisait annoncer par son bedeau ou son marguillier le décès d’un habitant de la commune. Autrefois, dans certaines communes, trois classes de service religieux étaient possibles selon la richesse de la famille : les riches (commerçants, bourgeois, gros propriétaires terriens…) avaient droit à la première classe à savoir le glas avec l’ensemble des cloches sonnant après l’angélus du matin, du midi et du soir, un service religieux chanté en latin et la mise en deuil de l’église avec l’autel drapé de noir. La deuxième classe, la plus usitée, consistait uniquement en l’autel drapé de noir et pour les gens de la troisième classe, le service était sobre : cette distinction sociale établie par l’Eglise se faisait également à l’occasion des baptêmes.   
Plus communément, après la sonnerie de l’angélus matin, midi et soir, la grosse cloche tintait trois fois pour le décès d’un homme et la seconde cloche deux fois pour celui d’une femme. Le soir, après le glas, un temps mort était respecté puis un coup de cloche tintait : de même, trois fois pour un homme, deux fois pour une femme.
Lorsque la mort survenait, la famille portait le deuil : la veuve s’habillait en noir pendant deux ans, lors du grand deuil. Cette période exigeait que les femmes portent le chapeau à grand voile de crêpe noir que l’on rabattait sur les yeux le jour de l’enterrement ; les hommes portaient un brassard noir sur la manche gauche, ainsi qu’une veste et une cravate noire. Les vêtements de sortie étaient également noirs. Puis, après ces deux années, la veuve portait des couleurs plus claires durant un an : c’était le demi-deuil. Dans les grandes fermes, il était d’usage que valets et servantes portant eux aussi le deuil.

La soirée était marquée par la fuite des époux dans un endroit secret afin de consommer le mariage lors de la nuit de noces… Si la mariée était la dernière des filles à la maison on allumait un grand feu de joie fait d’épines coupées dans l’Ain et on brûlait un tonneau dans le Revermont. A l’image du tracassin, les mariages insolites, inattendus ou particuliers donnaient lieu à des pratiques ou à des expressions : ainsi, lorsqu’un jeune homme se mariait avant son frère aîné, on avait l’habitude de renverser le paillis ou de parler de « mariage de chanvre » lorsque la femme était plus grande que son mari…  A la tombée de la nuit, les nouveaux époux étaient emmenés par les jeunes gens de la noce sur un char les conduisant dans des charrières afin de « cahoter » les mariés puis, de retour à la ferme, alors que les danses allaient bon train, le couple s’éclipsait, se jouant de la surveillance du garçon d’honneur. On essayait alors, après leur avoir laissé un moment de tranquillité, de les trouver : souvent, les couples se réfugiaient pour leur nuit de noces chez un membre de la famille au courant de leur cachette mais ne devant dévoiler l’endroit à personne. Parfois, les plats, les vins et la goutte aidant, il arrivait que certains ne puissent tenir leur langue bien longtemps… Lorsqu’on les retrouvait, les jeunes gens de la noce venaient les cueillir au lit pour leur faire manger le contenu d’un pot de chambre, souvent une soupe au vin à laquelle était ajoutée du chocolat symbolisant la consommation du mariage. La plupart de ces coutumes sont aujourd’hui tombées dans l’oubli ou ont perdu leur sens mais certains éléments que nous avons évoqués sont toujours de mise de nos jours. Ainsi, une tradition voulait que la jeune épouse donne à ses demoiselles d’honneur une partie de son voile et des épingles ayant servi à la confection de sa robe afin de leur porter chance dans leur quête d’un mari. Elle se retrouve de nos jours dans le lancé du bouquet de fleur de la mariée : la jeune femme célibataire qui l’attrape, sera la prochaine à se marier. Les temps changent, les choses évoluent, les traditions ancestrales se perdent ou subsistent dans l’imaginaire collectif appartenant désormais à nos propres rites…

Dans les années 1980, une reconstitution de noce bressane réunissant toute la population a eu lieu devant la ferme de La Minute à Sainte-Croix.