Traditions bressanes

Autre type de construction donc, le pan de bois, appelé généralement colombages et connu dans d’autres régions telles que l’Alsace ou la Normandie. Plus qu’un élément décoratif, le pan de bois est la base de la maison bressane puisqu’elle en constitue l’ossature. Assemblée par tenons et mortaises, chevillée, la structure de la maison forme un ensemble, un squelette de bois où chaque pièce et utile à la stabilité d’ensemble de la maison.
Le plus souvent en chêne, l’une des pièces la plus importante des pans de bois est la « sole » (ou soule, ou seule), pièce de bois dont dépendait autrefois la longueur de la maison puisqu’il s’agit de la poutre formant la base de la structure. Posée à même le sol puisque la maison bressane n’avait au départ pas de soubassement (par la suite on en fit en briques, ou parfois en pierre), la sole devait être enjambée afin de passer le seuil de la porte. Caractérisée par son aspect flottant, la maison bressane ne supporte aucune section de ses bois mais a la particularité d’être montable et démontable à merci du fait de son ossature en bois chevillé.
C’est ainsi que la maison était autrefois assimilé à un bien mobilier, à ces « bastiments levables de dessus leurs fonds » comme stipulé dans l’ouvrage de Charles Revel en 1664, en ce sens qu’elle n’était pas fixe et pouvait être déplacée. De nombreux exemples en témoignent notamment au cours du 17ème siècle mais aussi plus récemment comme ce fut le cas pour la ferme des Mangettes à Saint-Etienne-du-Bois, déplacée en 1983 et accueillant maintenant dans le même village l’un des espaces d’exposition du site visitable « Maison de Pays en Bresse ».
Autre anecdote liée à la construction en pans de bois et à sa rapidité d’exécution sur place : les maisons construites en une nuit ou « maisons de Lune ». Dès le Moyen-Âge et jusqu’après la Révolution Française si un couple (ou une personne) sans le sou décidaient de quitter le domicile familial, ils pouvaient s’installer sur un terrain inculte tel que landes ou communaux en une nuit. Si au matin la cheminée fumait par un trou de la toiture, le terrain et la maison étaient leur propriété. Un tel exploit était réalisable grâce à la construction en pan de bois : on préparait l’ossature de la maison à part et lors d’une longue nuit d’hiver où la Lune était claire (pour mieux voir dans l’obscurité, d’où le nom donné à ces maisons) amis et familles montaient la structure par pan et l’on remplissait par la suite les panneaux en torchis et l’on couvrait de chaume la toiture. La maison été faite ! 

Si l’habitat bressan traditionnel est si bien intégré à son paysage c’est justement parce qu’il en vient, qu’il en est constitué par le bois de la forêt bressane et la terre et l’eau extraite du sol. Comme nous l’avons déjà évoqué, le Bressan s’est adapté autant qu’il a adapté à ses besoins son milieu naturel et la maison bressane. Son ossature est en bois, en pans de bois plus précisément, issus de cette forêt bressane omniprésente. Les panneaux, au centre des colombages, étaient autrefois en torchis : mélange de terre, de paille et de chaux, cet amalgame s’avérait peu résistant à la pluie battante et à la bise. Plus structuré, le clayonnage, sorte de torchis sur ossature en bois d’aulne appelé localement putaverne le remplace. Ensuite, avec la démocratisation de l’utilisation de la brique, cette dernière intègre la constitution des panneaux en même temps que les carrons remplacent la terre battue présente sur le sol des pièces d’intérieur. Quoi qu’il en soit, ces trois types de construction, tout comme les carrons et les tuiles, existaient grâce à l’argile et à l’eau constituant le sol bressan. L’abondance de ces trois matières premières (bois, terre et eau) explique le caractère isolé des fermes dans le paysage bressan puisque tous les matériaux de construction étaient à portée de main des habitants. A la fois patrimoine au sens premier comme bien propre, patrimoine mobilier puis immobilier comme nous le verrons, patrimoine architectural, l’habitat bressan constitue aussi en quelques sortes le patrimoine paysager de la Bresse mais est également un patrimoine culturel puisque sa constitution, sa forme, ses matériaux, son agencement… explicitent et reflètent la façon de vivre et de travailler en Bresse. 

Les fermes bressanes se présentent lovées entre cours d’eau sinueux, haies bocagères et parcelles boisées.

La maison, symbolisation matérielle du noyau familial, est depuis toujours ressentie par l’Homme comme l’élément sécuritaire et rassembleur. Simple hutte ou structure plus élaborée, elle est durant toutes les périodes de l’Histoire constituée de matériaux d’origine naturelle. On estime que les premières habitations préhistoriques puis gauloises étaient de simples huttes circulaires avec un foyer central dont la fumée s’évacuait par un trou pratiqué dans la toiture. C’est à l’époque gallo-romaine qu’apparaissent sur notre sol bressan, comme partout sur le territoire de l’ancienne Gaule, des « villas », ensembles agricoles importants en surface, organisés autour d’un bâtiment central autour duquel gravitent de petites dépendances aux fonctions bien précises. Mais c’est à l’époque médiévale que se constituent les bases de nos hameaux et villages actuels sur des emplacements nouvellement essartés, défrichés par des moines venus s’installer, des moines paysans éclaircissant la forêt bressane et créant les premiers étangs à des fins piscicoles. Les habitations se regroupent alors et forment de petites localités dont certaines, possédant éléments de défense ou chapelle, deviendront des bourgs. C’est également à cette époque qu’apparaissent les noms de localités, les toponymes, liés à des particularités paysagères, géographiques, d’usages, ou à des noms de personnes puisque parallèlement se développent les titres de propriété et les patronymes, les noms donnés aux gens, encore une fois selon une caractéristique physique, familiale… Concernant l’habitation bressane, il apparait très tôt qu’elle soit en pans de bois ou alors en pisé, cette terre à bâtir, montée par coffrage, renforcée aux angles par des chaînages verticaux de briques : on reconstruira ainsi, méthode peu couteuse, au 19ème siècle. Quoi qu’il en soit, pans de bois ou pisé, illustrent le fait que la pierre, matériau de construction par excellence, est belle et bien absente en Bresse bourguignonne ou en Bresse de l’Ain. Si on en trouve dans la région de Cuiseaux c’est car la Bresse jurassienne accrochée aux pieds des monts du Jura en procure, alors que celle présente sous les arcades de Louhans par exemple, notamment le calcaire de Préty, a été importée d’autres régions le plus souvent par transport sur voies d’eau.

De l’assemblage et de l’architecture des maisons bressanes ressort un charme évident…

Si l’armoire de mariage avait un statut particulier du fait de son mode d’acquisition et de l’entrée symbolique qu’elle faisait au sein du foyer, elle ne subissait pas de traitement de faveur quant à sa constitution, toujours à deux tons. En général, elle comportait dans sa partie inférieure un grand tiroir appelé « pantalonnière » ainsi que trois petits tiroirs placés sous le rayonnage central de l’armoire : on disait que celui du milieu, plus étroit que ses deux voisins, avait juste la taille pour accueillir un lingot ! Je doute fort que les armoires bressanes aient vu beaucoup de lingots d’or dans leur vie mais toujours est-il que le Bressan avait l’habitude de cacher ses économies et ses objets de valeurs dans ce petit tiroir ou dans la caisse de l’horloge.
L’armoire, mais aussi le vaisselier et l’horloge, en plus de leur décor naturel constitué des dessins chamarrés et ondoyants de la loupe, supportaient des décors sculptés, témoins de l’imagination et du talent des artisans bressans. Le plus souvent, le décor est figuratif et se rapporte au monde végétal : feuilles d’eau, épis de blé liés en gerbe, marguerites, glands… Plus stylisés sont le motif en fer à cheval ou en tête de chouette, variante de la coquille.
Les armoires de mariage ou de fiançailles possédaient un décor particulier, symbole de la nuptialité, à savoir des cœurs ou des corbeilles desquelles dépassent des bouquets végétaux et des fleurs, sculptés sur le fronton ou sur la traverse du meuble. Parfois, des dates, des initiales ou même des patronymes sont gravés dans des cartouches placés sur le trumeau et rappelle que telle armoire a été confectionnée telle année pour le mariage d’unetelle.   
Bien que d’apparence rustique, le mobilier bressan, par le savoir-faire et la créativité des différents artisans, reste pour tous les connaisseurs une réalisation de qualité adapté aux usages domestiques et familiers, à la spécificité des fermes bressanes et plus en amont, illustration de la diversité et des caractéristiques du milieu naturel bressan. Mais malgré son charme et ses qualités, le meuble bressan a souffert dans les années 1950-1960 de l’arrivée de nouveaux matériaux et d’un nouveau mode de vie : les fermes bressanes ont été délaissées pour de petits pavillons neufs et la belle armoire de famille a fait place à un buffet en formica et a été reléguée à l’écurie pour y entasser pots de peintures et outils.