Traditions bressanes

Impossible de terminer ce petit tour d’horizon des caractéristiques du mobilier bressan sans évoquer l’art et le savoir-faire des chaisiers et pailleuses de Rancy et Bantanges. Si les origines d’une telle production locale restent encore controversées (mariage d’un compagnon tourneur avec une fille du pays et qui aurait formé des apprentis ou chaisiers ambulants italiens qui auraient transmis leur savoir), la première mention de l’existence de chaisiers en Bresse apparaît au 19ème siècle dans les registres de mariage de Bantanges et Rancy, respectivement en 1815 et 1824, où l’ont trouve le nom de deux tourneurs c’est-à-dire des chaisiers.
Cette activité est alors bien implantée entre Tournus et Louhans et perdurera jusqu’à aujourd’hui dans les communes de Bantanges et surtout Rancy, promu village de la chaise, où est implantée une antenne de l’Ecomusée de la Bresse bourguignonne consacrée aux chaisiers et pailleuses et où quelques maisons sont encore le reflet et la vitrine d’un savoir technique vieux de deux siècles.
Si cette production s’est si bien implantée en Bresse ce n’est pas un hasard mais encore une fois du fait du sol et de la végétation : omniprésence de bois pour la fabrication de l’ossature de la chaise et de laiche et du seigle pour la confection des paillages. La laiche, appelée également « saigne », pousse à l’état naturel dans les prairies humides, en bords de Seille et des étangs donc parfaitement adaptée au sol Bressan bien que les drainages actuels rendent aujourd’hui difficile sa pousse. La paille de seigle, plus raffinée, était enroulée autour des brins de laiche, technique que connaissaient à la perfection les pailleuses bressanes.
Autrefois activité d’appoint, la fabrication de chaises s’est rationalisée par la suite, donnant naissance à des entreprises familiales exportant leur production au niveau national. Alors que l’homme est à l’atelier, confectionnant l’ossature en bois, la femme paille ou rempaille chez elle les assises à l’aide de bourroirs, ciseaux, rangeoirs…
Autrefois associé à une image négative, le métier de chaisiers et pailleuses l’est maintenant à un travail de qualité et de savoir-faire inégalé. Même si les machines ont remplacé les vilebrequins et consciences, la connaissance de ces professionnels est toujours là, encore visible à travers des entreprises familiales souvent regroupées en association pour faire face à la présence d’autres marchés internationaux.
Bien que réduite de nos jours, la fabrication de mobilier bressan existe encore cependant à travers le savoir-faire et l’amour du métier de certains artisans, artistes.

Légende photo :  La chaise a été l’un des sujets de prédilection du peintre Vincent Van Gogh (« La chaise de Van Gogh »).

Reprenons et terminons ici la vie de notre Bressan en évoquant les rites, traditions et croyances liés à la mort.
Personnifiée par un squelette armé d’une faux, la mort est très présente dans les arts et littérature comme elle l’était dans les esprits des habitants de Bresse et de toutes les régions de France. Qu’on la craigne ou non, certains présages que l’on savait mauvais étaient annonciateurs de mort prochaine pour soi-même ou l’entourage : nous avons déjà évoqué, entre autres, le fait qu’il ne faut pas aller écouter les animaux de l’étable la nuit de Noël sous peine de trépasser le lendemain ou ne pas choisir pour marraine à un enfant une femme enceinte car l’enfant qu’elle porte mourait dans l’année. De même, on suspectait le cri funèbre d’un corbeau trop près de la maison ou le hululement d’une chouette dans les combles. C’est en partie à cause de ce caractère néfaste que l’on clouait autrefois une chouette sur la porte de grange afin de se protéger de son mauvais augure ; par la suite, ce symbole était sensé préservé le foyer en règle général.
Lorsque la mort intervenait, c’était le plus souvent à la maison, entouré des siens et du prêtre appelé pour les derniers sacrements : dans la première moitié du 20ème siècle, il était en effet très mal vu de décéder à l’hôpital, ce qui consistait en une humiliation. Ce sort était réservé aux miséreux ou seulement en cas extrême, suite à un accident ou à une opération mais de toute façon il était bien rare qu’un bressan voit en cette période un lit d’hôpital : lors d’une maladie, on appelait le médecin en dernier recours, après avoir essayé remèdes, prières et appositions de toutes sortes. La visite du médecin dans un hameau annonçait bien souvent la sonnerie du glas et un trou dans les économies de la maison.
L’administration des derniers sacrements était solennelle et lorsque la clochette annonçait le passage du curé et de ses enfants de chœur, les voisins du hameau, surtout les femmes, les suivaient en silence afin d’assister à la dernière bénédiction.
C’est ainsi que s’éteignait, idéalement si l’on puit dire, notre Bressan, sur sa terre natale, dans la maison où il a vécu, entouré des siens et prêt à rejoindre d’autres cieux grâce aux services du prêtre… sans quoi notre homme pourrait bien revenir hanter sa Bresse tel un orjus…

 

Le repas de noces était le moment le plus attendu de la journée et marquait le début des réelles festivités pour les invités.
On pouvait alors partager le repas de noces, pris chez la jeune mariée ou dans l’auberge du village : avec la généralisation de la photographie, c’était juste avant le repas que l’on prenait la photo du groupe entourant les époux et immortalisant ce jour. Comme pour les photos de conscrits, on faisait poser avec la noce les personnes préparant le repas, le servant et l’animant. A l’heure actuelle, ces photos jaunies, sépias et en noir et blanc ayant inscrit à jamais un moment important d’une famille nous apprennent énormément sur les usages et façon de s’habiller d’autrefois.
Entre ancienne et nouvelle génération, entre hameaux, écarts et bourgs, villes, le costume et la coiffe sont révélateurs de la transition et des changements qui se sont produits au début du XXème siècle entre abandon du costume traditionnel et mise à la mode illustrant les modifications intervenant dans le mode de vivre et de penser. Sur ces photos, comme nous l’avons évoqué, le chien est convié à poser devant le couple, symbolisant le gardien du foyer ; un coq était parfois placé devant le jeune marié marquant par sa présence la virilité du jeune homme.
Le repas lors de la noce était un moment symbolique puisqu’il réunissait les familles des deux époux dans une ambiance joyeuse et était vécu comme les repas pris lors de la machine, où les mets ordinaires laissaient place à une ribambelle de plats, toujours issus des produits de la ferme lorsqu’il se prenait chez l’épousée, mais arrangés par les femmes de la maison. Potages, galantines, viandes diverses, légumes, fromages, desserts, rien n’était laissé au hasard pour que ce moment reste dans toutes les mémoires et saluent un jour heureux.
Le tout était bien évidemment arrosé de vins, liqueurs, goutte et on prenait le temps de savourer ces plats et ce moment. Tout ceci était accompagné de musique, chants et danses et au cours du XXème siècle, le bal ouvert par la mariée et son père ou les garçons d’honneur permettait de se dégourdir un peu avant de prendre le dessert.

Le cortège, comme on l’a vu était un élément essentiel de la noce : chacun accompagnait le jeune couple vers sa nouvelle destinée déjà semée d’embûches… Lors du retour à la maison, il était autrefois d’usage de placer sur le chemin que devaient parcourir les époux à leur retour de l’église, une quenouille à laquelle était suspendue un fuseau, et à côté se trouvait un berceau d’enfant. C’était une manière de représenter à l’épousée les devoirs qui l’attendaient au logis. Le cortège trouvait encore sur son chemin un certain nombre de petites barrières qu’on avait eu soin d’élever et que la mariée devait franchir la première. Elles étaient autrefois composées d’épines mêlées de guirlandes et de fleurs, image des peines et des joies de la vie puis furent remplacées selon l’époque et l’endroit par d’autres traditions. Dans le Revermont, on « montait les tables » c’est-à-dire que l’on barrait le chemin par des tables chargées de vins et de gâteaux auxquels il fallait faire honneur pour pouvoir continuer : on coupait également un ruban blanc et un discours était prononcé. Dans l’Ain, ces barrières étaient composées de matériel agricole (chars, tombereaux, herses…) que les jeunes gens de la noce enlevaient dans la bonne humeur, permettant au cortège de passer et d’arriver au domicile de la mariée. Les plus proches parents offraient aux époux, avant de pénétrer dans leur demeure, un gâteau, dont ceux-ci mangeaient chacun un morceau, et ils leur servaient également à boire dans le même verre. Puis, ils jetaient sur leur tête une poignée de blé ou de millet pour leur souhaiter une postérité nombreuse, prospérité et abondance. Il était d’usage, notamment à Saint-Usuge, que les jeunes gens de la noce présentent aux époux une branche d’épines cachées sous des fleurs, des fruits, des ornements, en chantant ; puis les convives emportaient les fleurs et laissaient les épines aux nouveaux mariés. En Bresse, par la suite, on plaçait généralement un balai de bouleau ou de genêt en travers du seuil de la porte que la mariée devait enlever pour être considérée comme bonne ménagère.