Traditions bressanes
Des saints pas toujours très catholiques
Quand les textes anciens parlent des saints, ils désignent l’ensemble du « peuple de Dieu » mais historiquement, ce peuple voulait honorer les plus grands d’entre eux, les martyrs (en grec ce mot dignifie « témoin »). C’est d’abord le peuple qui, par une reconnaissance communautaire, élevait ceux-ci : mais bien vite la ferveur populaire amalgama références religieuses et légendes. On se mit alors à vénérer des personnages qui, aux yeux de l’Eglise, n’existèrent jamais, mais qui eurent cependant leurs statues et leurs pèlerinages.
L’un des exemples le plus frappant est celui de saint Guignefort (ou Guinefort) très réputé dans l’Ain : il s’agissait en fait d’un lévrier que, d’après une légende, la tradition populaire a élevé au rang de saint.
On rencontre cette vénération dès 1250 : le dominicain Étienne de Bourbon rapporte que les paysans dombistes vénèrent tel un martyr un lévrier enterré dans un bois où s'élevait jadis un château. L’histoire raconte qu’un jour, alors qu'il dormait dans son berceau, le fils du seigneur de ce château fut menacé par un serpent. Le lévrier du seigneur s'interposa et après une lutte acharnée tua le serpent. Quand le seigneur entra dans la chambre, il vit le chien ensanglanté : croyant qu'il avait dévoré son enfant, il le tua d'un coup d'épée. Comprenant ensuite sa méprise, il fit mettre le lévrier en terre et fit planter des arbres à l'endroit de son inhumation.
C'est dans ce bois que les femmes de la région, à l'époque de la prédication d'Étienne de Bourbon, portaient leurs enfants malades à saint Guinefort. Guidées par une vieille femme qui leur indiquait les actes à accomplir, elles effectuaient divers rituels destinés à obtenir la guérison de leur enfant. Étienne de Bourbon décida d'arrêter ce culte : il fit exhumer les restes du chien et couper le bosquet, ordonna que l'on brûle le tout et interdit à quiconque de perpétuer les pratiques jusqu'alors en usage…
La guérison des maux
Aux siècles précédents, lorsque des maux survenaient aux hommes comme aux bêtes, plusieurs solutions s’offraient aux Bressans. La plus évidente de nos jours mais la plus rare autrefois était le recours à des professionnels, médecins ou vétérinaires.
Cette possibilité était la dernière à venir à l’esprit de nos ancêtres car, tout d’abord, fallait-il que ses professions soient représentées dans nos villages. De plus, il fallait payer ces services qui coûtaient en monnaie ou en produits de la ferme : en effet, nous avons déjà évoqué le fait que certains médecins de campagne se rendant auprès de malades dans des familles pauvres acceptaient comme moyens de paiement des œufs, du beurre, une poule… Enfin, la dernière et souvent la plus répandue des raisons faisant que l’on évitait d’avoir à se confier à un médecin ou un vétérinaire, était tout simplement que l’on accordait plus de crédit aux remèdes et méthodes empiriques qu’aux recommandations médicales.
Connaissance des « simples » (nom donné aux plantes médicinales), croyances en de multiples rites et précautions, recours à un guérisseur (appelé rebouteux, sorcier, leveur de brûle…) : tous les moyens étaient bon pour se guérir ou se prémunir de maux selon des méthodes ancestrales, et encore une fois, relevant du mystérieux, du surnaturel, dont la connaissance ne l’était que de certains initiés.
On pendait un petit sac de camphre au cou des enfants pour les préserver des épidémies et maladies contagieuses ; contre les vers, on faisait porter un collier d’aulx aux enfants ; un marron d’Inde dans la poche empêche les rhumatismes de venir ; une infusion de camomille sert à laver les yeux douloureux ; pour avoir du lait, la jeune mère devait boire de la bière et ne pas manger de chou ni d’asperge…
Ces connaissances ne constituent qu’une infime partie de l’ensemble des pratiques connues et mises en œuvre autrefois relevant de l’empirisme ou de la superstition, que Voltaire disait être « la fille très folle d’une mère très sage », à savoir la religion.
Les reliques en Bresse
Un autre moyen, plus catholique dirons-nous, étaient l’invocation de saints, par le fait de bénédictions, par le port de médailles ou par la rencontre directe à travers des reliques ou des représentations. Côté reliques, la Bresse n’a rien à envier aux plus grandes basiliques italiennes puisque les reliques ont fait par le passé l’objet d’un véritable commerce agréé par l’Eglise. De Rome, du Proche-Orient ou des pays de la Méditerranée, les reliques (ossements ou objets de saints et de martyrs ou instruments de la Passion) ont été ramenées au temps des croisades puis distribuées aux évêques qui les firent enchâssées et distribuées dans la paroisse. Il va sans dire que certains « marchands » ou « indics » de reliques ont profité du phénomène pour s’enrichir expliquant ainsi le fait que certains saints se retrouvent avec plus de dix doigts répartis autour de la planète ! Ces reliques étaient exposées dans de petits coffres vitrées plus ou moins importants, souvent de réels bijoux d’orfèvrerie. L’église de Sainte-Croix-en-Bresse possède encore aujourd’hui un morceau de la vraie croix dans un beau reliquaire. Mais il était plus simple pour les croyants de porter leur dévotion sur des éléments visibles, quasi réels. C’est ainsi qu’à Dommartin-les-Cuiseaux, c’est un mannequin représentant sainte Séverine, jeune martyre romaine, qui fut déposé en 1846. Comme le dit Marcel Baroë : « On lui attribue toutes sortes de mérites car la ferveur superstitieuse-religieuse se portait plus facilement vers des reliques représentant un corps humain complet ne demandant pas d’effort particulier pour se représenter l’intercesseur. » C’est également sans doute pour cette raison que l’on se tournait volontiers vers les images, les statues des saints présentes dans nos églises pour se guérir des maux.
L’église de Sainte-Croix renferme des reliques de la vraie croix.
La prégnance du surnaturel au quotidien
Mais avant, il serait intéressant de nous interroger sur la place du surnaturel dans la société, et notamment dans les sociétés rurales. Concernant la Bresse au 19ème siècle, Emile Violet s’interroge en 1939 sur la ténacité des superstitions et la crainte du surnaturel dans l’imaginaire collectif auprès d’une population dont la vie était fortement liée à la matérialité, à la terre :
« Et cependant ces hommes, avant de se soumettre volontairement à tant d’influence occultes et imaginaires, avaient à se défendre de tant de choses véritables, visibles et prouvées ! Lorsqu’on y réfléchit on est confondu de voir comment de gaîté de cœur ils purent encore ajouter d’eux-mêmes à la foule des préoccupations journalières dont la vie est tissée et qui sont déjà assez nombreuses et assez impérieuses pour que la plupart de nos actes en soient, consciemment ou à notre insu, influencés à tout instant. »
Il est vrai qu’en plus des contraintes de travail et de vie au quotidien liées au rythme du soleil, au rythme des saisons, aux aléas climatiques ou autres, on peut se demander pourquoi s’embarrasser de pratiques relevant de la superstition comme faire bouillir toute eau suspecte avant utilisation ou voiler les miroirs et arrêter les horloges de la maison où repose un défunt.
Mais ne sourions pas devant de tels faits : qui de nos jours ne craint pas les vendredis 13, ne redoute de passer sous une échelle, ne pense pas aux sept ans de malheur suivant la casse d’un miroir ou aux effets de la Lune sur son sommeil ou la pousse de son jardin ?!...
Comme si l’homme avait, et a besoin de merveilleux pour vivre au quotidien…