Traditions bressanes
Des statues pour guérir volailles ou cochons
Depuis les débuts de l’introduction du christianisme, c’est par l’image et par le visuel que les clercs et les moines apprenaient les textes bibliques aux populations rurales et citadines. Les retables mais aussi les peintures ornant les églises y contribuaient, tout comme les représentations des mystères ou miracles, scènes théâtrales illustrant le plus souvent la vie des saints, jouées à l’époque médiévale sur les parvis des églises. C’est par des moyens mnémotechniques simples (insistance sur des objets particuliers comme ceux de la Passion, codes liés aux couleurs, aux vêtements…) que l’on inculquait les bases de la religion à ceux pour qui les textes de référence étaient inaccessibles puisqu’à cette époque seuls les religieux et quelques humanistes avaient accès à la lecture et à l’écriture. Marqué par cette importance du visuel et d’une réalité habillant des faits mystiques, l’esprit populaire s’est donc tout naturellement tourné vers les représentations des saints dans nos églises ou chapelles pour se guérir ou se prémunir de maux. Ainsi, on allait voir et toucher saint Langui à Branges ou saint Vit à Mouthiers pour obtenir la guérison des enfants ; saint Antoine à Cuiseaux ou encore à Sainte-Croix pour préserver les porcs de toutes maladies ; saint Clou à Maynal pour être guéri ou préserver de la fièvre. Parfois, on faisait plus que toucher la statue, à l’image de celle de saint Denis à Romenay : selon la religion catholique, saint Denis, évêque et martyr, était sensé prémunir des possessions diaboliques et des maux de tête. En Bresse, il était invoqué pour la protection de la volaille car en patois, saint Denis est devenu saint Dénis : le saint des nids. On se rendait donc en sa chapelle et on grattait un peu le socle de sa statue pour mélanger la poudre recueillie à la pâtée des volailles qui étaient ainsi prémunies de tous les maux.
Saint Antoine (notre photo) et saint Denis étaient très vénérés en Bresse eu égard à l’importance que revêtaient l’élevage porcin et la basse-cour au sein de l’économie familiale.
Saints invoqués contre la folie
Il est à noter que l’on redoutait plus que tout la folie, la démence, assimilée à une possession diabolique. Possession et folie sont restées longtemps indifférenciées dans la société française, et certains de ces saints exorcistes peuvent être considérés comme probatoires. Dans les temps les plus anciens se pratiquaient des manœuvres d'exorcisme, visant à extirper le Mal en expulsant le Malin. De nombreuses représentations de ces scènes ont été conservées, où le démon est représenté sortant de la bouche du possédé. Nombreux étaient les saints locaux invoqués en France et ayant leur pèlerinage : les plus connus étaient saint Gilles (invoqué plus particulièrement contre la folie et les frayeurs nocturnes) et saint Guy (contre la folie, l’épilepsie et, bien entendu, la fameuse « danse de saint Guy » ou chorée). Dans le Jura voisin, l’église de Chissey-sur-Loue renferme de curieuses sculptures aux figures énigmatiques appelées « les babouins », constituant le plus ancien document sur le pèlerinage des fous qui se déroulait jadis dans le village en l’honneur de saint Christophe. Dans une grande ville de Bourgogne, Sens, deux pèlerinages contre la folie avaient lieu : l’un dédié à saint Loup, réputé guérir l’épilepsie, l’autre à saint Matthieu, guérissant également l’épilepsie mais aussi les hystériques et les lunatiques. Certains des lieux de pèlerinage cités ci-dessus ont été le théâtre de séances d'exorcisme, qui, dans quelques cas, succédaient ou plus souvent précédaient la neuvaine, à savoir les neuf jours pendant lequel se pratiquait un rituel très codifié. Petit aperçu de ce qui fut rapporté du pèlerinage à Notre-Dame de Vassivière, en Auvergne, au 16ème siècle : « (…) en 1551, un énergumène âgé de 25 ans «ayant un serpent dans le corps, qui le tourmentait sans cesse» fut conduit à la chapelle. Un terrible orage éclata: au bruit du tonnerre, et à la lueur des éclairs, l'homme tomba évanoui. Lorsqu'il se releva, il était guéri. »
A l’Aubépin, saint Garados était connu pour guérir de tous les maux du corps et de l’esprit.
L'hagiothérapie et ses effets
Depuis quelques semaines nous avons évoqué ensemble l'hagiothérapie, à savoir, l'attribution à un saint ou une sainte d'un pouvoir thaumaturgique : le saint est invoqué pour obtenir par son intercession auprès de Dieu la guérison d'une maladie. Plusieurs de ces saints sont les héritiers de pratiques païennes. Dans le domaine des troubles mentaux, l’hagiothérapie a représenté le concurrent principal de la médecine, du Moyen Âge à la fin de l'Ancien Régime, voire dans quelques cas jusque dans le courant du 19ème siècle.
Ainsi, l'hagiothérapie se pratique généralement dans le cadre d'un pèlerinage, en un lieu où sont conservées des reliques et où peuvent se situer source ou fontaine miraculeuses ou encore être liés à a vie du saint concerné. Comme pour toutes pratiques superstitieuses on peut se demander quel est l’effet réel apporté par ces pèlerinages. Des témoignages contemporains ou a posteriori nous rapportent des faits de guérisons. De plus, si des lieux de pèlerinage deviennent aussi réputés (comme ce fut le cas de la chapelle de l’Aubépin pour saint Garados), on peut supposer l’évidence de faits « miraculeux », non ? A moins que ce ne soit l’esprit populaire qui soit à ce point convaincu des effets des pèlerinages (ou « viages » comme on disait en Bresse) et d’autres croyances…
Le pèlerinage n’est pas une invention chrétienne, il existait déjà dans les cultures antiques. Il semblerait que le motif le plus fréquent du pèlerinage soit l’espérance de retrouver une bonne santé pour soi ou pour les siens, plus que le besoin de pénitence. Mais quelles que soit les religions et les époques, la pratique rituelle purement religieuse s’est vue remplacée par une dévotion toute particulière marquée par une volonté de rencontre avec des présences surnaturelles ou des réalités sacrales passant notamment par un lieu, un objet ou une image sacrés. Ce fait est avéré, dans l’expérience religieuse de l’espèce humaine, comme une nécessité.
A chaque mal son saint
Afin d’éviter certains abus quant à une dévotion populaire un peu trop large envers de saints que l’Eglise ne reconnaissait pas, le pape Grégoire IX, en 1234, se réserva le pouvoir de canoniser ; c’est pour la même raison en 1970 que fut entreprise l’épuration du calendrier romain.
En plus de dresser la liste des saints, l’Eglise en contrôla les domaines de prédilection notamment concernant les saints thaumaturges. On pouvait ainsi invoquer saint Acace contre les maux de tête, sainte Appoline contre les maux de dents, sainte Barbe contre la foudre et la mort, saint Blaise contre les affections de la gorge, sainte Georges contre les maladies dartreuses, sainte Marguerite contre les maux de rein. Certains étaient invoqués pour des faits bien particuliers comme sainte Catherine l’était contre le célibat ou saint Eustache contre les discordes dans la famille…
Malgré cette « répartition des tâches » entre saints thaumaturges, les Bressans détournaient certains intercesseurs de leurs fonctions premières. Ainsi, saint Denis, évoqué la semaine dernière, étaient par déformation linguistique devenue le saint guérisseur « des nids » alors qu’au départ il était invoquer contre les possessions diaboliques et les maux de tête. Dans le même esprit, saint Guignefort, en plus de protéger les enfants, est devenu celui apaisant fatigues et fièvres mais aussi corrigeant le strabisme, « loucherie » faisant « guigner fort » dans le langage populaire.
Saint Christophe, martyr vénéré ordinairement contre les orages, tempêtes, accidents de voyages et en temps de peste, avait un pèlerinage à l’Abergement de Cuisery : les filles désirant se marier s’y rendait et raclait le cadre du portrait du saint pour en confectionner potions et autres boissons.